La Renaissance de la littérature hébraïque (1743-1885). Nahum Slouschz

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Название La Renaissance de la littérature hébraïque (1743-1885)
Автор произведения Nahum Slouschz
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066084257



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d'abord faire disparaître les divergences extérieures qui les séparaient de leurs concitoyens. Une traduction nouvelle de la Bible en allemand littéraire, entreprise par Mendelssohn, devait donner le coup de grâce à l'usage du jargon judéo-allemand. D'autre part, le Biour ou commentaire de la Bible (d'où le nom de Biouristes donné à cette école), sorti de la collaboration d'une pléiade de savants et de lettrés, devait faire table rase de toute interprétation mystique et allégorique des Livres sacrés et introduire la méthode rationnelle et scientifique.

      L'œuvre de cette école a certainement contribué au relèvement intellectuel de la masse juive ainsi qu'à la propagation de la langue allemande qui finit par se substituer au jargon judéo-allemand. Son influence ne s'est pas arrêtée aux juifs allemands, mais elle s'est également étendue sur les communautés de l'Est de l'Europe.

      En 1785, deux écrivains hébreux de Breslau, Isaac Eichel et B. Landau, entreprennent, sous les auspices de Mendelssohn et de Wessely, la publication d'un recueil périodique intitulé Hameassef (le Collecteur), d'où le nom de Meassfim donné à cette école. Le Meassef poursuivait un but double, la propagation des sciences et des idées modernes en hébreu, seule langue accessible aux juifs du ghetto,—et l'épuration de cette langue dégénérée dans les écoles rabbiniques. Il devait initier ses lecteurs aux exigences sociales et esthétiques de la vie moderne et les débarrasser de leur particularisme séculaire. Le Meassef eut aussi le mérite de grouper pour la première fois sous une même égide les champions de la Haskala (humanisme) de divers pays et de servir de trait d'union entre eux.

      Au point de vue littéraire, le Meassef ne présente qu'un intérêt médiocre. Ses collaborateurs, dénués de goût, offraient aux lecteurs des imitations des auteurs romantiques allemands d'une valeur contestable. Il ne révéla aucun talent nouveau vraiment digne de ce nom. La réputation dont jouissaient ses principaux collaborateurs était antérieure à son apparition. Ils la devaient surtout à la vogue que les lettres hébraïques avaient acquise grâce aux efforts des disciples de Luzzato.—C'était plutôt une œuvre de propagande et de polémique. Cependant la lutte contre les préjugés et les rabbins n'y atteint pas encore cette âpreté qui caractérise les époques postérieures.

      Les événements se précipitèrent d'une façon inattendue avec la Révolution française, et le Meassef disparut après sept ans d'existence, non sans avoir apporté un appoint à l'œuvre de l'émancipation intellectuelle des juifs allemands et à la renaissance laïque de la langue hébraïque. Et telle était l'importance de cette première rencontre de lettrés hébreux qu'elle sut imposer son nom à tout le mouvement littéraire de la seconde moitié du xviiie siècle, appelé: époque des Meassfim.

      Deux poètes et cinq ou six écrivains plus ou moins dignes de ce nom dominent cette époque.

      Naphtali Hartwig Wessely, né à Hambourg (1725-1805), est considéré comme le prince des poètes de l'époque. Issu d'une famille aisée et assez éclairée, il reçut une éducation moderne. Esprit ouvert à toutes les influences nouvelles, il resta néanmoins attaché à sa croyance et ne s'est jamais écarté du terrain strictement religieux. Bel esprit, il cultiva avec succès la poésie et acheva l'œuvre de la Réforme commencée par le poète italien sans atteindre pourtant à l'originalité et à la profondeur de ce dernier.

      Son chef-d'œuvre poétique est les Schiré Tifereth ou la «Moïsiade»[10], chant épique en cinq volumes. Ce poème de l'Exode est conçu d'après le modèle des pseudo-classiques allemands du temps. L'influence de la Messiade de Klopstock est flagrante.

