Bouvard et Pécuchet. Gustave Flaubert

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Название Bouvard et Pécuchet
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088583



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savoir la chimie, ils se procurèrent le cours de Regnault—et apprirent d'abord que les corps simples sont peut-être composés.

      On les distingue en métalloïdes et en métaux,—différence qui n'a rien d'absolu, dit l'auteur. De même pour les acides et les bases, un corps pouvant se comporter à la manière des acides ou des bases, suivant les circonstances.

      La notation leur parut baroque.—Les Proportions multiples troublèrent

       Pécuchet.

      —Puisqu'une molécule de A, je suppose, se combine avec plusieurs parties de B, il me semble que cette molécule doit se diviser en autant de parties; mais si elle se divise, elle cesse d'être l'unité, la molécule primordiale. Enfin, je ne comprends pas.

      —Moi, non plus! disait Bouvard.

      Et ils recoururent à un ouvrage moins difficile, celui de Girardin—où ils acquirent la certitude que dix litres d'air pèsent cent grammes, qu'il n'entre pas de plomb dans les crayons, que le diamant n'est que du carbone.

      Ce qui les ébahit par-dessus tout, c'est que la terre comme élément n'existe pas.

      Ils saisirent la manoeuvre du chalumeau, l'or, l'argent, la lessive du linge, l'étamage des casseroles; puis sans le moindre scrupule, Bouvard et Pécuchet se lancèrent dans la chimie organique.

      Quelle merveille que de retrouver chez les êtres vivants les mêmes substances qui composent les minéraux. Néanmoins, ils éprouvaient une sorte d'humiliation à l'idée que leur individu contenait du phosphore comme les allumettes, de l'albumine comme les blancs d'oeufs, du gaz hydrogène comme les réverbères.

      Après les couleurs et les corps gras, ce fut le tour de la fermentation.

      Elle les conduisit aux acides—et la loi des équivalents les embarrassa encore une fois. Ils tâchèrent de l'élucider avec la théorie des atomes, ce qui acheva de les perdre.

      Pour entendre tout cela, selon Bouvard, il aurait fallu des instruments.

       La dépense était considérable; et ils en avaient trop fait.

      Mais le docteur Vaucorbeil pouvait, sans doute, les éclairer.

      Ils se présentèrent au moment de ses consultations.

      —Messieurs, je vous écoute! quel est votre mal?

      Pécuchet répliqua qu'ils n'étaient pas malades, et ayant exposé le but de leur visite:

      —Nous désirons connaître premièrement l'atomicité supérieure.

      Le médecin rougit beaucoup, puis les blâma de vouloir apprendre la chimie.

      —Je ne nie pas son importance, soyez-en sûrs! mais actuellement, on la fourre partout! Elle exerce sur la médecine une action déplorable. Et l'autorité de sa parole se renforçait au spectacle des choses environnantes.

      Du diachylum et des bandes traînaient sur la cheminée. La boite chirurgicale posait au milieu du bureau. Des sondes emplissaient une cuvette dans un coin—et il y avait contre le mur, la représentation d'un écorché.

      Pécuchet en fit compliment au Docteur.

      —Ce doit être une belle étude que l'Anatomie?

      M. Vaucorbeil s'étendit sur le charme qu'il éprouvait autrefois dans les dissections;—et Bouvard demanda quels sont les rapports entre l'intérieur de la femme et celui de l'homme.

      Afin de le satisfaire, le médecin tira de sa bibliothèque un recueil de planches anatomiques.

      —Emportez-les! Vous les regarderez chez vous plus à votre aise!

      Le squelette les étonna par la proéminence de sa mâchoire, les trous de ses yeux, la longueur effrayante de ses mains.—Un ouvrage explicatif leur manquait; ils retournèrent chez M. Vaucorbeil, et grâce au manuel d'Alexandre Lauth ils apprirent les divisions de la charpente, en s'ébahissant de l'épine dorsale, seize fois plus forte, dit-on, que si le Créateur l'eût fait droite.—Pourquoi seize fois, précisément?

