Victor Hugo. Theophile Gautier

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Название Victor Hugo
Автор произведения Theophile Gautier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066078485



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attaque. La jeunesse romantique pleine d'ardeur et fanatisée par la préface de Cromwell, résolue à soutenir «l'épervier de la montagne», comme dit Alarcón du Tisserand de Ségovie, s'offrit au maître qui l'accepta. Sans doute tant de fougue et de passion était à craindre, mais la timidité n'était pas le défaut de l'époque. On s'enrégimenta par petites escouades dont chaque homme avait pour passe le carré de papier rouge timbré de la griffe Hierro. Tous ces détails sont connus, et il n'est pas besoin d'y insister.

      On s'est plu à représenter dans les petits journaux et les polémiques du temps ces jeunes hommes, tous de bonne famille, instruits, bien élevés, fous d'art et de poésie, ceux-ci écrivains, ceux-là peintres, les uns musiciens, les autres sculpteurs ou architectes, quelques-uns critiques et occupés à un titre quelconque de choses littéraires, comme un ramassis de truands sordides. Ce n'étaient pas les Huns d'Attila qui campaient devant le Théâtre-Français, malpropres, farouches, hérissés, stupides; mais bien les chevaliers de l'avenir, les champions de l'idée, les défenseurs de l'art libre; et ils étaient beaux, libres et jeunes. Oui, ils avaient des cheveux—on ne peut naître avec des perruques—et ils en avaient beaucoup qui retombaient en boucles souples et brillantes, car ils étaient bien peignés. Quelques-uns portaient de fines moustaches, et quelques autres des barbes entières. Cela est vrai, mais cela seyait fort bien à leurs tètes spirituelles, hardies et fières, que les maîtres de la Renaissance eussent aimé à prendre pour modèles.

      Ces brigands de la pensée, l'expression est de Philothée O'Neddy, ne ressemblaient pas à de parfaits notaires, il faut l'avouer, mais leur costume où régnaient la fantaisie du goût individuel et le juste sentiment de la couleur, prêtait davantage à la peinture. Le satin, le velours, les soutaches, les brandebourgs, les parements de fourrures, valaient bien l'habit noir à queue de morue, le gilet de drap de soie trop court remontant sur l'abdomen, la cravate de mousseline empesée où plonge le menton, et les pointes des cols en toile blanche faisant œillères aux lunettes d'or. Même le feutre mou et la vareuse des plus jeunes rapins qui n'étaient pas encore assez riches pour réaliser leurs rêves de costume à la Rubens et à la Velasquez, étaient plus élégants à coup sûr que le chapeau en tuyau de poêle et le vieil habit à plis cassés des anciens habitués de la Comédie-Française, horripilés par l'invasion de ces jeunes barbares shakespeariens. Ne croyez donc pas un mot de ces histoires. Il aurait suffi de nous faire entrer une heure avant le public; mais, dans une intention perfide, et dans l'espoir sans doute de quelque tumulte qui nécessitât ou prétextât l'intervention de la police, on fit ouvrir les portes à deux heures de l'après-midi, ce qui faisait huit heures d'attente jusqu'au lever du rideau.

      La salle n'était pas éclairée. Les théâtres sont obscurs le jour, et ne s'illuminent que la nuit. Le soir est leur aurore, et la lumière ne leur vient que lorsqu'elle s'éteint au ciel. Ce renversement s'accorde avec leur vie factice. Pendant que la réalité travaille, la fiction dort.

      Rien de plus singulier qu'une salle de théâtre pendant la journée. À la hauteur, à l'immensité du vaisseau encore agrandies par la solitude, on se croirait dans la nef d'une cathédrale. Tout est baigné d'une ombre vague où filtrent, par quelque ouverture des combles, ou quelque regard de loge, des lueurs bleuâtres, des rayons blafards contrastant avec les tremblotements rouges des fanaux de service disséminés en nombre suffisant, non pour éclairer, mais pour rendre l'obscurité visible. Il ne serait pas difficile à un œil visionnaire, comme celui d'Hoffmann, de trouver là le décor d'un conte fantastique. Nous n'avions jamais pénétré dans une salle de spectacles le jour, et lorsque notre bande, comme le flot d'une écluse qu'on ouvre, creva à l'intérieur du théâtre, nous demeurâmes surpris de cet effet à la Piranèse.

