Название | Histoire d'Henriette d'Angleterre |
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Автор произведения | Madame de la Fayette |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079918 |
La bonne madame de Motteville, qui n'avait pas pour Henriette les yeux de Buckingham, accorde du moins à la jeune princesse ce qu'on appelle la beauté du diable:
«Elle avoit, dit-elle, le teint fort délicat et blanc; il étoit mêlé d'un incarnat naturel comparable à la rose et au jasmin. Ses yeux étoient petits, mais doux et brillants. Son nez n'étoit pas laid; sa bouche étoit vermeille et ses dents avoient toute la blancheur et la finesse qu'on leur pouvoit souhaiter, mais son visage trop long et sa maigreur sembloient menacer sa beauté d'une prompte fin [18].»
Cela est froid et fort éloigné de la vivacité de Cosnac. Mais ne nous dira-t-on pas si Madame était brune ou blonde?
Elle était blonde avec des yeux bleus [19]; c'est un libelle qui nous l'apprend, un libelle d'assez bon ton, dont nous parlerons dans un autre paragraphe. Voici le portrait qu'on trouve dans ce petit écrit, intitulé La Princesse ou les amours de Madame.
«Elle est d'une taille médiocre et dégagée; son teint, sans le secours de l'art, est d'un blanc et d'un incarnat inimitable, les traits de son visage ont une délicatesse et une régularité sans égale, sa bouche est petite et relevée, ses lèvres vermeilles, ses dents bien rangées et de la couleur des perles; la beauté de ses yeux ne se peut exprimer: ils sont bleus, brillans et languissans tout ensemble; ses cheveux sont d'un blond cendré le plus beau du monde; sa gorge, ses bras et ses mains sont d'une blancheur à surpasser toutes les autres [20].»
Cela donne dans le joli et dans le fade; mais le libelliste était journalier, comme Madame; il avait ses heures heureuses et c'est lui qui nous donnera sur cette jeune femme le mot magique qui dit tout, le mot qui sert de talisman pour évoquer la belle ombre:
«Elle a, dit cet inconnu, elle a un certain air languissant, et quand elle parle à quelqu'un, comme elle est toute aimable, on diroit qu'elle demande le cœur, quelque indifférente chose qu'elle puisse dire [21].»
On dirait qu'elle demande le cœur, voilà le secret de Madame, le secret de ce charme qui agit sur tous ceux qui la virent et qui n'est pas encore rompu; j'en appelle à tous ceux qui ont essayé de réveiller son souvenir.
Si cette aimable jeune femme n'a pas à se plaindre des portraits que firent d'elle évêques, libellistes, abbés, seigneurs, duègnes et vieilles demoiselles, elle est trahie au contraire par ceux qui semblaient devoir être ses défenseurs naturels; je veux dire les dessinateurs, les graveurs et les peintres.
Les portraits d'Henriette d'Angleterre sont assez nombreux (je parle des portraits faits de son vivant); par malheur ils ne se ressemblent pas entre eux. Cela tient sans doute à ce que les artistes ont mal vu et peu compris leur modèle, mais cela tient aussi, et beaucoup, à ce que le modèle n'avait pas des traits bien accentués et que sa physionomie était changeante et diverse.
Les tissus très mous, comme on le voit aux joues qui tombent, se pénétraient facilement et gonflaient les traits naturellement fins. De là, cet aspect tour à tour grêle et empâté qu'on voit à ses portraits.
Je l'ai dit tout à l'heure: cette blonde était ce qu'on appelle journalière. Son charme, tout d'expression, était insaisissable pour des artistes qui, comme ceux de son temps, ne se permettaient ni le croquis rapide, ni la touche légère, et qui ne se proposaient pas de saisir la nature en un moment par un coup d'adresse et d'esprit.
Une gravure de Claude Mellan [22] nous montre Henriette encore très jeune, au temps où, dédaignée par Louis XIV, elle paraissait sans éclat à la Cour. Mellan nous représente, dans sa manière un peu lâche, une jeune fille de seize ou dix-sept ans avec de beaux grands yeux, un nez rond, de grosses lèvres, la mâchoire inférieure trop saillante, des joues lourdes, un visage à la fois chétif et bouffi, un air intelligent et bon. C'est bien ce qu'avec une grosse gaieté Louis XIV nommait «les os des saints Innocents». Sur le cou, ceint d'un collier de perles, une guimpe transparente est jetée. Ce collier de perles se retrouve sur tous les autres portraits de la Princesse.
