Mon Chemin de Perles. Anna Bondareva

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Название Mon Chemin de Perles
Автор произведения Anna Bondareva
Жанр Приключения: прочее
Серия
Издательство Приключения: прочее
Год выпуска 0
isbn 9785005115119



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a également réussi à me séparer du chat.

      – Je vais lui donner du lait.

      Puis elle est sortie de la salle de bain.

      Je me suis précipitée sur la tasse d’eau et le verre de cognac, que j’ai avidement vidés, et je me suis libérée de mes vêtements en lambeaux. Mais, soudain, j’ai entendu quelqu’un frapper fort à la porte d’entrée.

      – Frau Zimmermann! Ouvrez!

      Il y avait une voix barbelée devant la porte.

      – Il s’agit d’une procédure de vérification matinale!!

      Il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’il existait une sorte de détour matinal. J’ai soudain entendu de terribles pas lourds s’approcher de la salle de bain. J’ai pris mes vêtements et je me suis cachée dans un grand placard en chêne, qui se trouvait en face de la baignoire. Je me suis accroupie en essayant de ne pas respirer. La porte de la salle de bain s’est ouverte en grinçant.

      – Frau Zimmermann! Viens ici! signifiait l’ordre venant de l’homme, en allemand. Qui boit du cognac le matin chez vous? Est-ce que Franz Fischer lui-même a dormi ici cette nuit? Vous lui avez plu? Cela aurait pu être une chance pour vous! Je peux aussi vous aider, si vous êtes gentille avec moi.

      Au désespoir et assaillie par le dégoût, je me suis mordu silencieusement le poignet. Je pensais que j’allais perdre conscience.

      Pendant de longs instants, j’ai entendu des gémissements d’homme dégoûtant.

      – Tu es tellement douée pour ça, espèce de salope juive! Après-demain matin, attends-moi, je vais te rendre visite…

      Les lourdes bottes se sont finalement dirigées vers la sortie, tandis que l’homme sifflait une mélodie pleine de fausses notes.

      Dès qu’il est parti, Helena a ouvert la porte du placard et m’a aidée à sortir. Mon corps ne m’a pas du tout écoutée; mais comment était-elle, comment allait-elle, la pauvre Helena?

      Elle a humblement arrangé ses cheveux devant le miroir alors qu’elle essayait clairement de retenir ses larmes.

      – Tu dois partir, m’a-t-elle dit; tu ne peux pas rester, ils te cherchent…

      Helena a silencieusement rincé mon corps dans la baignoire et a soigné, en douceur, les blessures enflammées. Elle m’a donné une soupe chaude dans la cuisine, et m’a expliqué le plan auquel elle avait pensé :

      – Il n’y a pas moyen de sortir de la maison pendant la journée. Je te trouverai un billet de train pour Paris d’ici ce soir. Et si tu portais ma robe de soirée? Je vais te donner mon manteau, et je prendrai un taxi jusqu’à la gare. Je monterai dans le wagon-restaurant et j’attendrai. Franz viendra lui-même nous voir. Il te donnera un certificat de naissance français. Si nous avons de la chance, tu arriveras à Paris. Il n’y a pas d’autre moyen. À Paris, depuis la gare du Nord, tu iras à l’hôtel de la gare… Là, ils te trouveront du travail.

      – Au travail, au travail…

      La voix perçante de Helena a percé mon rêve et je me suis réveillée.

      Je ne m’attendais pas à rencontrer Helena, une amie d’enfance, dans mon rêve pendant cette nuit. Après avoir obtenu son diplôme de philosophie, Helena a émigré en Allemagne, où elle a abandonné sa philosophie et s’est intéressée à la photographie.

      Ses œuvres sont pleines d’érotisme et ressemblent parfois aux photographies de la célèbre photographe lesbienne Ellen von Unwerth; elle a toujours pris des photos de femmes, surtout sur des pellicules noir et blanc. Plusieurs portraits de femmes nues sont accrochés dans le studio de Helena, dans le centre de Hambourg, où nous passions de grandes soirées à lire de la poésie et à boire du vin.

