Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

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Название Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet
Автор произведения Divers Auteurs
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066084042



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marchands, le conseiller Lefèvre, ne se montrèrent pas plus favorables à la faction des princes. Nous avons vu que l'abbé Fouquet avait depuis longtemps gagné ces deux personnages à la cause royale. Tout ce que les princes purent en obtenir, ainsi que des cours souveraines[120], fut d'envoyer au roi des députations pour demander l'éloignement du cardinal Mazarin; mais ces démonstrations, imposées par l'intrigue et la violence, ne trompaient personne. Les princes voyaient toute autorité légale leur échapper. En même temps on apprenait que l'armée royale s'avançait vers Paris. Les partisans de la cour et du cardinal s'agitaient. L'hôtel de Chevreuse était le centre de mystérieuses conférences pour ouvrir au roi les portes de sa capitale. Le marquis de Noirmoutiers, et surtout Laigues, partirent de Paris le 24 avril, chargés des instructions du parti royaliste, et les portèrent à la cour. De son côté, l'abbé Fouquet se dirigea vers Corbeil, où Mazarin venait d'arriver; mais il fut arrêté sur le chemin et conduit à l'hôtel de Condé[121]. On saisit sur lui une lettre en partie chiffrée, qui donnait avis au roi et au cardinal qu'on leur ouvrirait à une heure déterminée les portes Saint-Honoré et de la Conférence. La première s'élevait à l'angle formé maintenant par les rues Saint-Honoré et Saint-Florentin; la seconde, entre la Seine et l'extrémité du jardin des Tuileries; elle tirait son nom d'une con[T.I pag.72]férence qu'y avaient tenue les royalistes et les ligueurs sous le règne de Henri IV. L'abbé Fouquet, vivement pressé de questions, répondit avec une fermeté qui ne déplut pas au prince de Condé. On ne put jamais arracher de lui le nom de celui qui avait écrit cette lettre. Les soupçons se portèrent sur plusieurs personnes, et principalement sur le procureur général. Enfin, vers le soir, l'abbé Fouquet fut reconduit chez son frère dans un carrosse de la maison de Condé. Il resta pendant près d'un mois prisonnier sur parole[122], sans discontinuer ses relations avec le cardinal Mazarin.

      Les princes prirent à la hâte des mesures pour arrêter les troupes royales qui s'avançaient. Tous les passages qui conduisaient à Paris furent interceptés, et les ponts de Saint-Maur, de Charenton et de Lagny coupés[123]. Les campagnes, ravagées par les deux partis, présentaient l'aspect le plus déplorable. Les paysans effrayés se réfugiaient à Paris, annonçant que les châteaux étaient brûlés, les champs dévastés, les troupeaux enlevés. Les bureaux d'octroi furent détruits par cette foule épouvantée et probablement aussi par les factieux, qui, en toute révolte, se signalaient d'abord par des violences contre les maltôtiers ou percepteurs d'impôts. Vainement le[T.I pag.73] prévôt des marchands envoya les archers de la ville pour contenir la multitude soulevée. Les archers furent eux-mêmes maltraités par la populace.

      Le lendemain (26 avril) le prévôt des marchands porta plainte au parlement et s'éleva avec force contre la conduite des princes, première cause de ce désordre. On voulut étouffer sa voix; mais l'avocat général Talon, s'adressant au duc d'Orléans, lui représenta la nécessité d'ouvrir les passages pour faciliter l'approvisionnement de Paris. Enfin les princes furent obligés d'entamer des négociations avec la cour. Le duc de Rohan, Chavigny et Goulas furent désignés pour aller négocier à Saint-Germain, et s'y rendirent le 28 avril. En résumé, les embarras et les difficultés se compliquaient: les principaux corps blâmaient la conduite de Condé, la famine devenait menaçante, les campagnes étaient désolées, et, après un éclat formidable et une entrée triomphale, le prince de Condé se voyait réduit à tout remettre en négociation.

      Quant au peuple, il commençait à souffrir des excès auxquels on l'avait poussé. «Pauvre peuple! lui disait un des écrivains royalistes du temps[124], pauvre peuple! qui t'exposes journellement à la famine en faveur d'une ingrate grandeur, dont tu as éprouvé si souvent l'inconstance ou l'infidélité! use de ta raison ou de ton expérience; ne crois plus ces supérieurs intéressés ou corrompus qui t'engagent à les servir pour se dégager de leurs téméraires entreprises. Ne vois-tu pas bien que le[T.I pag.74] Parlement se dégage le plus adroitement qu'il peut d'une liaison qu'il avoue avoir mal faite, et que les mieux sensés pratiquent sourdement leur accommodement pour se libérer de la punition qui pend sur la tête des malheureux ou des coupables, et dont la faiblesse ou l'indifférence des princes ne les tirera jamais? Demande la paix pour jouir ou du fruit de ton travail et de tes peines, ou du bien de tes pères. Demande le roi pour l'assurance et le sacré gage de cette paix, la prompte punition des coupables et des interrupteurs de la paix qui ne veulent que la confusion pour pêcher en eau trouble, et se rendre importants et redoutables à tes dépens.»

