Название | Victor, ou L'enfant de la forêt |
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Автор произведения | M. Ducray-Duminil |
Жанр | Книги для детей: прочее |
Серия | |
Издательство | Книги для детей: прочее |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083199 |
CHAPITRE IV.
PROJETS MANQUÉS, SURCROÎT D'EMBARRAS.
Quelques jours se passèrent sans qu'il arrivât rien au château. Seulement on répandait le bruit que la troupe de Roger se grossissait dans les forêts et qu'il avait le projet d'attaquer quelques-unes des riches propriétés desquelles il s'approchait. Le baron de Fritzierne attachait à ce bruit plus d'importance que Victor, qui le regardait comme un conte exagéré. Quelle apparence en effet que des brigands, sans tactique comme sans discipline, osassent attaquer des châteaux-forts qui avaient autrefois soutenu le choc des armées les mieux réglées. Au milieu de cette sécurité, Victor n'abandonnait pas son projet, celui de s'exiler de la maison de son bienfaiteur; il n'osait plus lui parler encore de son desir de voyager, il était sûr d'en être refusé; il fallait donc qu'il le quittât sans lui faire ses adieux, autrement que dans une lettre qu'on lui remettrait après son départ.
Victor, ferme dans cette résolution, bien persuadé que jamais il n'obtiendra la main de Clémence, tourmenté même de la crainte qu'en restant plus long-temps, son amour ne vienne à se découvrir, Victor prend la plume pour écrire à son protecteur, au père de son amante. Il écrit vingt lettres qu'il déchire successivement; enfin il s'arrête à celle-ci:
«Homme respectable et cher, à qui, même en fuyant, je crois prouver ma reconnaissance, pardonne, pardonne si je ne t'ai pas serré dans mes bras avant de te quitter; il m'en a coûté pour me priver de te voir, mais tu m'aurais retenu, et il faut que je m'éloigne de toi!.... N'accuse pas mon cœur, il est, il sera toujours à toi; mais une fatalité inouie, une passion malheureuse!.... Adieu, n'en exige pas davantage.... Quelque part où je serai, toi et ta fille vous serez l'objet de mes vœux, de mes moindres pensées!.... Ton fils pour la vie,
Victor».
Victor relit cette lettre, puis il appelle son domestique: Valentin, lui dit-il m'es-tu attaché?—Ah, monsieur!—Il faut que tu me rendes un grand service, mon cher Valentin. Tu vas tous les soirs prendre les ordres de M. de Fritzierne, avant qu'il se mette au lit.—Oui, monsieur.—Eh bien! mon ami, il faut ce soir, avant de sortir de chez lui, que tu jettes cette lettre sur sa table sans qu'il t'apperçoive.—Cette lettre, monsieur?—Oui, mon ami.—Eh! que ne la lui remettez-vous vous-même?—Je ne le puis.—Vous ne le pouvez? J'entends, monsieur, j'entends; je sais tout.—Eh! que sais-tu?—Que vous voulez quitter cette maison; et qu'apparemment ce soir vous n'y serez plus.—Eh! qui t'a dit?....—Clémence: oui, c'est Clémence elle-même qui m'a prévenu de vos desseins, mais avec une grace, une confiance, qui m'ont pénétré, moi.—Comment, Clémence t'a dit?....—Oui, monsieur: que vous l'aimez, que vous n'êtes pas son frère; que dans la persuasion où vous étiez de ne jamais l'épouser, vous vouliez partir, la quitter, et me quitter aussi, moi.—Clémence t'a confié, à toi, un secret dont dépend...?—Oui, monsieur, j'ai son secret; elle m'a cru capable de le garder. Apparemment qu'elle me rend plus de justice que mon maître.—Bon Valentin!.... tu sais tout.—Oui, tout, tout; absolument tout.—Garde-toi de jamais....—Elle ne m'a pas fait cette défense-là, elle; elle sait bien que je n'en ai pas besoin.—Mais enfin, comment t'a-t-elle conté tout cela?—Oh! je m'en vais vous le dire. Comme elle sait que vous avez de la bonté pour moi, que je suis votre confident, à-peu-près.... elle m'a dit, après m'avoir mis au fait: mon cher Valentin, veille bien sur ton maître, sur ses moindres démarches: prends garde qu'il ne t'échappe; si tu le vois rêveur, si tu le vois faire quelques préparatifs de voyage, viens, viens sur-le-champ m'en avertir.—Et tu lui aurais obéi, tu m'aurais trahi?—Oui, monsieur; oui, je vous aurais trahi; car ç'aurait été pour votre bonheur. Pourquoi voulez-vous vous en aller, voyons? qu'est-ce qui vous y force? Vous aimez Clémence, eh bien! attendez du temps que vous l'obteniez; puisque vous n'êtes pas son frère, vous avez de l'espoir; avec ça vous êtes un jeune homme si gentil, si bon, si raisonnable, si spirituel. M. de Fritzierne ne vous refusera pas; non: il ne peut pas vous refuser, ou bien j'irai lui dire moi-même qu'il a tort, qu'il fait mal.—Valentin!....—Oui, monsieur, j'irai! c'est que je n'aime pas les injustices, moi, et ça en serait une grande que de ne pas faire votre bonheur; vous le méritez si bien!....
