Название | La loi de Dieu |
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Автор произведения | Charles Deslys |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066331979 |
Aussi, le digne curé de Sainte-Adresse commençait-il à m’estimer, à m’aimer, dès ce temps-là.
Un dimanche soir,–oh! je m’en souviens comme si c’était hier,–la chaleur était accablante, et j’avais rudement travaillé durant le jour. Sentant un peu de fraîcheur dans l’air, je me redresse pour quelques instants, une main encore sur la bêche, et, du revers de l’autre, essuyant mon front trempé de sueur. (Jui est-ce que j’aperçois?… M. le curé, qui me regardait en souriant par-dessus la haie. C’est moi qui fus penaud de me voir ainsi surpris en flagrant délit de travail un dimanche.
–Pardon!…–que je voulus balbutier,– pardon… faites excuse…
Mais lui, m’interrompant d’un geste qui semblait me bénir:
–Travailler au champ de la veuve, dit-il, c’est prier Dieu, et de la bonne façon. Continue, Jacques Renaud, ça te portera bonheur!
Brave curé, va! Il disait vrai, c’est de ce commencement-là que.m’est venue la sage résolution qui fera peut-être aujourd’hui le bonheur de mon fils!
Mais n’anticipons pas sur les événements, comme j’ai lu dernièrement dans un livre.»
VI
En cet endroit de son récit, le père de Maurice reprit haleine.
M. Durand, qui tout d’abord avait manifesté .quelque impatience, commençait à devenir plus attentif.
Jacques s’en aperçut, il s’empressa de poursuivre:
«Six années s’étaient écoulées depuis la mort de Jean-Marie. Magdeleine ne se consolait pas de sa perte. Sans cesse elle priait pour lui; elle y pensait toujours. Dieu lui fit la grâce de la rejoindre.
Au moment du départ, elle me dit:
–Jacques, ma fille a dix-huit ans, Loi trente-deux. Tu es assez jeune encore pour être son. mari. promets-moi qu’elle sera ta femme, et je mourrai tranquille.
Stupéfait, croyant rêver, n’osant croire à tant de bonheur, je regardai Jeanne.
En baissant les yeux, elle me tendit la main.
Le bon curé était là, qui plaça cette main dans la mienne. Et Magdeleine rendit l’âme, en bénissant ses enfants;
Nous étions fiancés, nous fûmes bientôt époux. Puis, notre Maurice vint au monde.
Le soir même des relevailles de Jeanne, auprès du berceau de son fils, elle me dit:
–Jacques, c’est toujours cinq francs que tu gagnes par jour, comme au temps de ma mère?
–Six maintenant, ma Jeanne. car je suis devenu plus habile dans mon état, et, du reste, le salaire augmente.
–Bravo! Ce sera mieux encore que je ne l’espérais.
– Qu’espérais-tu, femme ?... Voyons...
–Tu comptes toujours travailler le lundi. n’est-ce pas?
–Assurément, c’est une habitude prise.
–Eh bien!… puisque ma pauvre mère n’est plus là maintenant, il faut que tous tes lundis à venir soient pour Maurice.
–Fameuse idée!… J’y souscris des deux mains.
–Ça ne suffit pas, mon Jacques; il me faut un serment.
–Sur quoi?
–Sur notre fils.
Et doucement, pour ne pas le réveiller, elle écarta les rideaux de la bercelonnette.
L’enfant semblait nous sourire dans son sommeil.
–Jeanne, dis-je, il n’y a pas seulement les lundis, il y a encore les dimanches.
–Que veux-tu dire?
–Une promenade avec toi me suffit à présent, et ne coûte rien. Jadis, chaque dimanche, je dépensais à la guinguette au moins six francs. si nous doublions la somme?
–Non. Ce serait peut-être plus que nous ne pourrions, Jacques.,
–Eh bien!… dix francs par semaine?
–Va pour dix francs. Jure…
J’étendis solennellement la main au-dessus du berceau, je répondis:
–Devant la chère ombre de maman Magdeleine comme devant Dieu, je’jure de ne jamais riboter le dimanche, et de travailler tous les lundis pour mon fils Maurice. Total: dix francs par semaine que je m’engage à déposer, chaque samedi soir, dans une tire-lire que j’achèterai dès demain…
Jeanne m’interrompit:
–C’est déjà fait, j’en ai acheté une tantôt, en revenant de l’église… et la voici, Jacques?
C’était justement un samedi, ma paie se trouvait encore dans ma poche.
J’en sortis deux beaux écus tout neufs.
–Attends! dit Jeanne.
Et, toute souriante, elle plaça la tire-lire entre les petits doigts de l’enfant qui, bien que toujours endormi, semblait me la présenter lui-même.
Tandis que ma main y laissait tomber les deux pièces de cinq francs, sur cette main Jeanne mit un baiser.
C’était, comme qui dirait, le sceau du pacte que nous venions de conclure; il n’y avait plus à s’en dédire. Aussi, jamais les dix francs de Maurice n’ont manqué, pas plus qu’à chaque matin la lumière du jour.
Je crois même que de son côté, sur son propre travail, en cachette de moi, la bonne mère y glissait quelquefois un supplément de petites pièces blanches.
Tant et si bien qu’en moins de deux ans la tirelire se trouva pleine.
Comment faire?
–Il y a la caisse d’epargne, me dit Jeanne, c’est la grande tire-lire à tout le monde.
–Et qui plus est, ajoutai-je, l’argent y rapporte un intérêt.
En conséquence, ce fut là que désormais, chaque dimanche matin, ensemble tous les deux, bras dessus bras dessous, nous portâmes les capitaux de M. Maurice.
Mais ne voilà-t-il pas qu’un beau jour on me dit que le total arrive au maximum, et qu’il n’y a plus de place non plus dans la tire-lire du gouvernement.
Ah! je l’avoue, nous fûmes bien embarrassés tout d’abord.
Mais le receveur m’ayant fait observer qu’il m’était possible d’avoir de plus gros intérêts, j’ouvris l’œil et cherchai tout de suite un autre placement.
J’avais pour cousin le plus habile pêcheur de Trouville, laborieux, du reste, et probe comme l’or: un Renaud, c’est tout dire. Il lui manquait deux mille francs pour se faire construire une barque neuve. J’achetai à Maurice une part dans cette barque, qui, par un singulier hasard, fut appelée la Jeanne-Marie. Quoique bien vieille aujourd’hui, elle conserve encore le renom d’être la plus chanceuse de toutes.
Puis, tandis que ce premier magot pêchait pour l’enfant, nous commençâmes à lui en amasser un second, qui fut placé non moins avantageusement. Et ainsi de suite.
Dame! sans être un grand financier comme toi, on n’en est pas moins ne natif de Normandie, on a l’instinct de l’argent.
Mais,