Название | Anie |
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Автор произведения | Hector Malot |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066089573 |
Hélas ! combien ceux qu'il examinait ressemblaient peu à ce type !
Et, cependant, elle leur souriait, aimable, gracieuse, leur parlant, les écoutant, paraissant intéressée par ce qu'ils lui disaient. Elle les acceptait donc, les uns comme les autres, indifféremment, celui-ci comme celui-là, n'exigeant d'eux qu'une qualité, celle de mari, et ce mari la façonnerait à son image, lui imposerait ses goûts, ses idées, sa vie.
Si la vue de ces futurs gendres le blessait, leurs paroles, au cas où il eût pu les entendre, l'eussent révolté bien plus encore.
L'histoire du frère se mourant en Béarn avait été acceptée, et si personne n'avait cru au chiffre de cent mille francs de rente, tout le monde avait admis un héritage, changeant du tout au tout la situation d'Anie qui n'était plus celle d'une pauvre fille sans dot, condamnée à traîner la misère toute sa vie, et à ne se marier jamais. Dangereuse quelques instants auparavant, à ce point qu'il n'était pas un jeune homme qui ne se tint avec elle sur la réserve et la défensive, elle était instantanément devenue désirable et épousable ; sa beauté même avait changé de caractère, on ne pensait plus à la contester ou à lui chercher des défauts, c'était éblouissante, irrésistible qu'on la voyait maintenant, la belle fille !
René Florent, le premier, lui avait révélé ce changement comme le prodige achevait son morceau ; il s'était, au milieu du brouhaha soulevé par les applaudissements, approché d'elle, pour lui demander le premier quadrille. Il dansait donc, le critique hargneux ! Surprise, elle avait répondu que ce quadrille était promis. Il avait insisté, il ne pouvait pas rester tard, étant obligé de se montrer dans trois autres maisons encore ce soir-là, et il tenait à danser avec elle ; c'était une manière d'affirmer le cas qu'il faisait de son talent ; cela serait compris de tous ; rien n'est à négliger au début d'une carrière d'artiste.
Bien que Florent ne fût pas d'âge à ne pas danser, c'était la première fois qu'elle le voyait faire une invitation, et cette insistance chez un homme rogue, qui partout pontifiait, avait de quoi la surprendre. Il l'avait à peine quittée, que d'autres danseurs s'étaient empressés autour d'elle ; jamais elle n'avait eu pareil succès ; était-ce donc à l'originalité de sa toilette qu'elle le devait ?
Mais sa conversation avec Florent pendant le quadrille lui montra que sa robe en papier n'était pour rien dans l'amabilité subite du critique.
— Vous avez dû me trouver bien sévère tout à l'heure, dit-il d'un ton gracieux qu'elle ne lui connaissait pas.
— Juste, simplement.
— Je me demande si le besoin de justice qui est en moi ne m'a pas entraîné précisément dans l'injustice ; je n'ai parlé que de ce que j'avais sous les yeux et évidemment il y a en vous autre chose que cela ; cet autre chose, j'aurais dû le dégager.
Ils furent séparés pour un moment.
— Ce qui vous a manqué jusqu'à présent, dit-il lorsqu'il fut revenu à elle, c'est une direction ferme qui vous arrache aux contradictions de vos divers professeurs. Avec cette direction, je suis certain que vous ne tarderez pas à vous faire une belle place ; il y a en vous assez de qualités pour cela.
Comme elle le regardait, surprise :
— C'est sérieusement que je parle, dit-il, sincèrement.
— Où la trouver, cette direction ? demanda-t-elle.
— Qui ne serait heureux de mettre son savoir au service d'une organisation telle que la vôtre ? Ce serait un mariage comme un autre. Au reste, nous en reparlerons si vous le voulez bien.
Le quadrille était fini ; il la ramena à sa place, et la salua avec toutes les marques d'une déférence stupéfiante pour ceux qui la remarquèrent.