      Les métacarpiens désolèrent Bouvard;—Pécuchet acharné sur le crâne, perdit courage devant le sphénoïde, bien qu'il ressemble à une selle turque, ou turquesque.

      Quant aux articulations, trop de ligaments les cachaient—et ils attaquèrent les muscles.

      Mais les insertions n'étaient pas commodes à découvrir—et parvenus aux gouttières vertébrales, ils y renoncèrent complètement.

      Pécuchet dit, alors:

      —Si nous reprenions la chimie?—ne serait ce que pour utiliser le laboratoire!

      Bouvard protesta; et il crut se rappeler que l'on fabriquait à l'usage des pays chauds des cadavres postiches.

      Barberou, auquel il écrivit, lui donna là-dessus des renseignements.—Pour dix francs par mois, on pouvait avoir un des bonshommes de M. Auzoux—et la semaine suivante, le messager de Falaise déposa devant leur grille une caisse oblongue.

      Ils la transportèrent dans le fournil, pleins d'émotion. Quand les planches furent déclouées, la paille tomba, les papiers de soie glissèrent, le mannequin apparut.

      Il était couleur de brique, sans chevelure, sans peau, avec d'innombrables filets bleus, rouges et blancs le bariolant. Cela ne ressemblait point à un cadavre, mais à une espèce de joujou, fort vilain, très propre et qui sentait le vernis.

      Puis ils enlevèrent le thorax; et ils aperçurent les deux poumons pareils à deux éponges, le coeur tel qu'un gros oeuf, un peu de côté par derrière, le diaphragme, les reins, tout le paquet des entrailles.

      —À la besogne! dit Pécuchet.

      La journée et le soir y passèrent.

      Ils avaient mis des blouses, comme font les carabins dans les amphithéâtres, et à la lueur de trois chandelles, ils travaillaient leurs morceaux de carton, quand un coup de poing heurta la porte.—Ouvrez!

      C'était M. Foureau, suivi du garde champêtre.

      Les maîtres de Germaine s'étaient plu à lui montrer le bonhomme. Elle avait couru de suite chez l'épicière, pour conter la chose; et tout le village croyait maintenant qu'ils recelaient dans leur maison un véritable mort. Foureau, cédant à la rumeur publique, venait s'assurer du fait. Des curieux se tenaient dans la cour.

      Le mannequin, quand il entra, reposait sur le flanc; et les muscles de la face étant décrochés, l'oeil faisait une saillie monstrueuse, avait quelque chose d'effrayant.

      —Qui vous amène? dit Pécuchet.

      Foureau balbutia:—Rien! rien du tout! et prenant une des pièces sur la table:—Qu'est-ce que c'est?

      —Le buccinateur! répondit Bouvard.

      Foureau se tut—mais souriait d'une façon narquoise, jaloux de ce qu'ils avaient un divertissement au-dessus de sa compétence.

      Les deux anatomistes feignaient de poursuivre leurs investigations. Les gens qui s'ennuyaient sur le seuil avaient pénétré dans le fournil—et comme on se poussait un peu, la table trembla.

      —Ah! c'est trop fort! s'écria Pécuchet. Débarrassez-nous du public!

      Le garde champêtre fit partir les curieux.

      —Très bien! dit Bouvard! nous n'avons besoin de personne!

      Foureau comprit l'allusion; et lui demanda s'ils avaient le droit, n'étant pas médecins, de détenir un objet pareil? Il allait, du reste, en écrire au Préfet.—Quel pays! on n'était pas plus inepte, sauvage et rétrograde! La comparaison qu'ils firent d'eux-mêmes avec les autres les consola.—Ils ambitionnaient de souffrir pour la science.

      Le Docteur aussi vint les voir. Il dénigra le mannequin comme trop éloigné de la nature; mais profita de la