Ghislaine. Hector Malot

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Название Ghislaine
Автор произведения Hector Malot
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089009



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pour mari, et aussi qui peut prétendre à ta main; quelqu'un que tu connais, au moins pour l'avoir vu; quand tu auras fait cet examen, nous en reparlerons.

      —Quel jour? demain?

      —Non, non, pas demain?

      —Alors, après-demain?

      —Eh bien! oui, après-demain! tu viendras pour travailler avec Casparis, je dînerai avec toi, et tu te confesseras. Je suis heureux de voir à ton impatience que tu n'es pas rétive à l'idée de mariage.

       Table des matières

      Malgré le trouble que lui avaient causé les paroles de son oncle, Ghislaine n'oublia pas la femme de la justice de paix; aussitôt que M. de Chambrais l'eut quittée, elle s'occupa à réunir tout ce qu'elle put trouver de musique non reliée.

      Surprise de cet empressement, lady Cappadoce voulut savoir ce qu'elle faisait là, et Ghislaine le lui expliqua.

      —Comment! s'écria le gouvernante, vous allez donner votre musique à relier à des gens qui n'ont pas de travail; mais s'ils n'ont pas de travail c'est qu'ils sont de mauvais ouvriers, et votre musique sera perdue. Croyez-moi, laissez une aumône si vous tenez à lui faire du bien.

      —Elle ne demande pas l'aumône.

      —Si elle est réduite à la misère que vous dites, comment voulez-vous qu'elle achète ce qui doit entrer dans ces reliures: la peau, le carton, le papier?

      —Vous avez raison, je vais lui laisser une avance pour qu'elle puisse faire ces achats.

      —Et dans la note qu'elle écrivait pour indiquer comment elle voulait que ces reliures fussent faites, elle plia un billet de cent francs.

      A cinq heures, un coupé attelé en poste vint se ranger devant le perron, car pour aller à Chambrais, qui se trouve entre Orsay et Montlhéry, ou pour venir de Chambrais à Paris, ce n'était point l'habitude qu'on prit le chemin de fer: quatre postiers étaient attachés à ce service, et en leur laissant un jour de repos sur deux, ils battaient les locomotives de Sceaux—ce qui d'ailleurs n'est pas bien difficile.

      Quand lady Cappadoce s'était trouvée exclue du tête-à-tête que M. de Chambrais avait voulu se ménager avec Ghislaine, elle avait compté sur ce voyage pour apprendre ce qui s'était dit dans cette longue promenade autour du jardin. Et ce n'était pas une curiosité vaine qui la poussait, le seul désir de savoir pour savoir, c'était son intérêt.

      Maintenant que Ghislaine était émancipée, qu'allait-il se passer? Était-ce d'un projet de mariage que M. de Chambrais l'avait entretenue? La question. était pour elle capitale. Bien qu'elle montrât une navrante mortification d'en être réduite, elle, une lady, à vivre dans une position subalterne, en réalité, elle tenait à cette position qui n'était pas sans avantages. Et bien qu'elle affectât aussi de n'avoir que du dédain pour la France, le pays, ses moeurs et ses usages, en réalité elle tenait beaucoup à ne pas quitter cette France détestée pour retourner dans son Angleterre adorée. Superbe, l'Angleterre, admirable, incomparable pour tout... mais de loin. En somme, si malheureuse qu'elle fût, elle ne craignait rien tant que d'être obligée, par le mariage de Ghislaine, de renoncer à son malheur et à son humiliation.

      A peine le coupé quittant la rue Oudinot roulait-il sur le boulevard des Invalides, qu'elle commença ses questions:

      —Cette émancipation va-t-elle changer quelque chose dans nos habitudes? dit-elle de son ton le plus affable.

      —C'est justement ce que mon oncle vient de me demander.

      —Et vous lui avez répondu?

      —Qu'étant aujourd'hui ce que j'étais hier, je ferais la semaine prochaine ce que j'avais fait la semaine dernière.

      —Il est certain que l'émancipation ne confère pas tout d'un coup des grâces spéciales.