HENRIETTE D'ANGLETERRE D'APRÈS LE PORTRAIT GRAVÉ
PAR CLAUDE MELLAN.
Une peinture de Van der Werff [23], reproduite par plusieurs graveurs, notamment par J. Audran, rappellerait la gravure de Claude Mellan, si le nez, beaucoup plus droit, la bouche mieux faite et la joue plus pleine ne composaient pas un ensemble incomparablement plus agréable. D'ailleurs même air de bonté intelligente. Le buste, pris dans un corps très raide, comme on en portait alors, est richement orné d'orfévrerie avec perles et grosses pierreries. C'est à peu de chose près le costume de presque tous les autres portraits. «Elle était étincelante de pierreries», dit le libelliste.
Un portrait, signé: Grignon sculps. [24], nous montre une figure sensiblement différente; le nez est gros, mais les yeux relevés sur les tempes et les lèvres retroussées aux deux coins s'accordent avec les mèches folles et les boucles en coup de vent de la chevelure pour composer une physionomie vive, rieuse, mutine et moqueuse. Et, bien que la gravure soit dure et noire, Henriette y paraît gentille et plaisante. Si l'on veut, ces portraits forment, malgré leurs dissemblances, une famille, dont le caractère commun est l'air de jeunesse et de sympathie.
Tout différent est l'aspect des autres figures que nous avons sous les yeux. Le graveur anonyme de 1663 [25], Joullain [26], Desroches [27] et F. Schouten [28], sans bien s'accorder pour les détails, nous présentent tous un visage régulier, plein, avec un air de maturité; ni expression, ni caractère propre: ce n'est pas là cette princesse à qui l'on trouvait «un agrément extraordinaire».
Le musée de Versailles possède trois portraits anciens d'Henriette d'Angleterre. Le meilleur [29] a été reproduit dans l'ouvrage de Gavard par une mauvaise gravure qui n'en donne pas la moindre idée. La Princesse y est représentée avec de beaux yeux d'un bleu sombre, un nez sans beaucoup de caractère mais qui peut à la rigueur mériter le compliment que l'évêque de Valence fit à l'original, une bouche retroussée aux coins avec une expression plus gaie que tendre et une jolie gorge sous une guimpe transparente. Elle tient sur ses genoux un petit chien qui porte galamment à l'oreille un pompon de soie rouge.
Le même petit chien avec le même pompon à l'oreille figure sur un autre portrait [30] conservé dans l'attique du palais et que le catalogue donne pour être de l'école de Mignard. On n'y trouve ni charme, ni expression, ni caractère d'aucune sorte. Le troisième portrait [31] fut peint, en 1664, par Antoine Matthieu, dans le genre olympien. Henriette, drapée comme une figure d'allégorie, y soutient le portrait du duc d'Orléans, avec une ampleur de geste qui sied mieux à une déesse qu'à une dame de la Cour. Aussi bien est-ce une déesse que l'artiste a voulu peindre en cette figure qui montre un long et étroit pied nu dans des sandales d'or et de pierreries, le pied de Diane. Le visage, mince et distingué, ne ressemble ni à l'un ni à l'autre des précédents portraits.
Il y a enfin, dans les appartements de Louis XIV, un ample tableau de Jean Nocret qui représente la famille du grand roi dans des costumes de ballet et avec des attributs allégoriques [32]. Les têtes n'y manquent pas de caractère; elles ne semblent pas flattées; celle de Madame y est chétive, blafarde, maladive, point jolie. C'est celle d'une personne qui n'est pas, comme la belle-au-bois-dormant, belle sans y penser, mais qui peut plaire à son réveil, avec, ce qui ne manque guères, un peu de bonne volonté. Elle a un air de vérité, cette figure de Jean Nocret; malheureusement elle ne ressemble à aucun des autres portraits d'Henriette.
En somme de toutes les images de cette Princesse, deux seulement nous restent dans les yeux en y laissant quelque air de vie et de vérité: d'abord,