Les Femmes de la Révolution. Jules Michelet

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Название Les Femmes de la Révolution
Автор произведения Jules Michelet
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066085667



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arracha les fortes pierres, les massives grilles de fer, en rasa les tours.

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      Le caractère de ce moment unique, c'est que les partis y deviennent des religions. Deux religions se posent en face, l'idolâtrie dévote et royaliste, l'idéalité républicaine. Dans l'une, l'âme, irritée par le sentiment de la pitié même, rejetée violemment vers le passé qu'on lui dispute, s'acharne aux idoles de chair, aux dieux matériels qu'elle avait presque oubliés. Dans l'autre, l'âme se dresse et s'exalte au culte de l'idée pure; plus d'idoles, nul autre objet de religion que l'idéal, la patrie, la liberté.

      Les femmes, moins gâtées que nous par les habitudes sophistiques et scolastiques, marchent bien loin devant les hommes dans ces deux religions. C'est une chose noble et touchante, de voir parmi elles, non-seulement les pures, les irréprochables, mais les moins dignes même, suivre un noble élan vers le beau désintéressé, prendre la patrie pour amie de cœur, pour amant le droit éternel.

      Les mœurs changent-elles alors? non, mais l'amour a pris son vol vers les plus hautes pensées. La patrie, la liberté, le bonheur du genre humain, ont envahi les cœurs des femmes. La vertu des temps romains, si elle n'est dans les mœurs, est dans l'imagination, dans l'âme, dans les nobles désirs. Elles regardent autour d'elles où sont les héros de Plutarque; elles les veulent, elles les feront. Il ne suffit pas, pour leur plaire, de parler Rousseau et Mably. Vives et sincères, prenant les idées au sérieux, elles veulent que les paroles deviennent des actes. Toujours elles ont aimé la force. Elles comparent l'homme moderne à l'idéal de force antique qu'elles ont devant l'esprit. Rien peut-être n'a plus contribué que cette comparaison, cette exigence des femmes, à précipiter les hommes, à hâter le cours rapide de notre révolution.

      Cette société était ardente! Il nous semble, en y entrant, sentir une brûlante haleine.

      Nous avons vu, de nos jours, des actes extraordinaires, d'admirables sacrifices, des foules d'hommes qui donnaient leurs vies; et pourtant, toutes les fois que je me retire du présent, que je retourne au passé, à l'histoire de la Révolution, j'y trouve bien plus de chaleur; la température est tout autre. Quoi! le globe aurait-il donc refroidi depuis ce temps?

      Des hommes de ce temps-là m'avaient dit la différence, et je n'avais pas compris. À la longue, à mesure que j'entrais dans le détail, n'étudiant pas seulement la mécanique législative, mais le mouvement des partis, non-seulement les partis, mais les hommes, les personnes, les biographies individuelles, j'ai bien senti alors la parole des vieillards.

      La différence des deux temps se résume d'un mot: On aimait.

      L'intérêt, l'ambition, les passions éternelles de l'homme, étaient en jeu, comme aujourd'hui; mais la part la plus forte encore était celle de l'amour. Prenez ce mot dans tous les sens, l'amour de l'idée, l'amour de la femme, l'amour de la patrie et du genre humain. Ils aimèrent et le beau qui passe, et le beau qui ne passe point; deux sentiments mêlés alors, comme l'or et le bronze, fondus dans l'airain de Corinthe[2].

      Les femmes règnent alors par le sentiment, par la passion, par la supériorité aussi, il faut le dire, de leur initiative. Jamais, ni avant ni après, elles n'eurent tant d'influence. Au dix-huitième siècle, sous les encyclopédistes, l'esprit a dominé dans la société; plus tard, ce sera l'action, l'action meurtrière et terrible. En 91, le sentiment domine, et, par conséquent, la femme.