      Helena me faisait toujours dormir à côté d’elle, dans son propre lit, et non sur le canapé-lit de la cuisine; je ne me demandais pas pourquoi… Le matin, nous faisions de petits massages l’une à l’autre, mais la situation ne dépassait jamais la frontière amicale.

      J’ai ouvert les yeux à contrecœur. Il était exactement cinq heures du matin sur l’écran du téléphone portable. Il fallait se préparer; Laurent Vincent prenait déjà sa douche. Nous n’avions pas beaucoup de temps. J’ai appelé le concierge et commandé un taxi pour l’aéroport.

      Notre vol s’est déroulé dans un silence mutuel. Surtout le matin, quand tous les centres de perception étaient encore équilibrés. Dans l’ensemble, je me sentais mieux, en silence, économisant l’énergie pour l’arrivée.

      Après que le steward a terminé sa présentation d’usage à bord, j’ai décidé d’être juste une belle endormie dans l’avion et de ne penser à rien. Ce rôle est toujours gagnant.

      “Sois belle et tais-toi!! Ah oui! C’est bien, mon ange!”

      Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans les studios, lors de séances photos?! Des milliers de fois!

      Laurent a décidé de consacrer ses précieuses heures libres à la lecture. Depuis plusieurs mois, il tente, sans succès, de maîtriser le dialogue de Paul Valéry, L’idée fixe.

      Tandis qu’il était bloqué à la page 20, sa vitesse de lecture avait été, jusque-là, d’une phrase par minute environ. Mais à partir de ce moment, nous avions plus d’une heure de vol jusqu’à Zurich, et ensuite, deux heures et demie pour la connexion à Istanbul! Donc, si l’on se risquait à faire un décompte, il lui en coûterait deux cent quarante phrases au total pour lire cela durant ce voyage! Mais il faudrait encore envisager une pause-déjeuner de la plus grande importance. Lorsque le champagne serait servi et qu’il s’unirait à l’omelette au bacon, tout doucement, Paul Valérie devrait se reposer dans une poche en filet de caoutchouc, qui se trouverait devant, sur le dossier de la chaise. Et après le petit-déjeuner, une dizaine de minutes plus tard, l’atterrissage commencerait. Il serait extrêmement embarrassant de lire lors de la phase d’atterrissage, lorsque la lampe de lecture est affaiblie; dans ces moments-là, vous ne pouvez que souhaiter, les dents serrées, que ce véhicule volant atterrisse en toute sécurité le plus tôt possible.

      Laurent Vincent n’a jamais lu d’auteur russe. Un jour, j’avais longuement réfléchi au livre que je pourrais lui offrir en cadeau. Je savais qu’il ne supportait pas les mélodrames d’amour ennuyeux, mais croire que Fiodor Dostoïevski allait pouvoir s’adresser à un athée passionné était d’une légèreté absolue. Il ne me restait plus qu’à trouver quelque chose d’inhabituel, de plutôt intriguant. Ensuite, j’avais pensé à Boulgakov. Mais, à la suite d’une affaire, j’avais été obligée d’abandonner mes réflexions…

      Lors d’une fête à Paris, j’avais eu une discussion assez curieuse avec un scénariste. Pascal avait été nominé et avait reçu de prestigieux prix de cinéma pour ses scénarios, mais je n’ai vu aucun de ses films. Ses grands yeux sombres et fatigués reflétaient bien ses habitudes de bourreau de travail; son allure d’homme épuisé par les nuits blanches, à la crinière grasse non lavée – peut-être volontairement – avait sans doute confirmé sa diligence.

      Pascal m’a demandé l’origine de mon accent et, après avoir reçu une réponse qui semblait satisfaire ses suppositions, il est revenu à la charge avec la question :

      – Et que pensez-vous de Boulgakov?

      Tout à coup, ses yeux se sont illuminés grâce à la nouvelle tournure que venait de prendre la conversation. Pascal avait lu Le Maître et Marguerite, huit fois. Il a admis ne pas avoir exactement compris le but principal du livre. Il m’a demandé de l’éclairer au sujet de ce que l’auteur avait voulu dire. Comment expliquer à un scénariste, mainte fois décoré pour son succès, la signification symbolique d’une œuvre de littérature de