      La profondeur de la pensée, le sentiment artistique et l'imagination poétique personnelle font défaut dans cette œuvre, qui n'est en somme qu'une paraphrase oratoire du récit biblique. Les mêmes défauts se retrouvent, d'ailleurs, dans toutes les poésies de Wessely. Mais, en revanche, il possède un style oratoire d'une allure remarquable, et il écrit en un hébreu élégant et châtié. Cette correction du style très travaillé et cette absence même de tempérament poétique font de lui le Malherbe de la poésie hébraïque moderne. L'admiration professée pour le poète par ses contemporains fut très grande, et le grand nombre d'éditions qu'eut son poème, devenu un livre populaire estimé par les orthodoxes mêmes, témoignent de l'influence que le poète a exercée sur ses coreligionnaires et de l'importance croissante de la langue hébraïque. Wessely a aussi écrit plusieurs ouvrages importants sur la philologie juive. Il faut regretter que le style diffus et par trop prolixe de sa prose ait empêché d'apprécier la valeur scientifique de ces écrits. Ami et admirateur de Mendelssohn, il participa à la traduction allemande de la Bible et à l'œuvre des commentateurs.

      Son recueil, intitulé Gan-Naoul (Jardin fermé), publié à Berlin en 1765 et consacré à des questions de grammaire et de philologie, atteste les connaissances profondes de l'auteur. Ce qui fait le plus d'honneur à Wessely, c'est la fermeté de son caractère et son amour de la vérité. Il le prouve dans son pamphlet, Dibreï Schalom weemeth, «Paroles de paix et de vérité», publié à Berlin en 1787 à l'occasion de l'édit de l'empereur Joseph II ordonnant la réforme de l'enseignement juif et la fondation des écoles modernes. Quoique arrivé à un âge avancé, il ne recula pas devant la crainte d'attirer sur lui le courroux des fanatiques, et il se prononça ouvertement en faveur des réformes scolaires. Avec une modestie et une douceur remarquables, le vieux poète démontre toute l'urgence de ces réformes et affirme qu'elles ne sont pas contraires à la foi mosaïque et rabbinique. Cet acte courageux lui valut l'excommunication de la part des fanatiques. Il lui valut aussi d'être considéré comme le personnage le plus considérable de l'École des Meassfim et comme le maître des Maskilim.

      Parmi les collaborateurs les plus distingués du Meassef, se place aussi l'autre poète en titre de l'époque, David Franco Mendès (1713-1792), né à Amsterdam d'une famille échappée à l'inquisition et qui, comme la plupart des familles originaires d'Espagne, avait conservé l'usage de la langue espagnole. Il fut l'ami et le disciple de Moïse-Hayim Luzzato, qu'il imita. Si dans l'Europe orientale la langue hébraïque prédominait dans le ghetto et obligeait tous ceux qui voulaient s'adresser aux masses juives à avoir recours à elle, il n'en était pas de même dans les pays romans. Là, l'hébreu fut peu à peu supplanté par la langue du pays. Mendès, qui avait voué un véritable culte aux lettres hébraïques, était affligé de les voir si dédaignées par ses coreligionnaires, qui leur préféraient la littérature classique française. Dans sa préface à la tragédie Guemoul Atalia (La récompense d'Athalie), publiée à Amsterdam en 1770, il s'efforce de démontrer la supériorité de la langue sacrée sur les langues profanes. En vérité, cette pièce, malgré les protestations de son auteur, n'est qu'un remaniement assez peu heureux de la tragédie de Racine. On y remarque un style pur et classique et quelques scènes animées d'une certaine vivacité d'action.

      Nous possédons un autre drame historique de Mendès, intitulé Judith, publié également à Amsterdam, et dont le mérite n'est pas supérieur à celui de sa première tragédie, ainsi que plusieurs études biographiques sur les savants du Moyen-âge publiées dans le Meassef.

      Mendès n'a certainement pas réussi à faire concurrence aux modèles italiens et français dont il s'inspira. Il n'en fut pas moins approuvé et admiré par les lettrés de son temps, qui voyaient en lui l'héritier de Luzzato.

      Nous ne pouvons énumérer tous les lettrés et les érudits qui ont, d'une façon directe ou non, contribué à l'action du Meassef. Contentons-nous de citer ceux qui se sont distingués par une certaine originalité d'esprit.

      C'est à Breslau que vécut le rabbin Salomon Papenheim (1776-1814), auteur d'une élégie sentimentale Arba Kossoth (Les Quatre Coupes), inspirée des Nuits de Young, et publiée à Berlin en 1790. Cette élégie est remarquable par le souffle poétique personnel de l'auteur. Dans des plaintes rappelant Job, et tel un Werther hébreu, il pleure, non pas la perte de sa bien-aimée—ce qui n'eût pas été conforme à l'esprit du ghetto—mais celle de sa femme et de ses trois enfants. Cette élégie a eu la chance de devenir un poème populaire.

      Mais cette sentimentalité fade et le style précieux