Название | Tamaris |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Prétention et misère, c'est le caractère de toutes ces maisons; or, toute maison est comme le vêtement d'une pensée ou la révélation d'un instinct. – La Provence possède à profusion la plus belle pierre à bâtir qui existe, un calcaire gris ou bleuâtre qui a la finesse de grain et la densité du marbre. Les yeux indigènes ont horreur de ce beau produit de la nature. Il faut cacher et barbouiller cela. Il faut tâcher de faire croire aux Italiens qui passent en mer, le long des côtes, qu'on a comme eux des palais de marbre de toutes les couleurs. Aussi cette région, que la nature semble avoir mouvementée et plantée pour les délices des artistes, est-elle gâtée par une sorte de gale. On ne peut appeler autrement cette multitude de bâtisses ridicules qui lui sortent de partout, et qui semblent se disputer la gloire de grimacer et de clignoter d'une façon burlesque, en détruisant l'harmonie sévère de sa belle couleur, jusque dans les sites les plus sauvages. La bastide, épuisons ce sujet pour n'y plus revenir, a encore un agrément remarquable: c'est que, sous un ciel généralement pur et sur un sol désastreusement sec, elle est une éponge salpêtrée qui trouve moyen de ne jamais sécher. Les habitants prétendent que les pluies amenées par le vent d'est, et qui sont diluviennes, il faut le reconnaître, prennent les murs horizontalement et les pénètrent en vingt-quatre heures de part en part; mais, au lieu de bâtir à cette exposition une muraille épaisse et dense, ils imaginent toute sorte de revêtements ingénieux. Le moins laid est en tuiles imbriquées. Le plus atroce et le plus estimé est en goudron de navire. Imaginez l'agréable effet de ces maisons, dont la couleur voyante accuse les formes piètres et bâtardes, flanquées sur toute une face d'une immense tache d'encre! Pauvre charmant paysage, qu'as-tu donc fait à l'homme barbare de ces contrées?
Au reste, le site, qu'achevait d'enlaidir la bastide aux trois yeux crevés, la bastide cyclope que j'avais devant moi, était d'une tristesse navrante. Deschamps maigres où l'on ne connaît pas le bluet, et que n'égayait pas encore la fleur du glaïeul pourpré des moissons; au delà des champs, les pentes pierreuses de la colline, l'horizon fermé par une ligne symétrique d'oliviers blafards et par la masse carrée du fort Napoléon: il y avait là de quoi mourir du spleen en vingt-quatre heures. Tout à coup l'idée me vint que ce maussade terrain pourrait bien être le mien, la cause de mon séjour forcé dans un pays où je n'avais rien autre chose à faire que de m'en défaire. Qui me l'eût demandé en ce moment eût pu l'avoir à bon marché; mais non, la dot de ma pauvre petite sœur! Voyons ce que cela peut être.
Je pris une espèce de chemin à demi perdu sous les sillons et obstinément disputé à la charrue par les lentisques, et je cherchai une entrée. Il n'y avait pas de clôture à la petite cour infecte placée derrière la maison; le pays nourrit très-peu de bestiaux; donc il manque d'engrais, et, ne voyant point là de fumiers, je cherchais la cause de cette insupportable odeur. Des grognements sourds me firent remarquer que j'étais sur une espèce de pont à fleur de terre, et qu'une demi-douzaine de porcs engraissaient dans les silos abjects creusés sous mes pieds. C'est l'usage du pays; ces misérables bêtes ne sortent de là que pour mourir. On ne nettoie guère leur bauge qu'une fois l'an, pour prendre le fumier à la saison du labour. Un médecin ne voit pas sans en être indigné ces foyers de pestilence auprès des habitations.
Sauf la présence de ces animaux et de quelques poules criardes, j'aurais cru la bastide abandonnée. Les petits bâtiments, dégradés et lézardés, tombaient en ruine. Le châssis sans vitres de ce qui pouvait avoir été la fenêtre du fermier pendait le long du mur, à une corde fatiguée de le disputer au vent d'est. Il y avait pourtant derrière le logis principal une espèce de jardin, quelques légumes dans un carré de cyprès. Le cyprès pyramidal est encore une des grâces de la bastide: on en plante une haie serrée qui forme péristyle devant les fenêtres, cache la vue, et jette dans les chambres basses une ombre de cimetière. J'avisai une porte entre-bâillée, je frappai: rien ne répondit. Je voulais simplement demander le nom de l'habitation, et j'allais y renoncer, lorsque je vis, au fond du couloir sombre, une vieille femme assise par terre et courbée dans l'attitude du sommeil. J'élevai la voix en l'appelant madame; elle se leva, comme en colère, en grommelant qu'elle n'était pas madame, et, quand elle fut dans le rayon de jour que projetait la porte entr'ouverte, je vis que c'était une négresse d'un âge très-avancé et vraiment hideuse.
