Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

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Название Les vrais mystères de Paris
Автор произведения Eugène François Vidocq
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066080952



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à la main, enfin le costume rigoureusement exigé par les saints canons.

      M. François était, au dire de M. le curé, une de ses brebis les plus chères, mais la chronique ajoute que la susdite brebis s'était quelque peu égarée; aussi M. le curé avait-il fait de nombreuses tentatives pour la ramener au bercail. En ce moment, et bien qu'il eût d'autres vues sur son honnête paroissien, il ne manqua pas de le prendre par son faible; élevant donc sa dextre avec solennité, il lui donna sa sainte bénédiction en l'accompagnant de ces mots:

       Domine sit in animâ tuâ.

      M. François, qui possédait comme je vous l'ai dit une véritable érudition, s'empressa de répondre en se découvrant et en se signant:

       Ave Domine, gratias ago. Amen!

      Les préliminaires ainsi terminés entre le curé et son ouaille, et tous deux satisfaits sans doute d'avoir montré le fruit de leurs études, le curé continua en ces termes:

      —Il y a bien longtemps, mon bon M. François, que je n'ai eu le plaisir de vous voir au presbytère: aurais-je eu le malheur d'encourir votre disgrâce?

      —Pas le moins du monde, M. le curé, répondit M. François, je n'ai jamais eu qu'à me louer de vos procédés envers moi, vous avez l'estime de tous vos paroissiens et la mienne; mais vous l'avouerai-je? plus le temps de Pâques approche, et plus je fuis le presbytère; il me semble que je ne saurais y aller sans régler certains comptes fort arriérés... vous savez...

      —Allons donc, mon bon M. François, croyez-vous que je fasse de la religion dans la rue, et que je sois assez intolérant pour vous relancer jusque dans vos travaux? Combien c'est mal me connaître; si je me plains de la rareté de vos visites, mon bon M. François, c'est parce que vous êtes un aimable convive, et que depuis longtemps je n'ai eu le plaisir de me trouver avec vous; il faut pour m'en dédommager, que vous veniez sans cérémonie un de ces matins me demander à déjeuner; je vous ferai goûter d'un certain vin vieux de derrière les fagots, dont vous me direz votre sentiment, surtout ayez soin de ne pas venir un jour maigre, vous savez que le carême n'a déjà que trop de rigueurs, il faut donc que nous nous indemnisions ensemble.

      M. François, flatté d'une invitation aussi polie, et certain d'ailleurs que M. le curé ne voulait pas l'entreprendre sur le chapitre de la confession générale, s'empressa d'accepter le déjeuner offert: on prit jour pour le jeudi suivant.

      Le jour indiqué étant venu, le bon M. François fait un pouce de toilette et se rend au presbytère, les signes précurseurs sont du plus favorable augure. En effet, l'atmosphère environnante est agréablement parfumée de l'odeur des viandes que l'on prépare pour les estomacs pieux de nos deux personnages.

      On s'assied, la table est mise avec propreté et même avec élégance, deux couverts seulement y figurent, mais les bouteilles y sont en bien plus grand nombre. Le curé qui sait le moyen de mettre son convive de bonne humeur, ne manque pas de lui dire en montrant les bouteilles: Album an atrum pota?

      Aut interlibet, aut alternis vicibus, réplique M. François; là-dessus, nos gens satisfaits d'eux-mêmes, engagent la partie à fond: les morceaux se succèdent avec rapidité, on mouille d'autant, les gais propos viennent à la suite; bref, Rabelais n'a rien de mieux dans son chapitre des propos de table.

      Le second service a disparu: monsieur François paraît légèrement absorbé par la digestion, son œil indécis n'a plus la même netteté, monsieur le curé, pour le remercier, le salue d'un Nunc est bibendum, pulsanda tellus pede libero?

      —Dulce est desipere in loco, riposte bravement monsieur François.