Victor ne peut s'empêcher d'admirer le bon cœur de ce fidèle serviteur: cependant il emploie toute sa rhétorique pour lui prouver que tout l'engage à suivre son projet. Il lui peint les grands, leurs préjugés; et, quoique Valentin soutienne avec raison que le baron n'est pas de ces grands-là, Victor lui donne tant de bonnes raisons, que le bon domestique finit par être de son avis. L'embarras de Victor ensuite, c'est d'empêcher que Valentin avertisse Clémence de sa fuite. Clémence aime, Clémence est jeune, légère; elle a d'ailleurs, pour espérer, des motifs que Victor ne peut adopter. Clémence éclatera, le baron saura tout, et Victor frémit des conséquences qui en résulteront. Victor avait d'abord le dessein d'écrire une lettre d'adieux à Clémence; mais par qui la lui fera-t-il remettre cette lettre? Par Valentin? Valentin parlera: on ne peut se fier sur sa discrétion; sa tendresse pour son maître peut l'abuser sur les moyens de faire son bonheur, il vient de le prouver.... Que fera Victor? il se décide à ne point écrire à Clémence; mais il a un autre moyen de lui faire savoir son départ. Pour Valentin, Victor va l'occuper si bien pendant toute la journée, qu'il lui sera impossible de parler à personne, sur-tout à Clémence. Tout étant ainsi arrangé, Victor fait ses préparatifs, non sans avoir le cœur bien serré. Il voit son père, son amante et madame Wolf, à l'heure du repas, et cette vue accroît encore ses regrets. Clémence, par extraordinaire, semble affecter de ne le pas quitter pendant toute la journée: elle ne sait rien cependant, il est bien sûr que Valentin n'a pu la rejoindre, et Valentin n'a pas pu le lui faire savoir par écrit, puisque le bon serviteur ne sait pas écrire.
Par quel funeste pressentiment donc la sensible Clémence semble-t-elle s'attacher plus particulièrement aux pas de Victor? Hélas! elle est agitée, tourmentée, sans savoir qu'elle est sur le point de perdre pour jamais ce qu'elle aime!.... Pauvre Clémence! pauvre Victor! comme vous m'intéressez tous les deux!
Le soir, lorsque tout le monde est retiré, Victor rentre chez lui, après avoir jeté des regards bien douloureux, peut-être les derniers, sur tous ceux qui lui sont chers.... Victor trouve dans son appartement Valentin occupé à remplir une petite valise de ses propres effets. Que fais-tu là, Valentin, lui demande Victor étonné?—Vous le voyez bien, monsieur, lui répond Valentin avec un ton d'humeur mêlé de sensibilité.—Sont-ce tes effets que tu arranges ainsi?—Il le faut bien.—Pourquoi faire?—Eh! pour vous suivre. Quand un maître a la dureté de partir sans moi, croyez-vous que j'aie l'inhumanité de l'abandonner?—Quoi! tu veux....—Vous suivre par-tout, ne vous quitter qu'à la mort!—Mon pauvre Valentin, y penses-tu? Songes-tu que je n'ai ni état, ni fortune, ni parens, ni amis?—Pour un état, une fortune, ce n'est pas là ce qui doit vous embarrasser: pour des amis, eh bien! vous en aurez un.—Homme unique! tu veux partager ma misère?—Votre misère! Oh! non: vous ne serez pas dans la misère, du moins pour quelque temps. Vous êtes plus riche que vous ne pensez, quoique vous n'emportiez rien. Voyez-vous cette petite somme là, dans le coin de cette valise, sous ce linge; eh bien! c'est le fruit de mes épargnes: il est à vous.—Jamais....—À vous, à moi, à nous.—Valentin, laisse-moi respirer. Ce trait, ce trait sublime!....—Ce trait sublime! quelle expression est-ce ça, pour une action toute simple?—Comme j'étais entouré d'êtres vertueux!... Valentin, Valentin, je ne veux pas absolument....—Ah! vous ne voulez pas? eh bien! moi je veux; oui, je veux voyager aussi. Je suis mon maître, peut-être: vous ne pouvez pas m'empêcher de m'en aller quand je le voudrai. Eh bien! c'est ce soir, à présent que je m'en vais. Je suivrai la route que vous prendrez, voilà tout; si vous ne voulez pas de ma compagnie, vous me chasserez.—Te chasser, bon Valentin! chasser non ami!—Eh! allons, voilà qui est dit: nous faisons route ensemble, n'est-ce pas?—Oui, mon ami, oui: ne nous quittons plus, ne nous séparons jamais.... Tu seras mon frère, tu