Nouvelles lettres d'un voyageur. Жорж Санд

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Название Nouvelles lettres d'un voyageur
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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qui vous attirent, elles sont séduisantes: raison de plus pour les laisser accomplir leur royale destinée dans le sol et la mousse qui leur ont donné naissance. Cueillez-en quelques-unes pour vous orner, vous méritez des couronnes, ou pour les contempler de près, elles en valent la peine. Laissez-m'en cueillir une pour observer les particularités que le terrain et le climat peuvent avoir imprimées à l'espèce; mais laissez-la-moi cueillir moi-même, car sa racine ou son bulbe, ses feuilles caulinaires, sa tige entière et son feuillage intact, m'intéressent autant que sa corolle diaprée. Quand vous me l'apportez écourtée, froissée et mutilée, ce n'est plus qu'une fleur, chère dévastatrice, vous avez détruit la plante.

      A l'aspect d'une plante nouvelle pour moi, ou mal classée dans mon souvenir, ou douteuse pour ma spécification, je serai plus barbare, j'achèverai quatre ou cinq sujets, afin de pouvoir analyser, ce qui nécessite le déchirement de la fleur, et de pouvoir garder un ou deux types, on a toujours un ami avec qui l'on aime à échanger ses petites richesses. L'étude est chose sacrée, et il faut que la nature nous sacrifie quelques individus. Nous la paierons en adoration pour ses oeuvres, et ce sera une raison de plus pour ne pas la profaner ensuite par des massacres inutiles.

      Oui, des massacres, car qui vous dit que la plante coupée ou brisée ne souffre pas? C'est une question qui se pose dans la botanique, et sur laquelle cette fois nos chers savants ont dit d'excellentes choses. Tout les porte à croire à la sensibilité chez les végétaux. Ils supposent cette sensibilité relative, sourdement et obscurément agissante. Du plus ou du moins de souffrance, ils ne savent rien, pas plus que du degré de vitalité, de terreur ou de détresse que garde un instant la tête humaine séparée de son corps. Ce que nous voyons, c'est que le végétal saigne et pleure à sa manière. Il se penche, il se flétrit, il prend un ramollissement qui est d'aspect infiniment douloureux. Il devient froid au toucher comme un cadavre. Son attitude est navrante; la main humaine l'étouffe, le souffle humain le profane. N'avait-il pas le droit de vivre, lui qui est beau, par conséquent nécessaire, utile même en ses terribles énergies, selon que ses propriétés sont plus ou moins bien connues de l'homme qui les interroge? Assez de dévastations inévitables poursuivent la plante sur la surface de la terre habitée, et quand même la culture, qui multiplie et accumule certains végétaux pour les utiliser à notre profit, ne les atteindrait pas, la dent des ruminants et des rongeurs, les pinces ou les trompes des insectes, leur laisseraient peu de repos. C'est ici que la prodigalité de la nature et l'ardeur de la vie éclatent. Elles sont assez riches pour que tout ce que la plante doit nourrir soit amplement pourvu sans que la plante cesse de renouveler l'inépuisable trésor de son existence.

      Mais faisons la part du feu. Le goût des fleurs s'est tellement répandu, qu'il s'en fait une consommation inouïe en réponse à une production artificielle énorme. La plante est entrée, comme l'animal, dans l'économie sociale et domestique. Elle s'y est transformée comme lui, elle est devenue monstre ou merveille au gré de nos besoins ou de nos fantaisies. Elle y prend ses habitudes de docilité et, si l'on peut dire ainsi, de servilité qui établissent entre elle et sa nature primitive un véritable divorce. Je ne m'intéresse pas moralement au chou pommé et aux citrouilles ventrues que l'on égorge et que l'on mange. Ces esclaves ont engraissé à notre service et pour notre usage. Les fleurs de nos serres ont consenti à vivre en captivité pour nous plaire, pour orner nos demeures et réjouir nos yeux. Elles paraissent fières de leur sort, vaines de nos hommages et avides de nos soins. Nous ne remarquons guère celles qui protestent et dégénèrent. Celles-ci, les indépendantes qui ne se plient pas à nos exigences, sont celles justement qui m'intéressent et que j'appellerais volontiers les libres, les vrais et dignes enfants de la nature. Leur révolte est encore chose utile à l'homme. Elle le stimule et le force à étudier les propriétés du sol, les influences atmosphériques et toutes les conséquences du milieu où la vie prend certaines formes pour creuset de son activité. Les droséracées, les parnassées, les pinguicules, les lobélies de nos terrains tourbeux ne sont pas faciles à acclimater. La vallisnérie n'accomplit pas ses étranges évolutions matrimoniales dans toutes les eaux. Le chardon laiteux n'installe pas où bon nous semble sa magnifique feuille ornementale; les orchidées de nos bois s'étiolent dans nos parterres, l'orchis militaris voyage mystérieusement pour aller retrouver son ombrage, l'ornithogale ombellé descend de la plate-bande et s'en va fleurir dans le gazon de la bordure; la mignonne véronique Didyma, qui veut fleurir en toute saison, grimpe sur les murs exposés au soleil et se fait pariétaire. Pour une foule de charmantes petites indigènes, si nous voulons retrouver le groupement gracieux et le riche gazonnement de la nature, il nous faut reproduire avec grand soin le lit naturel où elles naissent, et c'est par hasard que nous y parvenons quelquefois, car presque toujours une petite circonstance absolument indispensable échappe à nos prévisions, et la plante, si rustique et si robuste ailleurs, se montre d'une délicatesse rechigneuse ou d'une nostalgie obstinée.

