Comte du Pape. Hector Malot

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Название Comte du Pape
Автор произведения Hector Malot
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089092



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pour les comprendre il n'y a qu'à les regarder, tant leur mimique est expressive.

      Et madame Prétavoine ne perdait pas un de leurs mouvements.

      —Ma maîtresse est avec «mylord,» disait le groom, vous ne pouvez pas entrer.

      Là-dessus la physionomie du jeune élégant avait exprimé un vif mécontentement.

      —Ardea, avait-il dit en accompagnant ce nom de pays d'autres mots que madame Prétavoine n'avait pas entendus.

      —Revenu à l'improviste, avait répliqué le groom.

      —Et va-t-il bientôt s'en aller?

      Deux bras grands ouverts, la tête baissée en avant furent une réponse qui n'avait pas besoin de traduction.

      Pendant ce temps mademoiselle Emma était arrivée et apercevant celui qui se tenait dans la porte entrebâillée, elle avait laissé échapper une sourde exclamation de mécontentement.

      Puis s'avançant vivement:

      —Mylord est revenu d'Ardea, dit-elle.

      —Reste-t-il?

      —Je crois qu'il va repartir; je vous ferai prévenir.

      Et moitié par persuasion, moitié par force, elle l'avait repoussé et lui avait mis la porte sur le nez.

      Immédiatement madame Prétavoine avait repris son livre, et s'asseyant elle s'était plongée dans une lecture si attentive, qu'elle allait jusqu'à prononcer des lèvres les mots qu'elle lisait.

      Bien lui avait pris de se hâter, car Emma, après avoir congédié le visiteur, s'était retournée, et elle avait aperçu la porte du salon entre-bâillée.

      Alors la pensée s'était présentée à son esprit que la dame qu'elle avait fait entrer dans ce salon, avait pu entendre ou tout au moins voir ce qui venait de se passer, et vivement elle était venue s'assurer de la réalité de ses soupçons.

      Mais la dame introduite dans le salon était si profondément absorbée dans sa pieuse lecture, qu'elle ne leva même pas la tête quand Emma entra; ce fut seulement quand celle-ci se trouva devant elle qu'elle l'aperçut.

      —Eh bien? demanda-t-elle, reprenant les choses au point où elles avaient été interrompues.

      —Madame la vicomtesse prie madame de vouloir bien l'attendre.

      —Vous voyez, c'est ce que je fais, dit madame Prétavoine, gracieusement.

      Et aussitôt elle s'enfonça de nouveau dans son livre.

      —Voilà une bigote, se dit Emma, qui ne voit pas plus loin que son nez.

      Et comme elle était Parisienne, elle ajouta en riant toute seule:

      —... Un nez de province encore; ils sont jolis les indigènes du pays du comte de la Roche-Odon.

      Et le mépris qu'elle professait pour ce vieil avare qui ne voulait pas mourir, se trouva singulièrement augmenté par le mépris que cette femme noire lui inspirait. Elle avait de la religion, mademoiselle Emma, «comme tous les gens comme il faut,» mais elle n'aimait pas les dévots.

      Pour madame Prétavoine, restée seule, elle avait de nouveau abandonné son livre pour réfléchir.

      Ce qu'elle venait de voir et d'entendre était assez clair pour qu'un grand effort d'esprit ne lui fût pas nécessaire.

      «Mylord» était l'amant de madame de la Roche-Odon, l'amant en titre, celui pour lequel on avait des égards et dont sans doute on dépendait à un titre quelconque et ce titre n'était pas bien difficile à deviner pour qui connaissait la position embarrassée de la vicomtesse: on n'habite pas un appartement complet, au premier étage de la via Gregoriana, avec plusieurs domestiques, sans de grosses dépenses. Qui fournissait à ces dépenses?—Mylord.

      Quant au jeune élégant qu'on renvoyait, c'était un amant subalterne, avec qui l'on ne se gênait point, et qui malgré son mécontentement acceptait assez volontiers son rôle.

      Comme elle en arrivait à ce point de son raisonnement, elle entendit un bruit de voix dans le vestibule.

      Rapidement elle reprit son livre.

      Et presqu'aussitôt la porte s'ouvrit devant la vicomtesse de la Roche-Odon.

       Table des matières

      Madame Prétavoine avait souvent entendu parler de la beauté de la vicomtesse de la Roche-Odon; mais pour elle, c'était chose passée que cette beauté; car, bien qu'on ne sût pas au juste l'âge de la vicomtesse, il résultait des incidents de sa vie révélée par ses nombreux procès, qu'elle devait avoir au moins quarante ans, sinon plus.

      Et cependant la femme qui venait d'ouvrir la porte ne paraissait pas avoir trente ans; pas une ride sur le visage; une démarche souple, légère, pleine de grâce; une chevelure blonde et fine comme celle d'une jeune fille de quatorze ans; une bouche rose; un sourire radieux; et avec tout cela la beauté correcte d'une statue, de la tête aux pieds.

      Madame Prétavoine, qui cependant n'était guère sensible à la beauté, fut émerveillée.

      Elle s'était levée; elle resta un moment sans parler.

      Ce fut madame de la Roche-Odon qui commença l'entretien:

      —On me dit, madame, que vous avez à me remettre une lettre de M. Filsac; il a été plein de zèle, plein de dévouement pour moi M. Filsac, et je serais heureuse de lui témoigner ma reconnaissance pour ses bons soins.

      Cela fut dit avec une bonne grâce parfaite qui eût donné du courage à la solliciteuse la plus réservée.

      Mais ce n'était point en solliciteuse que madame Prétavoine se présentait.

      Elle tendit à la vicomtesse la lettre de l'avoué.

      Bien qu'elle fût longue, madame de la Roche-Odon la lut d'un coup d'oeil.

      —Ah! madame, dit-elle lorsqu'elle l'eut achevée, combien j'ai d'excuses à vous faire; c'est vous qui venez chez moi quand c'eût été à moi d'aller chez vous, si vous aviez bien voulu m'envoyer cette lettre au lieu de prendre la peine de me l'apporter.

      —C'était à moi, madame, d'avoir l'honneur de vous faire la première visite.

      —M. Filsac me dit que vous voyez souvent ma chère fille et que vous pouvez me parler d'elle longuement. Comment est-elle, la pauvre petite?

      C'était là que madame Prétavoine attendait madame de la Roche-Odon; la première partie de son plan avait réussi, elle était entrée dans la place. A elle maintenant, à son adresse, de s'y établir, à son tact de s'y maintenir.

      Puisqu'on l'interrogeait, elle pouvait répondre, et pour cela prendre son temps.

      —Il faut, dit-elle, que je vous explique, madame, comment M. Filsac a été amené à me charger de cette lettre et à vous faire parvenir par moi des nouvelles de mademoiselle Bérengère. Touchés, comme tous les catholiques, des malheurs du Saint-Père, nous avons organisé dans le diocèse de Condé une loterie de Saint-Pierre, dont le produit devait être offert à Sa Sainteté. Grâce au ciel, nous avons ainsi réuni une assez grosse somme, je dis grosse, relativement à nos ressources,—et comme j'étais la trésorière de l'oeuvre, j'ai été désignée pour la porter à Rome.

      Bien que madame Prétavoine n'eût jamais étudié l'art de la rhétorique, elle venait, en peu de mots, de bâtir un exorde qui réunissait toutes les qualités requises.

      Le but de l'exorde étant de se concilier la bienveillance de la personne à laquelle on s'adresse, madame Prétavoine avait voulu tout d'abord se faire connaître. Qui