Victor, ou L'enfant de la forêt. M. Ducray-Duminil

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Название Victor, ou L'enfant de la forêt
Автор произведения M. Ducray-Duminil
Жанр Книги для детей: прочее
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Издательство Книги для детей: прочее
Год выпуска 0
isbn 4064066083199



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s'égarer mes sens! Le fils du baron de Fritzierne ne peut être.... Non, non.... Mais pourquoi, pourquoi faut-il que je rencontre ici les traits de mon persécuteur, ceux du scélérat qui a tant fait souffrir ma pauvre maîtresse!.... Ô Dieu! quel jeu bizarre de la nature! quelle étonnante fatalité! Je ne le regarderai plus, ce cher Victor; non, je croirais toujours avoir l'infâme ravisseur sous mes yeux!.... Ô ma maîtresse! ô ma chère maîtresse!....

      »Madame Wolf baise encore cent fois l'objet qu'elle tient; puis, elle le dépose sur une table, et peu à peu elle s'endort profondément. Vous jugez, mes enfans, combien ses discours me frappèrent. Persuadé que, fatiguée comme elle l'était, elle ne se réveillerait pas de si-tôt, j'entrai doucement chez elle et je m'emparai du bijou dans le dessein de le remettre dans l'instant à sa place; mais je l'ai apporté jusqu'ici, ne pouvant résister au desir de vous le montrer. Le voilà, Victor le voilà; examine-le bien; tout à l'heure nous irons le rendre à cette infortunée, qui sans doute n'aura pas encore cessé de reposer».

      Victor, à ce récit, frémit involontairement; il ne sait pourquoi ses cheveux se dressent sur son front. Une sueur froide glace ses membres. Il prend le bijou, et le regarde attentivement avec Clémence, qui partage son trouble par une sympathie qu'elle sait bien définir maintenant. Ce bijou, c'est une double boîte en or, enrichie de diamans. Sur le couvercle on voit le portrait d'une femme jeune et jolie, mais échevelée, mais dont les vêtemens sont dans le plus grand désordre. Elle lève une main vers le ciel, que ses yeux, humides de larmes, semblent invoquer. De son autre main, montre une tombe entr'ouverte, laquelle on lit: Ici s'engloutissent les passions, les plaisirs et les peines. Sur le devant du tableau, aux pieds de cette femme désolée, est le berceau d'un enfant nouveau-né; une banderole qui flotte sur le berceau laisse lire ces mots: Un malheureux de plus!....

      Victor regarde long-temps ce portrait avec attendrissement. Ouvre la boîte, lui dit le baron; pousse un petit bouton à gauche, tu verras quelque chose de plus extraordinaire. Victor trouve le secret; et, dans, le double fond, il apperçoit un autre portrait, celui d'un homme dont la ressemblance est si frappante avec Victor, que Clémence jette un cri de surprise....

      L'homme que retrace cette peinture peut avoir trente à trente-deux ans. Il est armé de sabres et de pistolets; un énorme bonnet fourré couvre sa tête altière; son visage est ombragé de deux épaisses moustaches; il semble se reposer contre un arbre, et regarder attentivement une femme qui, plus éloignée, et dans l'ombre, alaite un petit enfant; au bas du portrait est écrit: Je sais aussi connaître la nature!....

