A quoi tient l'amour?. Марк Твен

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Название A quoi tient l'amour?
Автор произведения Марк Твен
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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quoi tient l'amour? / Contes de France et d'Amérique

DCCCCIII

      _L'auteur du présent volume s'est décidé, sur les demandes réitérées qui lui ont été faites, à rassembler les petits romans et les esquisses de moeurs qu'il avait éparpillés dans les journaux et les revues au cours de sa vie littéraire.

      Plusieurs de ces pages remontent à un temps presque oublié déjà; s'il en a daté quelques-unes, c'est tout simplement pour ne point tomber sous le reproche d'y avoir imité les confrères qui, au contraire, en ont pu profiter._

      I

A QUOI TIENT L'AMOUR

      Lucile Fraisier

      I

      Vers le commencement de juillet 1870, après une journée de soleil sans nuages, la petite ville picarde de Verval-sur-Orle, si calme et si riante, s'ouvrait à l'air tiède du crépuscule, où déjà flottait une caressante fraîcheur. Et, tandis que les flammes du couchant s'éteignaient en lentes dégradations de lumière, en vastes nappes orangées, en glacis d'un vert tendre et limpide, en fines ombres violettes, la lune montait à l'orient dans l'éther pur, baignant d'une sereine blancheur les coteaux boisés, les champs de blé et de seigle, les prairies, les jardins, les maisons à demi cachées dans le feuillage. Des souffles apportaient de la foret prochaine l'odeur des troènes fleuris, et, sur l'eau vive miroitant parmi les branches, faisaient bruire les saules nains et les hauts peupliers, jusqu'aux rampes du pont de pierre qui, là-bas, s'arquait, massif et brun, entre les deux rives, un peu en aval du confluent de l'Orle et de la Sorelle.

      Tout, dans cette bourgade champêtre, respirait la paix, l'harmonie, la confiance, la fécondité. Le ciel se mêlait à la terre dans une intimité mystérieuse; et l'âme épanouie de ce pays généreux palpitait avec douceur sous l'immense et léger dôme d'azur.

      Mais la sérénité de cet admirable soir ne semblait pas avoir la moindre influence sur François Rouillon, qui, seul, préoccupé, insensible à l'arôme des lys, indifférent au charme de l'obscurité transparente et de la lumière lactée, allait et venait silencieusement, entre les plates-bandes et sous les tilleuls de son jardin, sans pouvoir apaiser la fièvre qui le brûlait. C'était un homme de moyenne taille, qui devait avoir de trente-cinq à quarante ans, bien bâti, robuste, la poitrine ample, les épaules carrées, le cou gros et court, la tête ronde comme un boulet, les traits énergiques, l'air intelligent mais dur, le front large mais bas, avec des yeux de braise ardente sous un fouillis de sourcils épais et de cheveux d'un brun roux qui bouclaient naturellement.

      Il avait dîné à la hâte, s'était rasé soigneusement, avait changé de vêtements en prêtant une attention inaccoutumée à sa toilette; puis, au moment de sortir, avait hésité, était descendu au jardin, et là, depuis un quart d'heure, marchait au hasard. Soit commencement de lassitude, soit redoublement d'anxiété, il s'arrêta près des vitrages de la petite serre, sous la verdure délicate des jasmins étoilés. Un moment il resta immobile. Il leva machinalement les yeux vers la lune, d'où tombait cette splendeur pâle qui éclairait le paysage comme une aube, ramena ses regards vers la terre, aperçut près de là un banc de bois, s'y assit et s'absorba dans ses pensées.

      Mais voici que, tout d'un coup, derrière les espaliers et les haies, du côté de l'église, monta gaîment vers le ciel, en fusées claires, parmi les cris de joie et les éclats de rire, un choeur de fraîches voix enfantines chantant la vieille ronde du Moulin:

      Meunier, tu dors!

      Ton moulin, ton moulin, va trop vite.

      Meunier, tu dors!

      Ton moulin, ton moulin va trop fort.

      «Parbleu! fit notre homme en relevant la tête, ces enfants ont l'air de s'adresser à moi, bien que je ne sois meunier que par aventure. Ils ont raison. Je dors, je rêve, quand je devrais agir. Assez réfléchi! Je ne vis plus. Me voilà le jouet d'une femme. Et le diable sait ce qu'il y a de terrible dans le bon petit coeur de la plus ingénue! Le doute me devient intolérable. Dès ce soir, il me faut une réponse décisive. Quoi qu'il arrive, au moins serai-je fixé! Si c'est non, j'en prendrai mon parti, et j'arracherai vite cette mauvaise herbe qui m'envahit tout entier. Mais, bah! j'aurai Lucile. Je les tiens tous. Allons.»

