Название | Les vrais mystères de Paris |
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Автор произведения | Eugène François Vidocq |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080952 |
Roman, à quelques jours de là, invitait au nom de son maître, les châtelains les plus voisins et le notaire que nous connaissons déjà, à passer la journée au manoir de Pourrières. Tous les invités se montrèrent exacts; on savait que le marquis savait faire les honneurs de sa table.
—Je vous ai réunis, messieurs, dit Salvador à ses convives au moment où l'on allait se mettre à table, pour déguster quelques flacons d'excellent Tokay, et quelques nouveautés gastronomiques que je viens de recevoir de Paris.
Le déjeuner fut servi avec ce luxe et ce confort qui ajoutent une nouvelle saveur à la délicatesse des mets et à l'excellence des vins. Comme toujours, Salvador se montra aimable et gracieux. Cependant un examen attentif eût permis de saisir sur sa physionomie l'expression d'une vive préoccupation. On resta longtemps à table, Salvador après avoir fait servir à ses convives le café et les liqueurs, leur proposa une partie de boules; on joue beaucoup aux boules dans les contrées méridionales de la France, et particulièrement en Provence. La proposition fut acceptée avec enthousiasme, et les convives s'empressèrent de se rendre sur une pelouse située devant l'entrée principale du château.
On allait engager les parties, lorsque Ambroise botté et éperonné, et conduisant une jument par la bride, s'approcha de Salvador et lui demanda s'il avait quelques commissions pour Aix. Celui-ci qui avait reçu de Roman les instructions nécessaires, lui remit un bon de cent francs qu'il le chargea de remettre au libraire Aubin, qui faisait ses abonnements aux journaux et aux Revues de la capitale.
—Le père Ambroise est encore fort et vigoureux, dit le marquis en s'adressant à ses convives, et malgré son grand âge, il est aussi bon cavalier que le premier postillon du pays. Mais c'est égal, je défendrai à Lebrun de vous faire faire d'aussi longues courses.
—Monsieur le marquis est bien bon, répondit Ambroise; mais comme j'ai encore bon pied, bon œil, il faut que je me rende utile.
—C'est bien, Ambroise, c'est bien, partez, mon ami, et que Dieu vous conduise.
Ambroise était en selle, il piqua légèrement sa bête et partit au petit trot.
—Il est bien bon pour moi, se disait-il en laissant flotter les rênes sur le col de sa monture, tout le monde le reconnaît: le notaire; qui causait avec lui tout à l'heure; les neveux de feu madame la marquise; mais ses yeux sont bleus, dit-il à haute voix, et j'en suis bien sûr, ceux d'Alexis étaient noirs... Oh! mon songe, mon songe!...
Tandis que la monture d'Ambroise trottait dans un petit sentier qui conduisait à la route d'Aix, les parties de boules continuaient devant l'entrée du château.
Elles se prolongèrent jusqu'à l'heure du dîner, auquel assistèrent toutes les personnes qui avaient pris part au repas du matin. Vers huit heures du soir, Salvador ayant demandé une clé dont il prétendait avoir besoin, Roman lui répondit devant ses convives qu'Ambroise avait emporté cette clé et qu'il n'était pas encore rentré. On pensa naturellement que le vieillard s'étant trouvé fatigué, s'était déterminé à coucher à Aix, et qu'il ne reviendrait que le lendemain.
Le château de Pourrières était entouré de vastes dépendances en terres labourées, bois, vignes, plantations de mûriers et d'oliviers, qu'il fallait traverser pour gagner le village où se trouvait un embranchement qui conduisait à la route d'Aix; ce chemin était celui que prenaient toutes les personnes qui venaient de la ville; mais les habitants du château que leurs affaires appelaient à Aix, en avaient adopté un autre qui diminuait le trajet d'au moins une demi-lieue.
Le parc du château de Pourrières, d'une très-vaste étendue et planté d'arbres de haute futaie, est traversé à son extrémité par un ruisseau qui prend sa source dans les montagnes qui couronnent la vallée où est bâti ce château. Ce ruisseau coule lentement entre deux rochers d'une hauteur d'environ trente-cinq mètres, au sommet desquels on arrive par deux pentes douces ménagées exprès des deux côtés du parc; ces deux rochers et le ruisseau qu'ils enserrent dans leur sein forment à la partie du parc qui avoisine le manoir une ceinture naturelle qui deviendrait impossible de franchir si un pont n'avait pas été établi sur les deux crêtes les moins élevées des rochers.
