Les crimes de l'amour. Маркиз де Сад

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Название Les crimes de l'amour
Автор произведения Маркиз де Сад
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082932



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issu de la seconde race de nos rois, et à revendiquer la couronne à ce titre sur les descendants de Hugues Capet. Admettons un instant cette idée, la favoriserez-vous en rompant d'illustres alliances pour en contracter une si forte au-dessous de vous?

      Ainsi, soit que vous aspiriez au plus haut degré de gloire, soit que vous vous contentiez de celui où vous êtes, dans tous les cas, vos projets sont indignes de vous; monsieur le duc, vous devez aux Français l'exemple des vertus, peut-être avez-vous besoin d'en montrer plus qu'un autre pour effacer les torts dont on vous accuse. Que ce ne soit donc pas dans un moment tel que celui-ci, où la plus répréhensible des faiblesses vienne achever de répandre sur vos actions, un louche, dont vos ennemis ne profiteraient que trop vite. C'est à la postérité, monsieur, qu'un homme comme vous répond de ses démarches, et il ne doit pas en être une seule dans tout le cours de sa vie qui puisse le faire rougir un instant.

      —Comte, répondit monsieur de Guise, si vous aviez jamais éprouvé les sentiments que Juliette m'inspire, vous auriez un peu plus d'indulgence pour moi: jamais, mon ami, jamais aucune passion ne s'introduisit plus vivement dans un cœur; ses yeux ont changé mon existence entière, il n'est pas une seule minute dans la journée où je ne sois rempli de son image; et si quelquefois la reine ou son époux veulent trouver en moi le ministre, anéanti du trouble qui me presse, je ne leur montre plus que l'amant. Avec l'âme que vous me connaissez, Sancerre, cette passion peut-elle être soumise à des devoirs? Et vous étonnerez-vous de tous les moyens que je prendrai pour m'assurer l'objet de mon idolâtrie?...... Non, il n'en sera aucun que je n'emploie pour devenir l'amant ou le mari de Juliette; fortune, honneur, considération, crédit, espoir, hymen, enfants, tout...... tout s'immolera dans l'instant aux genoux de celle que j'adore, je ne me plaindrai que de la médiocrité des sacrifices; et si comme vous le dites l'ambition pouvait me donner des remords, ce serait tout au plus ceux de ne pouvoir lui offrir que la seconde place de l'état.

      Sancerre combattit vivement ces résolutions du délire, il employa tout ce qu'il crut de plus persuasif, et de plus éloquent; mais, monsieur de Guise fut inébranlable; et le comte n'osant plus insister se retira, content de rapporter au moins à sa protégée, la permission de voir le baron de Castelnau, promise depuis plusieurs jours, et retardée par les nouveaux troubles.

      Juliette versa des larmes bien amères, en apprenant que rien au monde ne pouvait changer les résolutions de monsieur de Guise.

      —Ô mon ami, dit-elle le même soir à Raunai! il n'est donc que trop sûr que le Ciel ne nous avait pas destinés l'un à l'autre! Quel horrible avenir se présente à mes yeux! il faudra que je devienne la femme de cet homme barbare, souillé du meurtre de nos frères!... Je serai réduite à l'horreur de partager son lit!.... Infortunée! il faut que je perde mon amant ou mon père; il faut que j'immole ou mon amour ou l'être précieux qui m'a donné la vie! voilà donc l'usage que ces hommes d'état font des pouvoirs qui leur sont confiés! et ces fers qui s'appesantissent sur nous, tous ces fléaux qui nous accablent...... au nom d'un souverain...... à chaque instant trompé lui-même, ne sont donc que les moyens des passions de ces hommes puissants.... que les armes secrètes dont ils usent pour les assouvir!..... Il faut qu'elles le soient ou que nous gémissions...; il faut qu'ils deviennent heureux, ou que le sang coule!..... Je voudrais que mes jours... Hélas! ils ne sauveraient rien.... nous n'en péririons pas moins tous les deux.

      —Juliette, répondit Raunai, mille sentiments confus m'animent à la fois.... Je puis sortir d'Amboise comme j'y suis entré.... je puis rejoindre mes amis, revenir avec eux sous ces remparts délivrer et ton père et toi, trancher sans aucune pitié les jours de ces cruels despotes qui se font un jeu d'abréger les nôtres, les pulvériser tous au pied du trône que leur tyrannie déshonore, et mériter enfin ton cœur, après avoir immolé nos bourreaux.

      L'inaction où je reste pendant que l'on s'abreuve du sang de nos frères m'avilit à mes propres yeux; je voulais embrasser tes genoux.... J'ai réussi... Laisse-moi revoler au combat...... laisse-moi fuir les murs de cette ville odieuse, je ne veux plus y revenir que triomphant; je ne veux plus que tu m'y voyes, qu'apportant à tes pieds la tête de nos persécuteurs.