– Moi madame donc aujourd'hui? dit-elle d'un ton grondeur. Vous plus aimer personne ici donc? Vous méchant de plus jamais venir! Maîtresse toujours pleurer!
En me tenant cet étrange discours, la vieille Africaine, presque aveugle, marchait devant moi vers un horrible escalier noir.
– Vous vous trompez sûrement, lui dis-je. Je ne connais personne ici; je suis un passant qui vient vous demander le nom…
Elle ne me laissa pas achever, et, donnant les signes de la plus grande terreur, elle fit entendre des cris inarticulés. Ne pouvant lui faire comprendre que je n'étais pas un voleur, j'allais me retirer, lorsqu'un petit chien furieux, s'élançant par l'escalier, vint ajouter au ridicule de la scène.
– Qu'est-ce qu'il y a donc? cria d'en haut une voix dont le timbre doux et voilé contrastait avec la rudesse de l'accent provençal.
Et une très-belle jeune femme se montra comme une apparition dans le cadre noir de l'escalier.
Dès que je lui eus expliqué, pour la rassurer, l'objet de ma demande, elle me regarda avec attention, et me dit:
– Ne seriez-vous pas le docteur ***?
– Précisément.
– Eh bien, vous êtes ici chez mademoiselle Roque. Entrez, monsieur, on s'attendait à l'honneur de votre visite.
Je montai une douzaine de marches derrière elle, et je me trouvai avec surprise dans un très-joli salon entièrement meublé à l'orientale. Je me rappelai alors que la défunte mère de mademoiselle Roque était une Indienne de Calcutta, et je crus reconnaître là les vestiges de l'héritage maternel; mais je ne fus pas longtemps occupé de l'étrangeté de ce riche mobilier dans une maison si misérable. Mademoiselle Roque, car c'était elle en personne qui m'introduisait dans son sanctuaire, devenait tout d'un coup pour moi un bien autre objet de surprise et de curiosité. Elle offrait dans toute sa personne un mélange singulier de races, et ce mélange avait produit un de ces types indéfinissables que l'on rencontre parfois dans les régions maritimes commerçantes, et en Provence particulièrement. Elle était petite et grasse, très-brune, mais non mulâtre; une peau unie magnifique, des yeux superbes, un peu trop longs pour le reste de sa figure, qui était courte et sans autre expression que celle d'une curiosité enfantine; le nez arqué, les lèvres fortes et fraîches, de beaux bras, de petites mains effilées et paresseuses, de belles poses, de la grâce dans les mouvements, un air de nonchalance qui semblait trahir l'absence complète de la réflexion; un ensemble de séductions toutes physiques qui n'éveillait dans l'esprit aucun intérêt puissant ou délicat. «Elle est très-belle!» voilà tout ce qu'on pouvait dire d'elle. L'idée ne venait pas de chercher dans son cœur ou dans son cerveau l'âme de sa beauté. Comme elle était trop belle pour sourire, rougir ou s'effrayer de quoi que ce soit, son accueil était impassible. La tranquille froideur de ses manières mit les miennes à l'unisson.
Sa toilette, car elle était en toilette, était métissée comme sa figure. Sur une robe de soie de Lyon très-garnie de franfreluches et très-mal faite, elle portait une sorte de draperie en foulard qui n'était ni châle ni manteau; ses cheveux, divisés en nombreuses petites nattes, pendaient sur son dos, et je vis sur la table, auprès d'elle, un de ces petits chapeaux de feutre à plumes blanches, que les Françaises ont eu l'esprit de mettre à la mode pour la campagne, et qu'elles devraient avoir celui de porter à la ville.
Un superbe narghileh était posé à terre devant une pile de riches carreaux. Était-ce pour l'ingrat dont la négligence, au dire de sa négresse, la faisait pleurer? Mais ces beaux yeux d'émail, fixes comme ceux d'un sphinx, connaissaient-ils les larmes?
Je