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la peinture se tenait devant un chevalet. Hélène sculptait le buste de m-me Weymarn qui posait d’un air inspiré. Sacha et moi, nous étions en pose de menuet et le p[rin]ce Mestchersky avec sa pochette représentalt notre maître de danse. Dans un coin, m-r Jorry, Boris et Rumine, ayant l’air de déclamer devant un livre posaient pour la poésie. M-lle Harder, excellente pianiste et élève de Chopin, exécutait pendant la durée du tableau une pièce courte et brillante à laquelle devait succéder l’air du menuet de Don Juan346 chanté par m-me Kochétof (Sokolof), son frére347 et sa soeur348. En même temps les groupes s’animent et on danse un menuet à quatre paires. La grande-duchesse, qui le savait seule commença à nous l’apprendre. Les danseurs étaient: la grande-duchesse avec Jorry, le p[rin]ce Mestchersky avec m-me Weymarn, Boris et moi – Hélène avec Jean Rumine. A la fin du menuet on passa dans la chambre voisine transformée en un délicieux jardin au moyen d’une multitude de plantes de serre chaude posée sur une élévation simmulant une colline, et un Watteau langoureux rappellant le Décaméron de Boccace, et formé par les personnages de la première syllabe, viеnt у figurer le mois de Mai. – Le tout fut représenté par le Wallenstein’s lager, organisé sur les pelouses avoisinant le palais Chinois. Une tente fut dressée, des faisceaux d’armes, des soldats revêtus d’armures du moyen âge, des feux et une scène de la tragédie de Schiller349, récitée par Jorry, Sokoloff et Numers. La seconde charade fut Ververt. D’abord une scène du Misanthrope350 recitée par Fredro, le p[rin]ce Mestchersky et Jean Rumine, puis une scène de Zaïre351 declamée par la grande-duchesse et maman devant le p[rin]ce Mestchersky, représentant Voltaire et le tout fut un tableau représentant la stupéfaction des Nonnes rassemblées autour de la cage de Ververt. C’est Numers qui représentait la mère Abbesse, et il m’avait emprunté ma jupe d’Amazone pour remplir ce rôle. Tout réussit à merveille, il у eut beaucoup de gaieté et la soirée fut charmante. A la fin des charades, la grande-duchesse organisa une ronde qu’on dansa autour de Fredro et à la fin de laquelle elle lui posa une couronne sur la tête. On alla souper et tout le monde se sépara enchanté de sa soirée. Fredro est parti aujourd’hui promettant de revenir dans quelques jours. Nous devons avoir un bal ces jours-ci à la Катальная et c’est maman qui invitera et recevra.

      Jeudi 4 Juillet. Nous avons fait une longue promenade à pied avec Hélène – pendant le retour en calèche. Maman m’a dit de réciter à Hélène mes vers sur le bal, que j’ai faits ce printemps. Je m’en défendis d’abord, mais force me fut de céder et de les accompagner du Myosotis et de l’Hirondelle. Je crois qu’ils plurent à Hélène.

      Samedi 6 Juillet. Demain le bal! Toutes nos têtes sont pleines de cette idée, on compte et recompte les invités – on lit avec satisfaction les billets, qui acceptent, avec dépit ceux qui refusent. On va voir la Гора Katale ornée d’une multitude de fleurs. Entre les mille distractions de ces jours j’ai trouvé quelques moments à consacrer … à la Muse! Voici ce qui l’a provoqué. Hier la grande-duchesse me ramena du mont Katale. La soirée était magnifique et je ne résistai pas à la tentation de m’établir pour quelques instants sur le balcon pour у attendre le reste de la sociéte, qui revenait à pied. L’air était pur et embaumé des parfums du soir, le ciel serein, la température vivifiante et douce, le silence troublé seulement par les échos des voix de la societé attardée, tout concourait pour pénétrer mon âme d’un sentiment piein de douceur, je levai les yeux vers la voute céleste si calme, si majestueuse de son harmonie grandiose. Je sentis, que si j’étais née poète, ce moment m’aurait inspiré mes plus beaux chants, et je plongeai dans l’intérieur de mon âme, pour en tirer les expressions qui devaient rendre les sentiments que j’éprouvais. Cette nuit encore, j’y rêvai, et ce matin, je mis en ordre mes idées et j’ecrivis:

      Plus que l’éclat brillant du jour plein de splendeur

      J’aime l’heure douteuse, où la lune projette

      De son pâle rayon la rêveuse douceur.