      II

      Il regagna rapidement la maison, sortit, descendit la Grand'Rue vers la place de la Mairie, et, d'un pas sûr, entra dans la boutique située à gauche, au coin de la rue et de la place.

      Au-dessus de la devanture, par le clair de lune, on pouvait lire cette enseigne ambitieuse:

MAGASIN DE NOUVEAUTÉS

      et plus bas, ce nom:

CONSTANT FRAISIER

      Pas de lumière dans la boutique ni dans l'arrière-boutique. Tout au fond, brûlait simplement une petite lampe de cuisine, et l'on distinguait à peine, derrière les mannequins à confections, les pièces d'étoffes rangées dans les casiers ou empilées sur le bout des comptoirs.

      «Eh! la patronne! appela le visiteur d'une voix sonore et familière. La maison est-elle abandonnée?»

      Une femme parut dans la pénombre.

      «Ah! c'est vous, monsieur Rouillon. Entrez donc par ici. Nous prenons le frais en plein air. Il fait si beau!

      – Bonsoir, madame Fraisier, dit Rouillon, la suivant. On dévaliserait votre magasin sans danger.»

      Il pénétra, avec elle, dans une cour formant terrasse, d'où l'on dominait la campagne et d'où l'on pouvait descendre, par un escalier de quelques marches, au jardinet allongé jusqu'à la rivière.

      Entre les vieux murs tapissés de lierre, de vigne vierge et de chèvrefeuille, sous les dernières lueurs du jour, une jeune fille jouait au volant avec une fillette. En apercevant le nouveau venu, elles s'arrêtèrent.

      «Continuez, je vous prie, mademoiselle Lucile! dit-il à la plus grande.

      Ce jeu est charmant.»

      Et, soulevant la plus petite pour l'embrasser au front, il ajouta:

      «Tu n'as pas peur de moi, n'est-ce pas, Linette? Combien aviez-vous de points? demanda-t-il en s'avançant vers Lucile, qui, instinctivement, évitait son regard. Je vous ai interrompues. C'est moi qui ai fait tomber le volant. Reprenez où vous en étiez, sans décompter!

      – Y pensez-vous, monsieur Rouillon, fit leur mère. Linette a déjà joué plus d'une heure. Elle est lasse, elle devient maladroite. D'ailleurs, au clair de lune, on n'y voit pas comme en plein jour; et il est grand temps de se retirer.

      – Fraisier est au café?

      – Il doit y être.

      – J'ai à lui parler.

      – Linette, va chercher ton père. Monsieur Rouillon, asseyez-vous; il sera ici dans deux minutes.»

      Linette sortit en courant.

      III

      «Je les tiens!» disait Rouillon tout à l'heure.

      Hélas! oui, il tenait la famille Fraisier. C'était un fort habile homme que maître François Rouillon. A vingt-quatre ans, ayant perdu en quelques mois sa mère et son père, il était resté seul à la tête de la maison, une tannerie qui, bon an, mal an, rapportait simplement de quoi vivre. Il s'était mis à la besogne sans fainéantise et avait rapidement amélioré la situation. Sur quoi, attiré par une jolie figure et une jolie dot, il avait demandé en mariage la fille d'un commerçant parisien qui, chaque année, passait une partie de l'été à Verval, d'où la famille était originaire.

      La demande ne fut pas agréée. Rouillon en eut un dépit furieux. Il jura qu'on ne l'y prendrait plus; il se promit de rester célibataire jusqu'à sa dernière heure. Il raconta, du reste, que c'était lui qui n'avait pas voulu de la demoiselle; et il répandit les plus méchants bruits contre cette dédaigneuse héritière, à laquelle il finit par rendre le séjour de Verval absolument impossible.

      Alors, on le vit courir les fêtes de campagne, buvant sec, jouant gros jeu, cueillant les amours faciles chez les filles mal gardées. A ce train-là, il négligea sa maison, fit des dettes.

      A deux doigts de la ruine, il s'arrêta, trop égoïste et trop matois pour compromettre