Название | Légendes démocratiques du Nord |
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Автор произведения | Jules Michelet |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079505 |
Dès son enfance, il avait montré ces dispositions charitables. Le douloureux spectacle de l’infortuné paysan de Pologne, deux fois ruiné, et par son maître, et par les logements militaires, les passages continuels de soldats étrangers qui le mangent et le battent, avait blessé profondément son cœur. La pitié, une pitié douloureuse pour les maux de l’humanité, semblait avoir brisé en lui quelques nerfs du cœur, et produit peut-être les seuls défauts qu’on ait pu saisir dans une nature si parfaite.
Ces qualités, ces défauts même faisaient un ensemble adorable, auquel peu de cœurs auraient résisté. Sosnowska en fut si touchée, que, ne doutant pas qu’on ne vît son amant comme elle le voyait, l’égal des rois, elle dit tout à sa mère. Kosciuszko, de son côté, alla se jeter aux pieds du père et les inonda de larmes. Cette confiance réussit mal. Le père la reçut avec tant de mépris, qu’il ne daigna pas même éloigner Kosciuszko: il lui défendit de parler à sa fille, de la regarder.
Celle-ci, exaltée dans sa passion, absolue et audacieuse comme une Polonaise, déclara à Kosciuszko qu’elle voulait être enlevée. Résolution violente! Ce n’était pas seulement quitter sa famille, c’était abandonner une grande fortune, une vie quasi royale, pour suivre un officier obscur, qui même perdrait son grade et probablement sa patrie, poursuivi qu’il allait être par la haine acharnée d’une si grande famille. C’était suivre la misère, l’exil.
Le père sut tout. Mais, par une singularité étrange, qui montre que la vengeance lui était plus chère encore que l’honneur de sa famille, il laissa sortir les amants. Ce ne fut qu’à quelque distance du château qu’une bande d’hommes armés les entoura. Kosciuszko devait périr; il fit face à toute la troupe, l’étonna de son audace, et en fut quitte pour une grave blessure.
Évanoui plusieurs heures, il s’éveille... Elle a disparu; il ne reste rien d’elle, qu’un mouchoir qu’elle a laissé. Il le serre, le met dans son sein; il l’a porté toujours, dans toutes ses batailles, et jusqu’à la fin de sa vie.
X
KOSCIUSZKO EN AMÉRIQUE.—DICTATEUR EN POLOGNE (1777-1794)
Kosciuszko, à trente ans, se trouvait avoir tout perdu, sa maîtresse et sa patrie; la première, mariée, malgré elle, à un homme qu’elle n’aimait pas; la seconde, humiliée, violée chaque jour au caprice des agents russes. Spectacle ignoble. Les vrais Polonais ne le pouvaient supporter. L’illustre Pulawski, le chef des dernières résistances, alla se faire tuer en Amérique. Kosciuszko partit, et bien d’autres moins connus.
Voilà le commencement des glorieuses émigrations polonaises. La Providence, dès lors, sembla vouloir chaque jour déraciner la Pologne, et la tirer d’elle-même pour la grandir et la glorifier. Elle l’enleva à ses querelles, intérieures à l’étroite atmosphère où elle étouffait, la répandit dans l’univers. Partout où il y eut de la guerre et de la gloire, partout où la liberté livra ses combats, il y eut du sang polonais. On le retrouve, ce sang, comme un ferment d’héroïsme, dans les fondements vénérés des républiques des deux mondes.
Un Polonais a dit là-dessus une chose ingénieuse et sublime: «Le peuple de Copernik, le peuple qui dans l’astronomie eut l’intrépidité scientifique de lancer pour la première fois la terre dans l’espace, devait mobiliser la patrie, la lancer par toute la terre.»
C’était une belle occasion pour un Polonais que cette guerre d’Amérique. Un grand souffle de jeunesse, un poétique élan de révolution, animaient ces volontaires de toute nation, qui étaient accourus là. Tous étaient très purs encore, beaux de désintéressement et d’innocence. Les La Fayette, les Lameth, les Miranda, les Barras, étaient bien loin de deviner le rôle qu’ils joueraient un jour. Libres encore d’ambition, ils ne voulaient rien pour eux-mêmes, tout pour la liberté du monde!