      L'auteur évitait adroitement de se déclarer en faveur de Mazarin, dont le nom seul soulevait la haine populaire; mais il montrait dans l'ambition et l'avidité des princes la cause principale des troubles et de la misère publique. «Si le roi ne leur accorde pas ce qu'ils demandent aux dépens des peuples, et si l'on ne donne pas à M. le Prince le meilleur revenu du royaume, pour l'indemniser de la dépense qu'il a faite pour te ruiner, aux dépens de tes rentes et des gages des officiers[125]; si l'on ne fait pas Marchin[126] maréchal de France, ce lâche déserteur de la Catalogne; si l'on ne satisfait pas madame de Montbazon, les chères délices de ce grand génie le duc de Beaufort; si l'on ne contente pas le marquis de la Boulaye; enfin, si le roi ne souffre pas le[T.I pag.75] partage de son État pour contenter tous ceux qui se sont jetés dans leurs intérêts, l'on verra à l'instant des menaces de l'établissement d'une tyrannie. L'on se vante de faire des assassinats en pleine rue; l'on promet à la canaille des billets pour piller les maisons, exposer chacun à ses ennemis particuliers, et ceux qui ont du bien à l'avarice des filous. Il est temps que tu y donnes ordre et promptement. Aussi bien la misère de tant de pauvres paysans qui ont amené leurs bestiaux va te donner la peste, qui n'épargnera ni les grands ni les petits, et qui aura bientôt rendu Paris désert, et désolé la face de cette grande ville, le séjour des rois et l'ornement de l'État.»

      Il y a, dans cet écrit, des vérités adroitement et fortement présentées; l'ambition des princes, la misère du peuple et la nécessité de la paix y sont bien peintes. Les négociations qui suivirent prouvèrent combien étaient justes les prévisions de l'auteur; les princes les firent échouer par leurs prétentions excessives, et il fallut plusieurs mois de guerres, d'excès et de calamités de toutes sortes pour que le parti de la paix l'emportât enfin et chassât de Paris le duc d'Orléans et le prince de Condé, avec leur cortège d'ambitieux et d'intrigants.[T.I pag.76]

       Table des matières

      AVRIL-MAI 1652

      Négociations des princes avec la cour: Rohan, Chavigny et Goulas à Saint-Germain (28-29 avril).—Prétentions des princes et de leurs députés.—Mauvais succès de ces négociations.—Mécontentement de Condé, du parlement et du cardinal de Retz.—Mission secrète de Gourville (mai 1652); propositions dont il est chargé.—Mazarin refuse de les accepter; lettre confidentielle du cardinal à l'abbé Fouquet (5 mai).—Madame de Châtillon continue de négocier au nom de Condé; caractère de cette dame; elle se fait donner par Condé la terre de Merlou.—Mazarin profite de toutes ces négociations et divise de plus en plus ses ennemis.—Le prévôt des marchands est maltraité par la populace.—La bourgeoisie prend les armes (5 mai).—Défaite de l'armée des princes à Étampes (5 mai).—Le parlement envoie le procureur général, Nicolas Fouquet, à Saint-Germain.—Harangue qu'il adresse au roi.—Nouvelle mission de Fouquet à Saint-Germain (10-14 mai).—Relation qu'il en fait au parlement (16 mai).—Les princes rompent les négociations avec la cour et reprennent les armes.

      Les députés des princes, Rohan, Chavigny et Goulas, se rendirent à Saint-Germain le 28 avril. Nous connaissons Chavigny: c'était le vrai dépositaire des secrets du prince de Condé. Les deux autres n'eurent qu'un rôle secondaire. Le duc de Rohan, désigné pendant longtemps sous le nom de Chabot, avait fait sa fortune en épousant l'héritière de la maison de Rohan. Il venait d'essuyer à Angers un échec, qui avait terminé tristement une[T.I pag.77] expédition commencée sous d'heureux auspices. On disait de lui, à cette occasion, «qu'il avait débuté en Rohan et fini en Chabot.» Quant à Lamothe-Goulas, secrétaire des commandements de Monsieur, il semblait chargé plus spécialement