Название | Victor, ou L'enfant de la forêt |
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Автор произведения | M. Ducray-Duminil |
Жанр | Книги для детей: прочее |
Серия | |
Издательство | Книги для детей: прочее |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083199 |
Le baron la relève; elle continue: Je vous l'ai dit, je vous le répéterai cent fois: ce secret n'est point à moi; il n'est point à moi, ce fatal secret.... Grand Dieu! que ces persécutions acquittent bien la dette de l'amitié! toi que j'ai tant aimée, toi qui m'entends peut-être du fond de ton tombeau, femme admirable et malheureuse, tu vois ce que je souffre pour toi! Ah! prête-moi donc cette force, ce courage qui ont signalé les derniers momens! j'en ai besoin, ô mon amie! je ne peux plus vivre, s'il faut résister plus long-temps aux instances de ceux que j'honore, qui me sont bien chers, et que j'offense en gardant le serment que tu m'as arraché!....
Cette exclamation forte, énergique, ferme la bouche à M. de Fritzierne: il se reproche d'avoir tant pressé une femme dont la vertu l'étonne, le confond, et sur laquelle il jette des regards fixes pleins d'admiration et de sensibilité. Pardon, madame, lui dit-il, pardon; je vois qu'un serment sacré vous enchaîne, je me repens d'avoir essayé de vous rendre parjure.—Non, monsieur, non, ne m'excusez point, je vous prie; je suis coupable, je le suis... Eh bien! je vais vous venger, me venger moi-même: je vais trouver Roger; oui, je cours me livrer à ce monstre: je lui dirai, je suis à charge à mes bienfaiteurs, à toi, à toute la nature; arrache-moi une vie sur laquelle tu as répandu le poison du remords et de la douleur éternelle: prends ta victime, elle attend de toi le bienfait de la mort!....
En disant ces mots, madame Wolf se précipite vers la porte: Ne me retenez pas, s'écrie-t-elle! il menace vos jours, je veux les sauver en lui livrant les miens.... Laissez-moi, laissez-moi!....
Le baron, Victor et Clémence courent après cette insensée, la forcent de rentrer dans l'appartement, l'engagent à s'asseoir, et parviennent peu à peu à rendre le calme à ses sens. Elle recouvre bientôt l'usage de sa raison, et réclame l'indulgence de ses amis, pour l'effroi qu'elle vient de leur causer. Tous s'empressent autour d'elle, tous lui jurent de mourir plutôt que de la livrer à son bourreau. Cette femme intéressante baigne de larmes les mains de ceux qui lui témoignent tant d'attachement; elle leur prodigue les noms les plus doux. Un jour, leur dit-elle, un jour, vous saurez peut-être, vous connaîtrez les événemens les plus extraordinaires... Ils étaient faits pour moi; mais ne l'espérez pas, ne l'espérez pas de si-tôt, cet aveu déchirant. Une.... circonstance seule, mais bien bizarre.... un rapprochement singulier, que m'a fait naître l'aveu que Clémence vous a fait de son amour.... si le hasard permettait que mes idées.... mais non, non, ne vous en flattez pas: c'est une erreur, une illusion, un jeu de l'imagination.... Attendez tout du temps et de la loi impérieuse des événemens.
Ce discours, presqu'inintelligible parut tellement dépourvu de bon sens à nos trois amis, qu'ils craignirent pour la raison de madame Wolf: le coup qui venait de la frapper était si violent, qu'il pouvait avoir dérangé son cerveau, et troublé ses sens. Clémence l'engagea à rentrer chez elle, à prendre quelques momens de repos; elle y consentit, après avoir imploré de nouveau la générosité, la pitié, la protection du baron de Fritzierne, qui lui promit, de ne jamais l'abandonner.
Quand toutes deux se furent retirées, le baron et Victor, que cette scène avait singulièrement émus, s'entretinrent long-temps, et des menaces de Roger, et des moyens qu'ils devaient prendre pour en prévenir les effets. Quand leur résolution fut bien prise, Fritzierne écrivit ce peu de mots, en réponse à la lettre insolente du chef des brigands:
«Roger, je ne suis point accoutumé à craindre l'arrogance, tu dois le savoir. La femme que tu réclames est chez moi; elle n'en sortira pas: ose venir l'y chercher toi-même; mais tremble d'y trouver la punition de tes forfaits. Alexandre Bolosqui, baron de Fritzierne».
Cette lettre écrite, il s'agissait de la faire remettre au chef des indépendans d'une manière sûre, et sans craindre de compromettre la vie du porteur. C'est Victor, qui se charge de ce soin, malgré les instances du bon père qui voudrait la confier à quelques-uns de ses gens. Victor, l'intrépide Victor prie le baron de lui permettre de porter cette lettre à l'avant-poste des brigands. Fritzierne craint à juste titre la mauvaise foi de ces scélérats. Rien n'effraie Victor: il promet d'être rentré avant la fin du jour, et part sur-le-champ, après s'être armé de sabre et de pistolets. Dès qu'il est parti, le baron sent l'imprudence qu'il vient de commettre, en exposant ainsi les jours de son jeune ami; mais il le connaît prudent, en même temps qu'il le sait ferme et courageux. Le baron va trouver sa fille, madame Wolf, et, sans leur faire partager ses inquiétudes, il leur promet qu'avant peu ils reverront leur bien-aimé, et se console avec elles des tracasseries de la journée. Suivons Victor, et voyons comment il va s'acquitter de la mission délicate dont il est chargé.
Victor marche pendant plus de deux heures avant de pouvoir découvrir le carrefour de la forêt de Kingratz, où il doit trouver l'avant-poste des brigands. Son ame est tranquille, quoiqu'il ait lieu d'appréhender quelque trahison de la part de ces scélérats. Au surplus, se dit-il, c'est moi qui ai introduit chez moi, qui ai introduit chez mon père cette madame Wolf, aujourd'hui l'auteur de tout ce désordre, c'est moi seul qui dois en supporter les dangers, s'il y en a, et ne pas sacrifier des serviteurs, ni d'autres innocens, pour une faute que j'ai commise; car si le séjour de madame Wolf doit troubler le repos de mon père et de ma Clémence, c'est une imprudence à moi de leur avoir fait connaître cette infortunée. Quelle que soit l'issue de l'événement d'aujourd'hui, cela va toujours reculer ma félicité; car j'épouserai Clémence, je n'en puis plus douter, je l'épouserai: quel bonheur! quel heureux changement!.... et sur-tout quel homme, quel homme respectable que le baron de Fritzierne!....