Paris. Emile Zola

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Название Paris
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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reprit Massot, que Fonsègue ne soit pas arrivé. Ça l'intéresse pourtant, ce qui se passe. Mais il est si malin, qu'il y a toujours une raison, quand il ne fait pas ce qu'un autre ferait… Est-ce que vous le connaissez?

      Et, sur la réponse négative de Pierre:

      – Une tête et une vraie puissance, celui-là!.. Oh! j'en parle librement, je n'ai guère la bosse du respect, et mes patrons, n'est-ce pas? c'est encore les pantins que je connais le mieux et que je démonte le plus volontiers… Fonsègue est, lui aussi, désigné clairement dans l'article de Sanier. Il est, d'ailleurs, le client ordinaire de Duvillard. Qu'il ait touché, cela ne fait aucun doute, car il touche dans tout. Seulement, il est toujours couvert, il touche pour des raisons avouables, la publicité, les commissions permises. Et, si j'ai cru le voir troublé tout à l'heure, s'il tarde à être là comme pour établir un alibi moral, c'est donc qu'il aurait commis la première imprudence de sa vie.

      Il continua, il raconta tout Fonsègue, un Corrézien encore, qui s'était mortellement fâché avec Monferrand à la suite d'histoires inconnues, un ancien avocat de Tulle venu à Paris pour le conquérir, et qui l'avait réellement conquis, grâce au grand journal du matin, le Globe, dont il était le fondateur et le directeur. Maintenant, il occupait, avenue du Bois de Boulogne, un luxueux hôtel, et pas une entreprise ne se lançait, sans qu'il s'y taillât royalement sa part. Il avait le génie des affaires, il se servait de son journal comme d'une force incalculable, pour régner en maître sur le marché. Mais quel esprit de conduite, quelle longue et adroite patience, avant d'arriver à son solide renom d'homme grave, gouvernant avec autorité le plus vertueux, le plus respecté des journaux! Ne croyant au fond ni à Dieu ni à Diable, il avait fait de ce journal le soutien de l'ordre, de la propriété et de la famille, républicain conservateur depuis qu'il y avait intérêt à l'être, mais resté religieux, d'un spiritualisme qui rassurait la bourgeoisie. Et, dans sa puissance acceptée, saluée, il avait une main au fond de tous les sacs.

      – Hein? monsieur l'abbé, voyez où mène la presse. Voilà Sanier et Fonsègue, comparez-les un peu. En somme, ce sont des compères, ils ont chacun une arme, et ils s'en servent. Mais quelle différence dans les moyens et dans les résultats! La feuille du premier est vraiment un égout, qui le roule, qui l'emporte lui-même au cloaque. Tandis que la feuille de l'autre est certainement du meilleur journalisme qu'on puisse faire, très soignée, très littéraire, un régal pour les gens délicats, un honneur pour l'homme qui la dirige… Et, grand Dieu! au fond, quelle identité dans la farce!

      Massot éclata de rire, heureux de cette moquerie dernière. Puis, brusquement:

      – Ah! voici Fonsègue enfin.

      Et il présenta le prêtre, très à l'aise, en riant encore.

      – Monsieur l'abbé Froment, mon cher patron, qui vous attend depuis plus de vingt minutes… Moi, je vais voir un peu ce qui se passe là dedans. Vous savez que Mège interpelle.

      Le nouveau venu eut une légère secousse.

      – Il y a une interpellation… Bon, bon! j'y vais.

      Pierre le regardait. Un petit homme d'une cinquantaine d'années, maigre et vif, resté jeune, avec toute sa barbe noire encore. Des yeux étincelants, une bouche perdue sous les moustaches et qu'on disait terrible. Avec cela, un air d'aimable compagnon, de l'esprit jusqu'au bout du petit nez pointu, un nez de chien de chasse toujours en quête.

      – Monsieur l'abbé, en quoi puis-je vous être agréable?

      Alors, Pierre, brièvement, présenta sa requête, conta sa visite du matin à Laveuve, donna tous les détails navrants, demanda l'admission immédiate du misérable à l'Asile.

      – Laveuve? mais est-ce que son affaire n'a pas été examinée?.. C'est Dutheil qui nous a présenté un rapport là-dessus, et les faits nous ont paru tels, que nous n'avons pu voter l'admission.

      Le prêtre insista.

      – Je vous assure, monsieur, que, si vous aviez été avec moi, ce matin, votre cœur se serait fendu de pitié. Il est révoltant qu'on laisse une heure de plus un vieillard dans cet effroyable abandon. Ce soir, il faut qu'il couche à l'Asile.