      —Non, calme-toi Raunai, je verrai demain mon père..... Je l'entendrai... peut-être après, te communiquerai-je un dessein plus sûr pour finir nos maux personnels, puisque nous ne pouvons aspirer à l'honneur de terminer ceux de nos compagnons d'infortune.... calme-toi, cher et unique amant, aime Juliette, que l'idée d'en être adoré te console, et sois sûr que qui que ce soit dans l'univers n'acquerra sur son cœur, des droits.... qui ne peuvent appartenir qu'à toi seul.

      Mademoiselle de Castelnau ne tarda point à profiter de la permission qu'elle avait obtenue de voir son père; elle vole à la prison. Le baron n'était point prévenu; cette surprise pensa lui coûter la vie; il fut quelques instants sans connaissance dans les bras de Juliette.

      —Oh! chère fille, s'écria-t-il, dès que ses yeux furent rouverts au jour, je craignais bien que les barbares ne me traînassent à l'échafaud sans qu'il me fût possible de t'embrasser pour la dernière fois.

      —Vous ne mourrez point, mon père, répondit Juliette; je suis la maîtresse de vos jours; un mot de moi peut vous les conserver.

      —Un mot! que veux tu dire?... Si ce mot te coûtait l'honneur, Juliette, je ne voudrais point d'une vie payée de ton opprobre.

      —Ô! mon père, ce n'est pourtant qu'à ces conditions que je puis vous arracher des mains de nos ennemis... Le duc de Guise.... Il veut que je cède à sa passion; et dès qu'il est enchaîné par l'hymen, ce qu'il exige peut-il avoir lieu sans qu'il en coûte un crime, à lui, ou l'honneur à votre malheureuse fille?

      —Ah! Juliette, reprit fermement Castelnau, laisse-moi périr; j'ai vécu; ce serait acheter trop cher le peu de jours que je dois languir ici-bas.... Non, mon enfant, non; je ne les paierai point au prix de ton honneur et de ta félicité. Je le savais trop bien que ces tyrans n'étaient mus que par l'égoïsme, et que l'ambition était l'unique cause de leurs crimes. Mais il est un Dieu juste qui nous vengera, chère fille, un Dieu puissant aux yeux duquel les malheurs sont des droits, et les vertus des titres. Élevée dans la plus pure des religions, garde-toi d'en oublier les principes; qu'ils te servent à jamais d'égide contre les séductions de ces idolâtres, et puisque ma vie ne peut plus garantir ta jeunesse, que ma mort au moins t'encourage.... Tu la verras, ma fille, oui, je demanderai de mourir dans tes bras, et mon âme, bientôt aux pieds de l'Eternel, obtiendra de lui cette protection, que mes revers m'empêchent de t'accorder....

      Et Juliette, anéantie dans les bras de son père, ne pouvait que gémir et répandre des larmes.

      —Ne pleurs pas, chère fille, reprit le baron, ne t'afflige pas; tu le retrouveras dans le ciel ce père infortuné que l'on t'enlève sur la terre; il va préparer l'Être Suprême à te faire jouir des faveurs que ta conduite et ta religion doivent te faire espérer de lui.... il va t'attendre dans le sein d'un Dieu.... Ô! ma fille, voilà donc ce que c'est que le monde.... ses espérances.... et ses biens!... Élevé à la cour, fait pour prétendre à tout, l'ami, le compagnon de ces gens-ci, ayant versé près d'eux mon sang pour la patrie.... parce que je ne veux pas adopter leurs erreurs...... parce que je hais leurs sacrilèges et leur impiété...... que je veux en un mot, adorer Dieu dans la pureté de l'Evangile.... tous ces amis.... tous ces camarades sont aujourd'hui mes juges, et demain seront mes bourreaux. Eh! qui leur a donc dit que leur cause est la bonne? Ont-ils entendu mieux que moi la parole divine? Fut-il même vrai que je me trompasse...... une erreur dans le culte doit-elle être mise au rang des crimes? L'Eternel peut-il être honoré par du sang; et ceux qui, pour le servir, osent lui sacrifier des hommes, ne sont-ils point, par cela seul, dans l'erreur et le mauvais chemin?.... N'importe, ma fille, n'importe; je mourrai, puisqu'il le faut...... Oui, je mourrai certainement, puisque je ne pourrais conserver la vie qu'aux dépens de ton honneur.... Mais le brave Raunai, chère fille, qu'est-il devenu dans ce tumulte?

      Mademoiselle de Castelnau apprit à son père tout ce qui concernait son amant... elle lui dit qu'il était dans Amboise; elle lui conta comme il s'y était introduit, et l'envie qu'il avait d'en sortir pour tenter un nouveau coup de main.