Kosciuszko fut accueilli par les Français comme un compatriote et un camarade d’école. La Fayette, admirateur de son bouillant courage, ne perdit pas une occasion pour le faire remarquer de Washington. Ingénieur, colonel, enfin général de brigade, Kosciuszko montra, avec l’intrépidité polonaise, une fermeté plus nécessaire encore pour retenir et diriger les milices américaines. Ces soldats agriculteurs voulaient retourner à leurs champs; Kosciuszko dit seulement: «Partez si vous voulez; je reste.» Pas un d’eux n’osa partir.
Il eut plus d’une belle aventure: des blessures d’abord; puis le bonheur de sauver des prisonniers que les Américains voulaient massacrer. Il se constitua aussi le patron et le protecteur d’un orphelin de neuf ans dont le père, brave soldat, venait de périr, et il parvint à faire adopter l’enfant par la République elle-même.
L’Amérique était fondée. La Pologne périssait. Au retour de Kosciuszko, elle touchait à sa crise suprême. Elle faisait un dernier effort pour se transformer sous les yeux, sous la pression terrible des tyrans qui voulaient sa mort. Dans une opération si difficile, qui aurait demandé une complète unité d’action, elle n’agissait pas avec des forces entières; liée par ses ennemis, elle l’était par elle-même, par le préjugé national, favorable aux anciennes institutions sous lesquelles la Pologne a acquis jadis tant de gloire. Les philosophes eux-mêmes (Rousseau, par exemple, dont ils demandèrent les conseils) leur disaient de peu changer.
Cette prudence excessive était l’imprudence même. Dans les temps tellement changés, il fallait un changement d’institutions profond, radical. Par des réformes de détail, extérieures, superficielles, on avertissait l’ennemi, on amenait, on provoquait l’orage, et l’on ne créait aucune force qui pût résister. Une insurrection de la Pologne devant et malgré la Russie, une émancipation du nain sous le pied du géant prêt à l’écraser, c’étaient des choses impossibles, si l’on n’évoquait en cette Pologne une puissance toute nouvelle, la nation elle-même.
Un million de nobles gouvernaient quinze à dix-sept millions de serfs. La bourgeoisie, peu nombreuse, était renfermée dans les villes, lesquelles comptaient pour très peu dans ce grand pays agricole.
Les Polonais, naturellement généreux, et la plupart imbus des idées de la philosophie du siècle, auraient voulu changer cet état de choses. La difficulté de l’affranchissement était celle-ci: c’est que, dans un pays sans industrie on ne pouvait se contenter de dire au serf: «Tu es libre!» on ne pouvait l’émanciper sans lui créer des moyens de vivre. En lui donnant la liberté, il fallait lui donner la terre.
Plusieurs disciples de Rousseau, grands seigneurs, riches abbés, avaient fait dans leurs domaines de vastes essais d’affranchissement. Non contents de libérer le paysan, ils lui distribuaient de la terre, lui bâtissaient même des habitations. Ces exemples auraient pu être imités aisément par les grands propriétaires, mais plus difficilement par la grande masse des nobles, qui, ayant peu de paysans, peu de terre, auraient fait un tel sacrifice, non pas sur leur superflu, mais sur ce qu’ils appelaient leur nécessaire, sur ce qui constituait la vie même du noble; ils n’auraient affranchi le paysan qu’en se rapprochant eux-mêmes de la condition du paysan.
Donc la réforme sociale impliquait dans la nation une réforme morale plus difficile encore, le sacrifice non du luxe seulement, mais de certaines habitudes d’élégance chevaleresque qui, dans les idées du pays, étaient la noblesse même.
Là était la difficulté. Et c’est pour cela que, au moment où la Pologne ne pouvait être sauvée que par une révolution sociale, elle se contenta d’une réforme politique.
Il faut avouer aussi que le souverain qui