Que signifiait ce langage extraordinaire et cette attitude inexplicable chez un homme de ce caractère ? Elle n'avait pas encore trouvé de réponses satisfaisantes, quand son danseur vint la prendre pour la polka qui suivait le quadrille.
Celui-là appartenait à un genre opposé à celui de Florent ; aussi aimable, aussi insinuant, aussi souriant que le critique était rogue et hargneux. Dans le monde où allait Anie, plus d'une jeune fille aurait bien voulu, et avait même tenté de se faire épouser par lui, mais aucune n'avait persévéré, car toutes avaient vite reconnu que s'il était d'une abondance intarissable tant qu'on restait dans le domaine du sentiment, il devenait instantanément sourd et muet dès qu'on menaçait de glisser dans celui des choses sérieuses : offrir son cœur, tant qu'on voulait, sa main, jamais ; et, si on le poussait, il expliquait franchement qu'on ne peut pas raisonnablement penser au mariage, quand on n'est qu'un petit employé de la ville.
Après quelques tours de polka, il amena Anie dans le hall, et là s'arrêtant :
— Excusez-moi d'être préoccupé ce soir, dit-il, j'ai reçu de mauvaises nouvelles de mes parents.
C'était la première fois qu'il parlait de ses parents, et elle n'avait pas remarqué qu'il fût le moins du monde préoccupé, elle le regarda donc avec un peu d'étonnement.
Il reprit :
— Mon père en est à sa seconde attaque, et ma mère est tombée dans une faiblesse extrême. Je crains de les perdre d'un instant à l'autre. Voulez-vous que nous fassions encore un tour ?
Il dura peu, ce tour, et la conversation recommença au point où elle avait été interrompue :
— Cela amènera de grands changements dans ma vie, car ce n'est pas systématiquement que j'ai, jusqu'à ce moment, refusé de me marier ; comment prendre une femme quand on n'a pas une position digne d'elle à lui offrir ? Sans être riches, mes parents sont à leur aise, et si je les perds, comme tout le fait craindre, je pourrai réaliser un rêve de bonheur que je caresse depuis longtemps.
Et, la ramenant dans le salon, il ajouta :
— Ils avaient toujours joui d'une bonne santé qu'ils m'ont transmise.
Est-ce que c'était là une esquisse de demande en mariage ? Mais alors les paroles bizarres de René Florent en seraient une autre !
Son père joua l'introduction d'une valse, et le jeune homme à qui elle l'avait promise lui offrit le bras.
C'était la première fois qu'il venait rue de l'Abreuvoir, et ç'avait été un souci pour Mme Barincq et aussi pour Anie de savoir s'il accepterait leur invitation, car on en avait fait un personnage parce qu'il figurait dans le Tout-Paris avec la qualité d'homme de lettres et une série de signes qui signifiaient qu'il était officier de l'instruction publique et chevalier de quatre ordres étrangers. En réalité il n'avait jamais publié le moindre volume, et ses croix avaient été gagnées, comme il le disait lui-même en ses jours de modestie, « par relations », c'est-à-dire pour avoir conduit chez des photographes des personnages exotiques en vue qui le remerciaient de sa peine par la décoration de leur pays, tandis que de son côté le photographe lui payait son courtage un louis ou cent francs selon la qualité du sujet.
Lui aussi, après quelques tours de valse dans le salon, amena Anie dans le hall, qui décidément était le lieu des confidences ; et là, s'arrêtant, il lui dit brusquement sans aucune préparation, d'une voix que la valse rendait haletante :
— Est-ce que vous aimez la vie politique, mademoiselle ? Aux prochaines élections j'aurai juste l'âge pour être député, et comme le ministre de l'intérieur, qui est mon cousin, m'a promis l'appui du gouvernement, je suis sûr d'être nommé. Député je deviendrai bien vite ministre. La femme d'un ministre compte dans le monde, et quand elle est belle, intelligente, distinguée, elle tient un rang qu'on envie. Nous continuons, n'est-ce pas ?
Et sans un mot de plus ils retournèrent dans le salon en valsant.
Ce qui tout d'abord était vague et incompréhensible se précisait maintenant,