      J’aime d’un ciel serein la majesté muette

      Et le calme imposant d’un beau soir de l’été

      Et j’aime à veiller seule à l’heure où tout sommeille,

      A sentir s’élever la douce volupté

      Qu’un rêve, une prière en mon âme réveille.

      C’est l’heure, où tout repose, où la nature dort,

      Seule l’âme s’élève au-dessus de la terre

      Oubliant tous ses maux, et perce avec transport

      Les voiles ténébreux, pour trouver la lumière.

      Le calme de la nuit se répand dans mon cœur,

      Je le sens palpiter d’un frisson plein de charmes.

      Mon être est traversé par un souffle enchanteur

      Qui me fait voir le Ciel, et qui tarit mes larmes.

      Et dans mon cœur résonne un son mélodieux,

      Car tu descends alors, divine poésie,

      Et mon âme en extase en s’élançant aux Cieux

      Par un douleureux charme est touchée et ravie!

      O! moment plein d’ivresse! ô suave douleur

      Qui frappe en tons réveurs, les cordes de ma lyre.

      Le cœur sait te comprendre et sentir ta douceur,

      Hélas, l’esprit n’a pas de mots pour te décrire!

      Je me trouve dans un de ces moments de la vie, où on voudrait la passer à contempler une belle nuit étoilée, à lire des poésies inspirées, à écouter les accords d’une voix s’élançant vers le Ciel, accompagnant le son grave d’une orgue réligieuse; dans un de ces moments aussi où l’on sent le manque dans votre coeur de la plénitude de vie que vous trouvez dans la nature. Oh! s’il était permis à ce coeur de former un désir!… O doux, mais irréalisable rêve, quitte moi – une sphère étroite est tracée autour de ma vie. Que ma pensée s’y renferme aussi.

      8 Juillet. J’ai eu une conversation sur la poésie avec Fredro, dont j’ai infiniment joui. Il a un esprit sérieux et médidatif sous l’apparence comique, dont il l’enveloppe, et je lui trouve beaucoup de charme. Il m’a appris une jolie énigme de Jean Jacques Rousseau dont le mot est Portrait.

      Enfant de l’art, rival de la nature

      Sans prolonger les jours, j’empêche de mourir.

      Plus je suis vrai, plus je fais imposture

      Et je deviens trop jeune à force de vieillir.

      Le duc est de nouveau parti et pour son retour on prépare une nouvelle surprise.

      Samedi 13 Juillet. La grande-duchesse est pour moi d’une bonté qui me touche, je me promène presque tous tes jours avec elle, et nous causons beaucoup. Aujourd’hui, je l’ai accompagnée à une visite qu’elle a faite à la p[rince]sse d’Oldenbourg. Comme je rentrais à pied du pavillion Chinois je vis Hélène à sa fenêtre qui me cria d’entrer chez elle. Je le fis et après une petite causerie, elle me pria de venir jouer du piano à la Кавалерская, où Fredro devait faire son portrait. Comme cela avait été mon intention, je consentis avec plaisir et Fredro dessinant Hélène posant, moi, jouant, et tous les trois causant par intervalles, nous passâmes une heure fort agréable. Après le dîner chez la grande-duchesse, nous fîmes une courte promenade à pied avec Fredro. Tout en causant gaiement, nous depassâmes un banc, sur lequel deux messieurs étaient assis. Nous en étions à quelques pas, lorsque l’un d’eux, un militaire se leva vivement et d’une voix haute s’adressa à nous: “Pardon messieurs et mesdames, faites moi la grâce de vous arrêter un moment”. Un peu surpris, nous fîmes



<p>346</p>

Имеется в виду опера Моцарта «Дон Жуан» (1787).

<p>347</p>

Д.Д. Соколов.

<p>348</p>

Сестра певицы Соколовой (Кочетовой).

<p>349</p>

Имеется в виду трагедия Ф. Шиллера «Лагерь Валленштейна» – первая часть трилогии, посвященной судьбе немецкого полководца времен Тридцатилетней войны Альбрехта Валленштейна.

<p>350</p>

«Мизантроп» (1666) – комедия Мольера.

<p>351</p>

«Заира» (1732) – трагедия Вольтера.