      On s'entassa du mieux qu'on put aux places hautes, aux recoins obscurs du cintre, sur les banquettes de derrière des galeries, à tous les endroits suspects et dangereux où pouvait s'embusquer dans l'ombre une clé forée, s'abriter un claqueur furieux, un prudhomme épris de Campistron et redoutant le massacre des bustes par des septembriseurs d'un nouveau genre. Nous n'étions là guère plus à l'aise que don Carlos n'allait l'être tout à l'heure au fond de son armoire; mais les plus mauvaises places avaient été réservées aux plus dévoués, comme en guerre les postes les plus périlleux aux enfants perdus qui aiment à se jeter dans la gueule même du danger. Les autres, non moins solides, mais plus sages, occupaient le parterre, rangés en bon ordre sous l'œil de leurs chefs, et prêts à donner avec ensemble sur les philistins au moindre signal d'hostilité.

      Six ou sept heures d'attente dans l'obscurité; ou, tout au moins, la pénombre d'une salle dont le lustre n'est pas allumé, c'est long, même lorsqu'au bout de cette nuit Hernani doit se lever comme un soleil radieux.

      Des conversations sur la pièce s'engagèrent entre nous, d'après ce que nous en connaissions. Quelques-uns, plus avant dans la familiarité du maître, en avaient entendu lire des fragments dont ils avaient retenu quelques vers qu'ils citaient et qui causaient un vif enthousiasme. On y pressentait un nouveau Cid, un jeune Corneille non moins fier, non moins hautain et castillan que l'ancien, mais ayant pris cette fois la palette de Shakespeare. On discutait sur les divers titres qu'avait dû porter le drame. Quelques-uns regrettaient Trois pour une, qui leur semblait un vrai titre à la Calderon, un titre de cape et d'épée, bien espagnol et bien romantique, dans le sens de La vie est un songe, des Matinées d'avril et de mai; d'autres, et avec raison, trouvaient plus de gravité au titre ou plutôt au sous-titre L'Honneur castillan, qui contenait l'idée de la pièce.

      Le plus grand nombre préférait Hernani tout court, et leur avis a prévalu, car c'est ainsi que le drame s'appelle définitivement, et que, pour nous servir de la formule homérique, il voltige, nom ailé, sur la bouche des hommes à la voix articulée.

      Dix ans plus tard, nous voyagions en Espagne. Entre Astigarraga et Tolosa, nous traversâmes au galop de mules un bourg à demi ruiné par la guerre entre les christinos et les carlistes, dont nous entrevoyions confusément dans l'ombre les murs historiés d'énormes blasons sculptés au-dessus des portes, et les fenêtres noires à serrureries compliquées, grilles et balcons touffus, témoignant d'une ancienne splendeur, et nous demandâmes à notre zagal qui courait près de la voiture, la main posée sur la maigre échine de la mule hors montoir, le nom de ce pillage; il nous répondit: «Hernani». A ces trois syllabes évocatrices, la somnolence qui commençait à nous envahir, après une journée de fatigue, se dissipa tout à coup. A travers le perpétuel tintement de grelots de l'attelage, passa comme un soupir lointain une note du cor d'Hernani. Nous revîmes, dans un éblouissement soudain, le fier montagnard avec sa cuirasse de cuir, ses manches vertes et son pantalon rouge; don Carlos dans son armure d'or, Doña Sol pâle et vêtue de blanc, Ruy Gomez de Silva debout devant les portraits de ses aïeux; tout le drame complet. Il nous semblait même entendre encore la rumeur de la première représentation.

      Victor Hugo enfant, revenant d'Espagne en France, après la chute du roi Joseph, a dû traverser ce bourg dont l'aspect n'a pas changé, et recueillir de la bouche d'un postillon ce nom bizarre, d'une sonorité éclatante, si bien fait pour la poésie, qui, mûrissant plus tard dans son cerveau comme une graine oubliée dans un coin, a produit cette magnifique floraison dramatique.

      La faim commençait à se faire sentir. Les plus prudents avaient emporté du chocolat et des petits pains,—quelques-uns—proh! pudor—des cervelas; des classiques malveillants disent à l'ail. Nous ne le pensons pas; d'ailleurs, l'ail est classique; Thestylis en broyait pour les moissonneurs de Virgile. La dînette achevée, on chanta quelques ballades d'Hugo, puis on passa à quelques-unes de ces interminables scies d'atelier, ramenant, comme les norias leurs godets, leurs couplets versant toujours la même bêtise; ensuite, on se livra à des imitations du cri des animaux dans l'arche, que les critiques du Jardin des Plantes auraient trouvées irréprochables. On se livra à d'innocentes gamineries de rapins; on demanda la tête, ou plutôt le gazon, de quelque membre de l'Institut; on déclama des songes tragiques! et l'on se permit, à l'endroit de Melpomène, toutes sortes de libertés juvéniles qui durent fort étonner la bonne vieille déesse, peu habituée à sentir chiffonner de la sorte son péplum de marbre.

      Cependant,