      Voilà pourquoi je préfère aux jardins arrangés et soignés ceux où le sol, riche par lui-même de plantes locales, permet le complet abandon de certaines parties, et je classerais volontiers les végétaux en deux camps, ceux que l'homme altère et transforme pour son usage, et ceux qui viennent spontanément. Rameaux, fleurs, fruits ou légumes, cueillez tant que vous voudrez les premiers. Vous en semez, vous en plantez, ils vous appartiennent: vous suivez l'équilibre naturel, vous créez et détruisez; – mais n'abîmez pas inutilement les secondes. Elles sont bien plus délicates, plus précieuses pour la science et pour l'art, ces mauvaises herbes, comme les appellent les laboureurs et les jardiniers. Elles sont vraies, elles sont des types, des êtres complets. Elles nous parlent notre langue, qui ne se compose pas de mots hybrides et vagues. Elles présentent des caractères certains, durables, et, quand un milieu a imprimé à l'espèce une modification notable, que l'on en fasse ou non une espèce nouvellement observée et classée, ce caractère persiste avec le milieu qui l'a produit. La passion de l'horticulture fait tant de progrès, que peu à peu tous les types primitifs disparaîtront peut-être comme a disparu le type primitif du blé. Pénétrons donc avec respect dans les sanctuaires où la montagne et la forêt cachent et protègent le jardin naturel. J'en ai découvert plus d'un, et même assez près des endroits habités. Un taillis épineux, un coin inondé par le cours égaré d'un ruisseau, les avaient conservés vierges de pas humains. Dans ces cas-là, je me garde bien de faire part de ces trouvailles. On dévasterait tout.

      Sur les sommets herbus de l'Auvergne, il y a des jardins de gentianes et de statices d'une beauté inouïe et d'un parfum exquis. Dans les Pyrénées, à Gèdres entre autres, sur la croupe du Cambasque près de Cauterets, au bord de la Creuse, dans les âpres micaschistes redressés, dans certains méandres de l'Indre, dans les déchirures calcaires de la Savoie, dans les oasis de la Provence, où nous avons été ensemble avant la saison des fleurs, mais que j'avais explorés en bonne saison, il y a des sanctuaires où vous passeriez des heures sans rien cueillir et sans oser rien fouler, si une seule fois vous avez voulu vous rendre bien compte de la beauté d'un végétal libre, heureux, complet, intact dans toutes ses parties et servi à souhait par le milieu qu'il a choisi. Si la fleur est l'expression suprême de la beauté chez certaines plantes, il en est beaucoup d'autres dont l'anthèse est mystérieuse ou peu apparente et qui n'en sont pas moins admirables. Vous n'êtes pas insensible, je le sais, à la grâce de la structure et à la fraîcheur du feuillage, car vous aimez passionnément tout ce qui est beau. Eh bien, il y a dans la flore la plus vulgaire une foule de choses infiniment belles que vous n'aimez pas encore parce que vous ne les voyez pas encore. Ce n'est pas votre intelligence qui s'y refuse, c'est votre oeil qui ne s'est pas exercé à tout voir. Pourtant votre oeil est jeune; le mien est fatigué, presque éteint, et il distingue un tout petit brin d'herbe à physionomie nouvelle. C'est qu'il est dressé à la recherche comme le chien à la chasse; et voilà le plaisir, voilà l'amusement muet, mais ardent et continu que chacun peut acquérir, si bon lui semble.

      Apprendre à voir, voilà tout le secret des études naturelles. Il est presque impossible de voir avec netteté tout ce que renferme un mètre carré de jardin naturel, si on l'examine sans notion de classement. Le classement est le fil d'Ariane dans le dédale de la nature. Que ce classement soit plus ou moins simple ou compliqué, peu importe, pourvu qu'il soit classement et qu'on s'y tienne avec docilité pour apprendre. Chacun est libre, avec le temps et le savoir acquis, de rectifier selon son génie ou sa conscience les classifications