Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

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Название Les vrais mystères de Paris
Автор произведения Eugène François Vidocq
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066080952



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      Le marquis rentrait en effet dans la salle qu'il venait de quitter, le feu flambait dans l'âtre, il prit deux verres et quelques biscuits dans une armoire:

      —Voilà, dit-il, une de ces vieilles bouteilles du clos Vougeot que nous ne débouchons que dans les grandes occasions, à la santé du père Loiseau.

      —Ce pauvre orphelin[35] n'est pas, à l'heure qu'il est, aussi content que nos zigues[36].

      —Il faut en convenir, ce vicomte de Lussan est une véritable providence, il est comme le solitaire, il sait tout, il voit tout, il est partout.

      —Tu lui as coqué son fade[37]?

      —Gy[38], dix mille balles en taillebins d'altèque[39], il s'est contenté de cela, le vicomte est raisonnable.

      —Et prudent: les taillebins n'ont pas de centre[40].

      —Allumans un peu cette camelotte[41].

      —Entraves-tu[42] comme ils jaspinent bigorne[43]? dit Délicat, c'est des grinches[44].

      —T'as raison, c'est des pègres[45] et de la haute[46] encore.

      —Et qui viennent de faire un fameux chopin[47] les gueux.

      —Rembroque[48] ces mirzalles[49], disait le marquis à son intendant, tandis que Délicat et son compagnon causaient à voix basse dans le petit dégagement, tant rondines[50] piquantes[51] cadennes[52] et durailles sur mince[53]. Il y en a pour plus de cinquante mille balles[54].

      —Tu vois, mon cher marquis, que je travaille toujours assez bien, soit dit entre nous, bon cheval n'est jamais rosse.

      —C'est vrai.

      —Les caroubles débridaient bien[55], n'est-ce pas?

      —Le père Loiseau n'aurait pas ouvert plus facilement avec ses clés.

      Le marquis tira sa montre.

      —Bientôt neuf heures, dit-il, il est temps de partir, nous avons beaucoup de choses à faire ce soir; va porter la camelotte[56] à la planque[57], et partons, nous attrimerons plus tard au fourgat[58].

      L'intendant réunit dans la forme de son chapeau plusieurs petites boîtes de maroquin vert et rouge qu'il en avait tirées, et sortit de la pièce.

      —C'est fait, dit-il en rentrant après une absence de quelques minutes, maintenant, partons.

      —Qué chance, mon vieux Coco-Desbraises ils vont décaniller.

      —Oui, qu'ils se la donnent[59] et nous dirons deux mots à la planque de ces rupins[60].

      Après le départ du marquis et de son intendant, Délicat et Coco-Desbraises sortirent du petit dégagement dans lequel ils s'étaient tenus blottis, avec l'espérance de découvrir la cachette dont ils avaient entendu parler. Ils se disposaient à briser les meubles, mais les clés étaient sur toutes les serrures et tous les meubles étaient vides; ils cherchèrent avec un acharnement sauvage sans pouvoir rien trouver; ils voulurent enfin se venger sur la cave, dont ils ouvrirent la porte avec la clé accrochée dans la salle à manger; mais cette cave, comme tous les meubles qu'ils avaient déjà visités, était complétement vide; ils y trouvèrent seulement une bouteille de vin blanc, qu'ils vidèrent en deux coups.

      —En v'là une dure, en v'là une criminelle! pas un fenin[61] chez un marquis, dit Délicat, c'est le raboin[62] qui s'en mêle.

      —Tout ça n'est pas naturel, répondit Coco-Desbraises, mais ous donc qu'ils ont planqué la camelotte de l'orphelin qu'ils ont nettoyé[63]?

      —J'en paume la sorbonne[64]; si tu veux, nous allons recommencer à rapioter[65] partout; la camelotte[66] est ici, c'est sûr; il faut la trouver.

      De nouvelles recherches furent tout aussi infructueuses que celles qui venaient d'être faites.