      Nos gens ayant ainsi prouvé qu'ils n'avaient pas oublié leur Horace, se mettent à trinquer de plus belle; les couleurs se confondent, on verse alternativement le blanc et le rouge, puis le rouge et le blanc, puis vient le café avec ses éternels accompagnements; le vieux cognac, le kirsch de la Forêt-Noire et l'anisette de Bordeaux; mais depuis longtemps monsieur le curé s'était aperçu que les yeux de son convive papillotaient, que ses jambes étaient titubantes, enfin que sa raison était ensevelie au fond des bouteilles, c'était l'état où il voulait l'amener; quant à lui, plus jeune, plus fort, plus aguerri et surtout plus maître de lui, c'était à peine si les nombreuses rasades qu'il avait absorbées lui faisaient impression. D'ailleurs, il lui fallait toute sa présence d'esprit pour arriver à ses fins.

      S'étant assuré de nouveau que la langue de monsieur François, épaississait de plus en plus, que sa vue était presque à l'état d'éclipse, et sa raison dans les limbes....

      —Monsieur François, dit-il, avant de nous séparer, j'espère que vous voudrez bien me rendre un petit service.

      —Comment donc, monsieur le curé, mais tout ce que vous voudrez, disposez de moi, ne suis-je pas votre ami?

      —Oh! je le sais, mais il s'agit de peu de chose. Vous saurez donc que monseigneur l'évêque m'a demandé quelques renseignements sur l'état moral de la paroisse, sur l'instruction primaire, etc.; ces renseignements sont rédigés, mais il faut, outre mon témoignage, qu'ils soient revêtus de la signature d'un des plus notables de la commune; or, qui est plus compétent que vous en pareille matière, vous qui venez de me parler latin comme feu Cicéron, et que tout le monde cite comme le plus érudit du pays, voici les papiers, veuillez les signer.

      En achevant ce petit discours, monsieur le curé place divers papiers sur la table, monsieur François encore sous l'influence des paroles flatteuses qu'il vient d'entendre, et des nombreuses rasades qui lui ont été versées, s'arme d'une plume, et par cinq fois entoure son nom de son plus beau parafe.

      Le tour était joué.

      —Il faut que je dise mes offices et que j'aille visiter mes malades, dit alors monsieur le curé: adieu, mon bon monsieur François, excusez-moi si je vous quitte si vite, mais vous connaissez l'exigence de nos devoirs, principalement en ce saint temps de carême; mes civilités respectueuses à votre digne épouse et à toute votre respectable famille.

      On se quitte les meilleurs amis du monde.

      A six mois de là, le digne monsieur François entouré de sa famille et de ses domestiques, dînait patriarcalement, heureux du bonheur de tous ceux qui l'entouraient, lorsqu'un homme à mine rébarbative se présente, c'était une de ces figures sinistres connues de tout un arrondissement, comme l'épouvantail des grands et des petits; à cet aspect de funeste présage, toutes les mâchoires cessent de fonctionner, la foudre tombant au milieu de la famille réunie, ne l'aurait pas autant impressionnée, terrifiée!

      Cependant monsieur François se lève:

      —Qu'y a-t-il, maître Tenantbon? (c'était le nom du personnage, honnête huissier de son état), dit-il.

      —Une misère, mon bon monsieur François, c'est une petite visite intéressée que je viens vous rendre, pour et à cette fin de recevoir de vous une somme de dix mille francs, plus les frais montant de cinq effets créés par monsieur le curé de votre commune, endossés par vous et protestés faute de payement.

      —Comment? quoi? qu'est-ce? que dites-vous?

      —Mais! dit maître Tenantbon, de sa voix la plus mielleuse; ceux qui m'envoient ne sont pas des fous. Tenez, voyez, n'est-ce pas là votre signature.

      —Ah! mon Dieu! qu'ai-je fait? s'écria monsieur François, moi qui ai cru signer des papiers pour l'évêché... malédiction! Oui, dit-il enfin à maître Tenantbon, c'est bien ma signature; mais il y a des juges à Berlin et je serai vengé!

      A un mois de là, l'abbé en question, était condamné à un an de prison comme coupable d'escroquerie et d'abus de confiance; mais la Belgique est une terre hospitalière, où l'on fait collection d'hommes de bien, l'abbé alla pendant quelque temps en augmenter le nombre[218].

      Deux hommes se sont retirés dans l'embrasure d'une fenêtre pour causer plus à leur aise; l'un est grand, maigre, son teint est bilieux, ses yeux d'un gris douteux sont surmontés d'épais sourcils noirs qui se joignent à la naissance du