      Le cœur de la France bat fort à cette époque. L'émotion, depuis Rousseau, a été croissant. Sentimentale d'abord, rêveuse, époque d'attente inquiète, comme une heure avant l'orage, comme dans un jeune cœur l'amour vague avant l'amant. Souffle immense, en 89, et tout cœur palpite... Puis 90, la Fédération, la fraternité, les larmes... En 91, la crise, le débat, la discussion passionnée.—Mais partout les femmes, partout la passion individuelle dans la passion publique; le drame privé, le drame social, vont se mêlant, s'enchevêtrant; les deux fils se tissent ensemble; hélas! bien souvent, tout à l'heure, ensemble ils seront tranchés!

      Une légende anglaise circulait, qui avait donné à nos Françaises une grande émulation. Mistress Macaulay, l'éminent historien des Stuarts, avait inspiré au vieux ministre Williams tant d'admiration pour son génie et sa vertu, que, dans une église même, il avait consacré sa statue de marbre comme déesse de la Liberté.

      Peu de femmes de lettres alors qui ne rêvent d'être la Macaulay de la France. La déesse inspiratrice se retrouve dans chaque salon. Elles dictent, corrigent, refont les discours qui, le lendemain, seront prononcés aux clubs, à l'Assemblée nationale. Elles les suivent, ces discours, vont les entendre aux tribunes; elles siègent, juges passionnées, elles soutiennent de leur présence l'orateur faible ou timide. Qu'il se relève et regarde... N'est-ce pas là le fin sourire de madame de Genlis, entre ses séduisantes filles, la princesse et Paméla? Et cet œil noir, ardent de vie, n'est-ce pas madame de Staël? Comment faiblirait l'éloquence?... Et le courage manquera-t-il devant madame Roland?

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      Les hommes ont fait le 14 juillet, les femmes le 6 octobre. Les hommes ont pris la Bastille royale, et les femmes ont pris la royauté elle même, l'ont mise aux mains de Paris, c'est-à-dire de la Révolution.

      L'occasion fut la famine. Des bruits terribles circulaient sur la guerre prochaine, sur la ligue de la reine et des princes avec les princes allemands, sur les uniformes étrangers, verts et rouges, que l'on voyait dans Paris, sur les farines de Corbeil qui ne venaient plus que de deux jours l'un, sur la disette qui ne pouvait qu'augmenter, sur l'approche d'un rude hiver... Il n'y a pas de temps à perdre, disait-on; si l'on veut prévenir la guerre et la faim, il faut amener le roi ici; sinon, ils vont l'enlever.

      Personne ne sentait tout cela plus vivement que les femmes. Les souffrances, devenues extrêmes, avaient cruellement atteint la famille et le foyer. Une dame donna l'alarme, le samedi 3, au soir; voyant que son mari n'était pas assez écouté, elle courut au café de Foy, y dénonça les cocardes antinationales, montra le danger public. Le lundi, aux halles, une jeune fille prit un tambour, battit la générale, entraîna toutes les femmes du quartier.

      Ces choses ne se voient qu'en France; nos femmes font des braves et le sont. Le pays de Jeanne d'Arc, et de Jeanne de Montfort, et de Jeanne Hachette, peut citer cent héroïnes. Il y en eut une à la Bastille, qui, plus tard, partit pour la guerre, fut capitaine d'artillerie; son mari était soldat. Au 18 juillet, quand le Roi vint à Paris, beaucoup de femmes étaient armées. Les femmes furent à l'avant-garde de notre Révolution. Il ne faut pas s'en étonner, elles souffraient davantage.

      Les grandes misères sont féroces, elles frappent plutôt les faibles, elles maltraitent les enfants, les femmes bien plus que les hommes. Ceux-ci vont, viennent, cherchent hardiment, s'ingénient, finissent par trouver, au moins pour le jour. Les femmes, les pauvres femmes, vivent, pour la plupart, renfermées, assises, elles filent, elles cousent; elles ne sont guère en état, le jour où tout manque, de chercher leur vie. Chose douloureuse à penser, la femme, l'être relatif qui ne