Comte du Pape. Hector Malot

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Название Comte du Pape
Автор произведения Hector Malot
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089092



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par ces étrangères?

      —Je vous assure que j'ai parfaitement reconnu votre chanoine, qui maintenant fait métier de mouton, comme on dit dans les prisons. On a voulu vous tâter, et l'on ne vous a abandonné que quand on a vu que vous ne vous livreriez pas.

      Le temps s'écoula; la demie, les trois quarts, midi sonnèrent.

      Michel déclara qu'il allait attendre encore dix minutes, puis qu'il s'en irait.

      Il ne voulait pas crever de faim; ah! non, par exemple.

      Mais à midi cinq minutes la porte opposée à celle par laquelle ils étaient entrés s'ouvrit devant un camérier qui annonça que «Sa Sainteté» allait paraître.

      Il se produisit un mouvement général et un brouhaha.

      Une voix dit:

      —A genoux.

      —Comment, à genoux? murmura Michel.

      —Mais, sans doute, dit Aurélien.

      —Au fait, qu'importe? je me traînerais bien à quatre pattes pour voir le grand lama.

      Et il s'agenouilla à son tour auprès d'Aurélien.

      Ils étaient tous disposés sur une seule file: les trois ecclésiastiques près de la porte par laquelle le pape devait entrer, après eux venaient le monsieur au carnet, Aurélien, Michel, les deux Français, et à la fin le personnage aux paquets enveloppés de papier blanc.

      On entendit un murmure de voix, puis comme le bruit d'un bâton frappant des coups irréguliers sur le parquet, et le pape parut entouré de cardinaux en soutane noire ourlée de rouge, d'évêques en violet, d'un majordome, de camériers et de deux gardes-nobles.

      Au milieu de ces costumes plus ou moins sombres, le pape, tout en blanc, formait un centre lumineux; il s'avançait en s'appuyant sur une grosse canne, traînant un peu la jambe, et sa figure, bien que pâle, respirait la santé et le contentement; la physionomie générale était noblement bénigne avec quelque chose de spirituel et de malicieux dans le sourire.

      Les deux prêtres en soutanes neuves s'étaient prosternés devant lui et ils tâchaient de baiser ses souliers de cuir rouge brodé d'or, mais il les releva avec un geste qui disait que ces adorations n'étaient pas pour lui plaire.

      Alors ils lui tendirent une tabatière, dans laquelle on entendit sonner des pièces d'or; il la prit d'un air assez indifférent et la passa à une des personnes de sa suite; puis doucement, avec bienveillance, il leur adressa en français quelques questions sur leur pays, qui était le Canada.

      Le monsignore, qui le précédait, demandait les lettres d'audience aux personnes agenouillées, et nommait ces personnes au pape, en disant par qui elles étaient présentées.

      —Que voulez-vous de moi? demanda le pape, en arrivant devant le personnage au carnet.

      Celui-ci parut interloqué et hésita un moment.

      —Présenter mes hommages à Votre-Sainteté.

      Le pape le regarda pendant une ou deux secondes.

      —Il faut me demander quelque chose.

      Il n'y eut pas de réponse.

      Alors le pape le regarda plus attentivement; puis, lui mettant la main sur le front:

      —Eh bien! je vous donne ma bénédiction.

      Et il passa à Aurélien, qu'il questionna assez longuement sur l'université de Louvain.

      —Restez-vous longtemps à Rome?

      —Je l'espère, Saint-Père.

      —Alors je vous reverrai.

      A Michel, au contraire, il ne demanda rien, et lui donna seulement son anneau à baiser en passant rapidement devant lui.

      Mais avec les deux jeunes Anglais, il ne garda pas cette réserve, et il leur adressa plusieurs questions en français.

      Puis, avant de s'éloigner d'eux, il les regarda en souriant:

      —Puisque vous êtes venus à moi, dit-il, il faut rester avec moi.

      Ils montrèrent un véritable ébahissement.

      Alors il leur donna son anneau à baiser; puis, se tournant vers un des cardinaux de sa suite, en gardant son sourire:

      —Expliquez à ces jeunes gens, dit-il, le sens des paroles que je viens de leur adresser; ils ont besoin d'être catéchisés.

      Et il ajouta en parlant à tous:

      —Il faut qu'ils restent avec moi.

      Il était ainsi arrivé au monsieur qui avait déposé sur le fauteuil sa provision de boîtes et de paquets.

      Profitant de ce que personne ne faisait attention à lui, celui-ci avait développé ses papiers et avait étalé autour de lui, sur le tapis, tout un déballage de chapelets, de médailles, de statuettes, de madones; il y avait des vierges en cuivre doré, une statuette en bronze d'après le saint Pierre de Saint-Pierre, des saints, des saintes.

      Le nom que le monsignore prononça ne fut pas celui d'un marchand d'objets de piété, comme on aurait pu le supposer, ce fut celui d'un dignitaire de la cour de Munich.

      On se releva et on accompagna le pape jusqu'aux portiques de la cour Saint-Damasse. Sur son passage les hallebardiers s'agenouillaient la tête inclinée.

      Aurélien n'avait eu garde de se séparer de Michel.

      Et ils descendirent ensemble l'escalier qui mène à la sortie.

      —Il a l'esprit d'à-propos, le saint-père, dit Michel; avez-vous vu comme il a imposé sa bénédiction à ce monsieur qui ne voulait pas la lui demander, et les jeunes Anglais, les a-t-il bien collés! Je me retenais pour ne pas rire.

      Et libre maintenant, il se mit à rire aux éclats.

      Mais tout à coup s'arrêtant:

      —C'est égal, il a fallu payer ce plaisir trop cher; je meurs de faim; jamais je ne pourrai gagner le Corso sans défaillance.

      —Est-ce qu'il n'y a pas un café, un restaurant sur la place Rusticucci?

      —Une gargote.

      —Quand on meurt de faim... Pour moi, je m'arrêterai là volontiers, et, si vous voulez me faire l'honneur d'accepter le pauvre déjeuner que je vais me faire servir, je serai heureux de le partager avec vous.

      —Au fait, pourquoi pas; il est bon de tout connaître.

      Et comme deux amis, ils entrèrent dans un restaurant qui, à vrai dire, n'avait rien d'engageant.

      Mais Aurélien avait bien souci de ce qu'on pouvait leur servir: maintenant qu'il tenait le frère de Bérengère, il s'agissait de ne pas le laisser échapper.

       Table des matières

      Malgré son air rogue, le jeune prince Michel était d'humeur assez facile avec ceux qui savaient le prendre.

      Hâbleur, fanfaron, capricieux, jaloux de tout, mécontent des choses et des personnes, orgueilleux comme un coq qui s'admire et ne supporte pas de supériorité, ignorant et parlant haut de tout comme de tous, d'après ce qu'en disait le journal parisien, qui depuis son enfance avait fait et faisait encore sa seule lecture; il ne manquait pas cependant de noblesse dans les manières et même dans certaines façons de penser; après qu'il avait débité d'un ton superbe une niaiserie ou une monstruosité dans un langage vulgaire, on était tout surpris de l'entendre émettre une idée généreuse ou soutenir une cause juste, sans se préoccuper de savoir