La largeur du ruisseau n'étant pas très-considérable, on a tout simplement, pour établir ce pont, jeté de forts madriers sur les rochers, et sur ces madriers qui sont tenus en place par de forts crampons en fer, on a fixé des planches assez épaisses. Lorsqu'on a traversé ce pont primitif, on suit un petit sentier qui conduit, après quelques détours, sur la grand'route d'Aix à Marseille.
Salvador et ses convives allaient se lever de table, lorsqu'un domestique, dont la physionomie renversée et les yeux hagards annonçaient qu'il était porteur d'une mauvaise nouvelle, entra dans la salle à manger.
—Oh! monsieur le marquis! s'écria-t-il, quel malheur! quel affreux malheur!... Ambroise! le pauvre Ambroise!
—Eh bien! dit Salvador, qu'est-il donc arrivé à Ambroise.
—Il est mort! monsieur le marquis; je viens de retrouver son corps dans le ruisseau du parc. Le pont s'est rompu, sans doute au moment où il passait dessus avec sa jument.
Et le domestique, sans attendre la réponse de son maître, le quitta pour aller apprendre la triste nouvelle aux autres habitants du château.
Tous les convives s'étaient levés de table lorsque le domestique était venu annoncer le fatal événement qui avait causé la mort du pauvre Ambroise, et Salvador s'était élancé sur ses traces en affectant tous les signes d'une profonde douleur. Les convives avaient suivi ses pas, et lorsqu'on arriva au lieu où gisait le cadavre, Roman, qui s'était mêlé parmi les amis de son maître, affichait une douleur que tout le monde s'empressa de consoler.
Le cadavre du vieux serviteur fut relevé avec toutes les marques du plus profond respect et transporté au château. Les convives de Salvador, respectant la douleur qu'il paraissait éprouver, se retirèrent après lui avoir témoigné toute la part qu'ils prenaient au triste événement qui venait d'arriver.
Le lendemain matin, Salvador et Roman se promenaient dans la partie réservée du parc. Roman, qui paraissait très-satisfait, se frottait joyeusement les mains.
Le hasard nous a servis, dit Salvador, que Roman n'avait pas tout à fait mis dans la confidence de son projet, et qui depuis la veille n'avait pas trouvé un instant pour interroger son digne ami.
—Oui, dit Roman, mais c'est moi qui ai fait naître ce hasard.
—Comment cela?
—Je savais que chaque fois qu'Ambroise se rendait à Aix, il prenait la route du parc qui abrége beaucoup le chemin. Hier, je lui ordonnai de se rendre dans la ville, et je l'envoyai te demander tes commissions devant tes convives qui avaient été invités à dessein, afin qu'il fût bien établi qu'il partait de son plein gré.
—Mais cela ne me dit pas comment il se fait que le pont se soit rompu, justement au moment où il passait dessus.
—Eh! mon cher, rien de plus simple. Depuis quelques jours, je versais chaque matin de l'acide sulfurique sur les parties des madriers qui avaient le plus souffert des outrages du temps, de sorte qu'ils devaient nécessairement se rompre et emporter avec eux tout l'édifice au moment où ils auraient à supporter le poids d'un homme et d'un cheval; et les parties de rochers sur lesquelles était établi ce pont formant l'entonnoir, il était certain qu'Ambroise serait mort avant d'être arrivé au fond du précipice.
—Roman, je suis content de vous, dit Salvador en tendant la main à son digne compagnon; vous vous êtes acquis des droits éternels à ma reconnaissance et à la moitié de la fortune de la famille de Pourrières. A propos, quand partageons-nous?
—A quoi bon partager? tu le sais, j'ai de l'amitié pour toi; aussi, je désire que nous ne nous séparions jamais. Je suis ennemi du faste et des grandeurs, la position que j'occupe ici ne me déplaît pas; je ne parais être, il est vrai, que le premier de tes domestiques,