      À la vue de ce portrait, Victor reste immobile de saisissement. Fritzierne s'en apperçoit, s'approche de lui, et lui prend la boîte des mains. Avez-vous remarqué, mes enfans, dit-il, le rapport frappant qui existe entre les traits de ce guerrier et ceux de Victor, quoique celui-ci soit plus jeune et plus délicat? Si nous rapprochons les dernières expressions de madame Wolf avec celles qui lui échappèrent cette nuit, dans ce songe où elle crut voir un nommé Roger, un monstre, percer de coups un enfant et sa mère; savez-vous que nous aurons deviné une partie de son secret?.... Mais ce qui me plonge, moi, dans une foule de doutes plus bizarres les uns que les autres, c'est que l'homme qui est peint dans le fond de cette boîte, l'homme sait aussi connaître la nature, je le connais!—Vous le connaissez, mon père, s'écrie Victor!—Oui mon fils; eh! je ne le connais que trop!....—Qui est-il?—C'est Roger, c'est ce fameux chef des brigands qui infestent depuis si long-temps les forêts de l'Allemagne, et depuis peu les nôtres, celles de la Bohême, celles qui nous avoisinent.—Eh! comment, mon père, où avez-vous vu ce monstre si généralement détesté?—Dans une occasion, mon fils, où.... ma vie.... Ne m'interroge pas, mon Victor; laisse-moi mes malheurs! depuis si long-temps tu me les as fait oublier!—Pardon, mille fois pardon, mon père. Mais ce Roger.... quoi! celui dont madame Wolf parlait dans son songe, celui qu'elle vient de désigner devant vous, celui qui est peint dans cette boîte.... c'est ce scélérat atroce que la justice poursuit sans pouvoir l'atteindre, qui pille, brûle, dévaste les châteaux, et qui traîne à sa suite une armée redoutable? c'est ce monstre, et je lui ressemble!.... moi, moi! dieux!—Ne t'afflige pas, mon Victor: je le vois, les rapports les plus indirects avec le crime blessent toujours une ame honnête; mais ceci est un jeu du hasard. La nature produit souvent de ces ressemblances physiques, monstrueuses, si l'on considère l'éloignement moral qui existe entre les deux êtres qu'elle rapproche par les traits. Cet homme, ce Roger est bien, c'est un blond; il a de grands yeux bleus, un nez assez long, une petite bouche, le front haut. Tu as la masse de ses traits, comme mille autres hommes peuvent l'avoir; mais tu n'en as pas les détails. Laissons donc là cette ressemblance qui t'affecte sans cause, sans motif légitime, et parlons de madame Wolf.—Je ne m'étonne plus si, cette nuit, en se réveillant, elle s'écria c'est lui, en me fixant! Elle croyait voir ce Roger qui venait de tourmenter son imagination.—Sans doute, sans doute; mais, cette madame Wolf, quelle liaison peut-elle avoir eue.... assez intime?.... Il paraît qu'elle était l'amie, ou la femme de confiance de cette infortunée qui est peinte sur le dessus de la boîte. Ce Roger apparemment.... mais cet enfant; mais cette nourrice!.... Allons, quelque obstination que madame Wolf mette à nous cacher ses aventures, il faut qu'elle me les confie à moi; il faut qu'elle me détaille.... d'ailleurs, j'ai des raisons, des aveux aussi à lui faire. Qui sait?.... Mais non, non, cela n'est pas possible, Voilà ma tête qui travaille, qui s'échauffe, qui enfante à son tour des chimères.... Si cette femme est venue pour troubler mon repos! Que dis-je, elle est infortunée, et je pourrais regretter un moment l'hospitalité que je lui ai donnée! Ah! loin de moi cette idée! dût-elle m'arracher des larmes, dût-elle m'associer à ses peines; c'est une jouissance que de s'attendrir avec les malheureux; et l'insouciance sur les maux d'autrui est le plus bas de tous les vices du cœur!

      M. de Fritzierne, en disant ces mots, se levait déjà pour aller reporter la boîte dans l'appartement de madame Wolf, lorsque celle-ci parut. Son repos avait été de courte durée: en se réveillant, elle n'avait plus trouvé près d'elle son bijou précieux, et l'inquiétude l'avait conduite chez le baron. Elle entre, apperçoit son bijou, et reste immobile. Le baron à son tour est interdit, et ne sait comment faire excuser son indiscrétion. Madame, lui dit-il, troublé, je ne sais comment.... cette boîte..... le hasard.... l'intérêt que vous m'inspirez....—Monsieur, lui répond madame Wolf, aussi émue que lui: vous m'aviez promis de respecter mes secrètes inquiétudes....

      Elle ne peut achever, le baron ne sait que lui dire, et Victor et Clémence se retirent par égard, pour ne pas gêner leur père, qu'ils voient forcé de rougir devant eux. Leur délicatesse leur apprend qu'il ne faut point ajouter au trouble de ceux que le hasard humilie à nos yeux. M. de Fritzierne est seul avec madame Wolf: il est plus ferme, plus tranquille, et l'engage à verser dans son sein les tourmens de son ame. Je l'ai connu, lui dit-il, cet homme que retrace le fond de votre boîte; c'est Roger, c'est ce chef de voleurs, qui maintenant rode dans nos forêts.—Quoi! monsieur!...—Oui, madame, c'est lui,—Quoi! auriez connu ce monstre?—Hélas! tenez, confiez-moi vos malheurs; je vous dirai les miens, et tous deux nous nous consolerons mutuellement.—Monsieur, monsieur!.... Ah! n'insistez pas, en grace, ne me pressez pas davantage? C'est le secret d'une autre, d'une autre, qui n'est plus à la vérité; mais, en lui fermant les yeux, je lui ai promis de ne le révéler à personne, à personne! Vous entendez, mon cher monsieur? je l'ai déjà dit à votre aimable fils; s'il faut, par mon indiscrétion, reconnaître vos bienfaits, j'y renonce, oui, j'y renonce: laissez-moi partir; j'emporterai au moins le souvenir de vos vertus et.... mon secret.—Femme cruelle!.... vous voulez donc gémir et pleurer seule? Je vous en avertis, je verrai couler vos larmes, et je ne les essuierai point. Vous ne savez pas, vous ne sentez pas ce que c'est qu'un ami! vous vous en privez; eh bien! je ne vous en parlerai plus.... Peut-être votre récit m'eût-il été nécessaire pour quelques explications dont j'ai besoin, relatives à ce Roger....—Ah! ne prononçons jamais son nom! Oublions-le, oublions les chagrins passés pour n'admirer que votre bienfaisance et les vertus aimables de votre famille!—Madame Wolf, votre obstination m'a fait de la peine; je me suis emporté un peu: je vous en demande pardon. Ne pensons plus à ce petit démêlé? J'éviterai les occasions de le faire renaître, et j'attendrai, sans vous persécuter, que le temps, la confiance, l'amitié même, que je me flatte de vous inspirer par la suite, vous engagent à verser dans le sein d'un