      —Niente[67], dit Coco-Desbraises, qui paraissait en proie à une violente colère.

      —Foi de bon zigue[68], répondit Délicat; si tu veux, nous allons coquer le riffle à la piole[69], puisque nous ne pouvons rien trouver.

      —Ça serait pas juste, y ne sont peut-être pas les propriétaires.

      —Pourquoi que ça n'serait pas eux, puisque l'un de ces grinches[70] est marquis, et que l'autre est son intendant? C'est-y drôle que des nobles qui sont nobles soient des pègres[71], et des chouettes pègres[72] encore.

      —C'est vrai que c'est drôle; car s'ils sont riflards[73], pourquoi qu'ils risquent leur peau pour poisser[74]?

      —Dis donc, si c'était des railles[75]?

      —En v'là une de loffitude[76]. Si c'étaient des rousses[77], est-ce qu'ils seraient marquis et intendant? Ah! que j'marronne[78] de n'avoir pas pu les remoucher[79].

      —As-tu remarqué comme ils parlent? qu'on dirait des charabias ou des Gascons.

      —En tout cas, y sont vicieux, les coquins, d'avoir si bien planqué[80] leur camelotte[81].

      —T'as raison; mais quand on est si de la bonne[82], s'exposer à aller au pré[83], c'est pavillonner[84].

      —C'est peut-être une passion; mais quand on a des chopins de cinquante mille balles à fourguer[85], on peut bien risquer quelque chose. C'est-y ça un grinchissage[86]! Sont-y heureux les scélérats!

      —T'auras beau te morfiller le dardant[87], tu n'empêcheras pas que ça ne soit comme ça; l'eau va toujours à la rivière.

      Tout en conversant, Délicat et Coco-Desbraises avaient parcouru la maison dans tous les sens; mais à leur grand regret, ils n'avaient rien trouvé de bon à prendre; seulement Délicat, ayant découvert dans une remise une redingote et un pantalon oubliés depuis longtemps et couverts de poussière, voulut absolument s'en vêtir.

      Délicat et Coco-Desbraises employèrent, pour sortir du pavillon, le moyen qui leur avait servi pour y entrer; et, après avoir suivi quelques instants un petit sentier tracé à travers les terres labourées, ils se trouvèrent sur la route pavée qui conduit à Paris.

      —Nous avons un bon ruban de queue d'ici à Pantin[88], dit Coco-Desbraises.

      —C'est égal, répondit Délicat; je n'ai plus taffetas du vert[89], et je puis aller jusqu'au bout du monde, maintenant que j'ai un montant[90] et une bonne pelure[91] sur les andosses[92].

      Le marquis et son intendant qui avaient pris le chemin de fer pour revenir à Paris se quittèrent à la station; l'intendant était monté dans un cabriolet, et le marquis avait continué sa route à pied, le visage à moitié couvert par un cache-nez et le corps bien enveloppé dans son manteau. Arrivé sur le boulevard de l'Hôpital, il s'arrêta quelques minutes; puis il revint sur ses pas. Après avoir recommencé plusieurs fois la même manœuvre, il entra dans une maison sans portier, dont la porte était fermée par une serrure à secret; il gravit lestement quatre étages, et entra dans une petite pièce carrée dont il ferma soigneusement la porte.

      Sans perdre de temps, il quitta le costume assez élégant dont il était couvert pour se revêtir de celui que portent habituellement les patrons ou conducteurs de bateaux; cela fait, il sortit, et après avoir traversé le quai, il descendit sur la berge, puis détacha un bateau du piquet auquel il était retenu, et s'abandonna au cours de la Seine. Arrivé à la hauteur de la place de l'hôtel de ville, et après avoir solidement amarré son bateau à un des gros anneaux de fer scellés dans le parapet, il s'engagea dans l'étroite et sombre ruelle à laquelle on a donné le nom de rue des Teinturiers.