      —Je ne sens pas qu'elle m'en ait conféré; et, si vous le voulez bien, je vais préparer ma leçon pour M. Lavalette, en lisant Chatterton.

      Ce que lady Cappadoce voulait, c'était continuer la conversation sur ce sujet, mais déjà Ghislaine avait pris le Théâtre d'Alfred de Vigny dans une poche de la voiture et sa lecture était commencée; elle dut donc se contenter du peu qu'elle avait obtenu, ce qui d'ailleurs était rassurant: une enfant, qui pendant un certain temps encore ne serait qu'une enfant.

      Mais quand elle remarqua les distractions avec lesquelles Ghislaine, ordinairement attentive et appliquée, faisait sa lecture, l'inquiétude prit la place de la confiance; certainement il s'était dit, entre l'oncle et la nièce, autre chose que ce que Ghislaine lui avait répété, et cette lecture n'était qu'un prétexte pour penser librement à cette autre chose.

      A un certain moment, mordue plus fort par la curiosité, elle la questionna de nouveau; mais cette fois indirectement:

      —Il me semble que Chatterton ne vous intéresse guère?

      —Je réfléchis.

      —C'est précisément ma remarque.

      —Vous m'avez toujours dit qu'il ne fallait pas dévorer ses lectures.

      —Encore faut-il les suivre.

      —C'est ce que je vais faire.

      Elle se plongea dans son livre sans relever les yeux, sinon pour lire, au moins pour échapper à ces interrogations. Elle avait bien l'esprit à la lecture, vraiment! aux amertumes de Chatterton ou aux gronderies du quaker! Quel sens pouvaient avoir ces paroles vaines, quand dans ses oreilles et dans son coeur retentissaient encore celles de son oncle?

      Elle n'avait pas attendu le jour de son émancipation pour se dire qu'elle ne trouverait que dans le mariage les affections et les tendresses qui avaient si tristement manqué à sa première jeunesse; mais les idées qui depuis longtemps flottaient dans son esprit venaient de prendre corps par la forme précise que son oncle leur avait données et elles la jetaient dans un trouble qui l'emportait.

      Quel était ce mari? Réaliserait-il les rêveries et les espérances dont son coeur se nourrissait depuis qu'elle avait commencé à juger la vie?

      Jusqu'à sa dixième année, il n'y avait pas eu d'enfance plus heureuse que la sienne, et les souvenirs qui lui restaient de ce temps étaient tous pleins de joies: un père, une mère qui l'adoraient, et dont l'unique souci semblait être son bonheur; autour d'elle, une existence de fêtes qui lui avait laissé comme des visions de féeries: au château, dans les allées du parc, les brillantes cavalcades auxquelles elle était mêlée, galopant sur son poney à côté de sa mère; à l'hôtel de la rue Monsieur, les splendeurs des bals qu'elle entrevoyait avant l'arrivée des invités, et la musique qui, la nuit, la berçait dans son lit, et toujours à Paris, à la campagne, un entourage d'amis, une sorte de cour.

      Et tout à coup la nuit s'était faite: plus de père, plus de mère, plus de fêtes, plus d'amis, l'abandon, la solitude, le silence. Le père avait été tué dans un accident de chasse. Huit jours après, la mère était morte d'un accès de fièvre chaude.

      Du côté de son père, il lui restait un oncle, le comte de Chambrais, dont on avait fait son tuteur, et de nombreux cousins qui la rattachaient aux grandes familles de l'aristocratie française; du côté de sa mère, Espagnole de naissance, elle avait des oncles et tantes; mais, fixés tous en Espagne, ils ne pouvaient guère s'acquitter de leurs devoirs de parenté envers cette petite Française qu'ils connaissaient à peine.

      Plus de tendresse, plus de caresses, plus de chaude affection dans la maison déserte: seulement de temps en temps un mot amical, un baiser de son oncle quand il venait la voir au château ou à l'hôtel, et plus souvent à l'hôtel qui était à Paris qu'au château où l'on n'arrivait qu'après un petit voyage. Et toujours la parole grave,