      Fonsègue se récria.

      – Oh! ce soir, c'est impossible, absolument impossible. Il y a toutes sortes de formalités indispensables. Et moi, d'ailleurs, je ne puis prendre seul une pareille décision, je n'ai pas ce pouvoir. Je ne suis que l'administrateur, je ne fais qu'exécuter les ordres du comité de nos dames patronnesses.

      – Mais, monsieur, c'est justement madame la baronne Duvillard qui m'a envoyé à vous, en m'affirmant que vous seul aviez l'autorité nécessaire pour décider une admission immédiate, dans un cas exceptionnel.

      – Ah! c'est la baronne qui vous envoie, ah! que je la reconnais bien là, incapable de prendre un parti, trop soucieuse de sa paix pour accepter jamais une responsabilité!.. Pourquoi veut-elle que ce soit moi qui aie des ennuis? Non, non, monsieur l'abbé, je n'irai à coup sûr pas contre tous nos règlements, je ne donnerai pas un ordre qui me fâcherait peut-être avec toutes ces dames. Vous ne les connaissez pas, elles deviennent terribles, dès qu'elles sont en séance.

      Il s'égayait, il se défendait d'un air de plaisanterie, très résolu, au fond, à ne rien faire. Et, brusquement, Dutheil reparut, se précipita, nu-tête, courant les couloirs pour racoler les absents, intéressés dans la grave discussion qui s'ouvrait.

      – Comment, Fonsègue, vous êtes encore là? Allez, allez vite à votre banc! C'est grave.

      Et il disparut. Le député ne se hâta pourtant pas, comme si l'aventure louche qui passionnait la salle des séances ne pût le toucher en rien. Il souriait toujours, bien qu'un léger mouvement fébrile fît battre ses paupières.

      – Excusez-moi, monsieur l'abbé, vous voyez que mes amis ont besoin de moi… Je vous répète que je ne puis absolument rien pour votre protégé.

      Mais Pierre ne voulut pas encore accepter cette réponse comme définitive.

      – Non, non! monsieur, allez à vos affaires, je vais vous attendre ici… Ne prenez pas un parti, sans y réfléchir mûrement. On vous presse, je sens que vous ne m'écoutez pas avec assez de liberté. Tout à l'heure, quand vous reviendrez et que vous serez tout à moi, je suis certain que vous m'accorderez ce que je demande.

      Et, bien que Fonsègue, en s'éloignant, lui affirmât qu'il ne pouvait changer d'avis, il s'entêta, il se rassit sur la banquette, quitte à y rester jusqu'au soir. La salle des Pas perdus s'était presque complètement vidée, et elle apparaissait plus morne et plus froide, avec son Laocoon et sa Minerve, ses murs nus, d'une banalité de gare, où la bousculade du siècle passait, sans échauffer le haut plafond. Jamais clarté plus blême, plus indifférente, n'était entrée par les grandes portes-fenêtres, derrière lesquelles on apercevait le petit jardin endormi, avec ses maigres gazons d'hiver. Et pas un bruit n'arrivait des tempêtes de la séance voisine, il ne tombait du lourd monument qu'un silence de mort, dans un sourd frisson de détresse, venu de très loin sans doute, du pays entier.

      C'était cela, maintenant, qui hantait la songerie de Pierre. Toute la plaie ancienne, envenimée, s'étalait avec son poison, dans sa virulence. La lente pourriture parlementaire avait grandi, s'attaquait au corps social. Certes, au-dessus des basses intrigues, de la ruée des ambitions personnelles, il y avait bien la haute lutte supérieure des principes, l'histoire en marche, déblayant le passé, tâchant de faire dans l'avenir plus de vérité, plus de justice et de bonheur. Mais, en pratique, à ne voir que l'affreuse cuisine quotidienne, quel déchaînement d'appétits égoïstes, quel unique besoin d'étrangler le voisin et de triompher seul! On ne trouvait là, entre les quelques groupes, qu'un incessant combat pour le pouvoir et pour les satisfactions qu'il donne. Gauche, droite, catholiques, républicains, socialistes, les vingt nuances des partis, n'étaient que les étiquettes qui classaient la même soif brûlante de gouverner, de dominer. Toutes les questions se rapetissaient à la seule question de savoir qui, de celui-ci, de celui-là ou de cet autre, aurait en sa main la France, pour en jouir, pour en distribuer les faveurs à la clientèle de ses créatures. Et le pis était que les grandes