Albert. Dumur Louis

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Название Albert
Автор произведения Dumur Louis
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066078744



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       Louis Dumur

      Albert

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066078744

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

       XXII

       XXIII

       XXIV

       Table des matières

      L’INITIALE DÉVEINE

      Fantoches, vous qui, durant les insomnies, voletez étrangement autour des prunelles fiévreuses, contez à celui qui ne craint ni l’extrême, ni le choquant, ni l’absurde, ni l’ironique, ni l’incohérence des actes, ni la disproportion des pensées, contez, sans éloge ou blâme, la décevante vie d’Albert.

      Du reste, sous toute chose, formule saint Thomas d’Aquin, gît le réel.

      En une minime cité de province, plus malsaine qu’immorale, plus stérilisante que perverse, où l’existence avait des longueurs particulières, de spéciales somnolences que ne soupçonnent point les vraies villes, point la pure campagne; en une sous-préfecture maussade, flasque, incolore, gluante, solitaire et confite en soi, prétentieuse et banale, chaste jusqu’à l’espionnage, inconsciente, naïve, burlesque, ignorée des humains et les ignorant; en une moyenne bourgade vulgairement située sur l’inévitable affluent aux ondes grisâtres, aux grèves grisâtres clairsemées de grisâtres roseaux, vague église gothique, pont restauré; en un de ces trous administratifs et mornes, dont le nom provient d’une ancienne peuplade des Gaules mentionnée dans César; en un de ces marécages de la sottise, végétaient, monotones et bouffis, son père et sa mère.

      Ils l’eurent—lui—troisième, quatrième ou cinquième enfant d’une nombreuse famille, procréé à son heure, en son jour, dans son numéro d’ordre, tranquillement, béatement et suivant les laisser-aller passifs de la bourgeoise providence. Ils l’avaient appelé Albert, parce que son parrain s’appelait Albert et que sa bonne tante maternelle s’appelait Albertine.

      O confiance!

      Ainsi il naissait parce qu’il naissait, sans raison, sans cause appréciable qui expliquât pourquoi il naissait à cette latitude, sous ce méridien, dans cet endroit, pourquoi il naissait de ces petits commerçants plutôt que de gros industriels, plutôt que d’un banquier, ou que d’un bandit, ou que d’un baron, ou que d’une actrice, pourquoi il naissait catholique et non pas calviniste, turc, disciple de Zoroastre, indou, païen, même adorateur du grand Lama, pourquoi il naissait avec ses vices et ses qualités, au lieu de différents, pourquoi il naissait, enfin!

      Il n’avait rien d’extraordinaire qui le distinguât du commun des nouveau-nés: ses chairs pendillottantes, ridées, rouges, son nez camard, ses yeux grêles, ses bras et jambes difformes qui bougillaient impondérés, sa tête ridiculement anormale, sa bouche édentée qui sans cesse s’écarquillait pour glapir les vagissements ... il n’était ni plus laid, ni plus beau que les autres hommes—moins laid, peut-être,—c’était un homme. Mais s’il avait déjà pu réfléchir (la réflexion semblait pourtant habiter ses plaintes précoces), c’eût été justement de cela qu’il se serait lamenté: d’être homme.

      La bête, la plante, le protoplasma qui éclosent trouvent à la sortie de leur œuf, de leur germe, de leurs éléments, une nature assez bienveillante, qui, si elle ne leur fait pas oublier les douceurs du non-être, incline, du moins, à ne pas leur gâter le sort par de trop viles insuffisances, par de trop sauvages imbécillités. Ils jouissent, sans autre travail que celui de leur propre et libre développement, des irradiations de la lumière, des nourritures du sol, des exquisités de l’air et des liesses de la chaleur. La sensation les sert sans leur nuire. L’idée ne leur incombe que dans les limites de la contemplation. Quelques-uns, sans doute, sont esclaves: mais ils ne le sont que par leurs rapports avec l’homme. Ils meurent accablés par l’âge ou de mort subite; et pour ceux qui inspirent la pitié, les compagnons de l’homme, tout ce que la science a de ressources s’applique à leur escamoter les souffrances du trépas et l’appréhension d’être dévorés.

      L’homme, au contraire, vaincu d’avance sous les horions de son destin, condamné à l’accablement partiel ou total de ses volontés les plus chères, pétri dans la misère, la nudité, l’inquiétude, surmène son énergie pour des buts qu’il n’atteint pas; rongé d’ambitions, toutes légitimes, puisqu’elles sont ses besoins, depuis l’ambition de manger, jusqu’à celle de régenter le monde, il vogue d’espoir en espoir et tombe de désastre en désastre; son sang épuisé, ses tissus étiques couvent les miasmes et les pustules, et son âme est le siège de maladies morales, d’autant plus violentes qu’une relative santé du corps leur laisse plus de loisir pour se développer; il ne peut se soustraire à ce fatalisme, et, malgré l’éternelle illusion, perdant à mesure qu’il vieillit son courage et sa vigueur, qu’exaltait jadis sa nostalgie