Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд

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Название Les beaux messieurs de Bois-Doré
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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Ne connaissant pas les chemins, elle les suivait, parce qu'ils disaient aller en Poitou; mais elle les a quittés ce soir, disant qu'elle n'avait plus besoin d'eux et qu'elle avait affaire dans le pays d'ici. Or, voilà, monsieur, ce que je trouve encore fort surprenant, car elle n'a pas voulu me dire pourquoi elle agissait ainsi. Qu'en pense monsieur?

      Bois-Doré ne répondit rien; il dormait profondément, malgré le bruit que faisait Adamas, un peu volontairement, pour le forcer à écouter son histoire.

      Quand le vieux serviteur vit que, tout de bon, le marquis était parti pour le pays des songes, il le borda avec précaution, posa dans l'escarcelle de maroquin suspendue au dossier de son lit sa belle paire de pistolets de campagne; à sa main droite, il plaça sur une table sa rapière toute dégainée et son coutelas de chasse, son in-folio de l'Astrée, superbe édition avec gravures, une large coupe d'hypocras, un timbre avec son martinet, et un mouchoir de fine toile de Hollande, tout parfumé de musc. Puis il alluma la lampe de nuit, souffla les bougies piolées, c'est-à-dire jaspées de diverses couleurs, et rangea au pied du lit les pantoufles de velours rouge et la robe de chambre de serge de soie, brochée de vert sur vert.

      Alors, au moment de se retirer, le fidèle Adamas contempla son maître, son ami, son demi-dieu.

      Le marquis, débarbouillé de toutes ses peintures, était un beau vieillard, et le calme de sa bonne conscience répandait quelque chose de respectable sur sa face endormie. Tandis que sa perruque reposait sur la table et que ses habits, rembourrés pour masquer les creux que l'âge avait faits à ses épaules et à ses jambes, gisaient épars sur les fauteuils, son gros corps, aminci de moitié, dessinait ses contours anguleux sous un lodier ou couvre-pied de satin blanc, rehaussé d'armoiries en cannetille d'argent aux quatre coins.

      Le dossier du lit, montant en panneau droit de dix pieds de haut, ainsi que le ciel à lambrequins joint en forme de dais à ce grand panneau, étaient aussi en satin blanc, piqué à l'aiguille sur l'ouate épaisse, et rehaussé de larges dessins d'argent en relief: l'intérieur des rideaux était pareil; la face extérieure était en damas rose.

      Dans ce lit luxueux et si moelleux, cette vieille figure accentuée, et toujours martiale dans sa douceur, avec sa moustache hérissée de papillotes et son bonnet de taffetas ouaté, en forme de demi-mortier, garni d'une riche dentelle relevée en l'air comme une couronne, offrait, à la lueur d'une lampe bleuâtre, le plus singulier mélange de burlesque et d'austérité.

      – Monsieur dort bien, se dit Adamas; mais il a oublié de faire sa prière, et c'est ma faute; je vais la faire pour lui.

      Il se mit à genoux et pria très-dévotieusement; après quoi, il se retira dans sa chambre, qui n'était séparée que par une cloison de celle de son maître.

      L'arsenal qu'Adamas avait disposé autour du lit du marquis n'était qu'une affaire d'habitude ou de luxe.

      Tout était parfaitement tranquille autour du petit manoir; dans le manoir, tout dormait profondément.

      XIII

      Le premier éveillé fut M. Sciarra d'Alvimar, qui, accablé de fatigue, s'était endormi aussi le premier.

      Il n'aimait pas à rester au lit, et l'habitude d'une grande gêne, habilement dissimulée, lui rendait inutiles les soins du valet de chambre. Cela était d'autant mieux vu, que le vieil Espagnol qui l'accompagnait n'eût pas volontiers consenti à remplir d'autres fonctions que celles d'écuyer.

      Pourtant, cet homme lui était aussi dévoué qu'Adamas l'était à Bois-Doré; mais il y avait autant de différence dans leurs relations que dans leurs caractères et dans leur respective situation.

      Ils se parlaient peu, soit qu'ils y eussent de la répugnance, soit qu'ils s'entendissent à demi-mot sur toutes choses. Et puis, jusqu'à un certain point, le valet se considérait comme l'égal de son maître, vu que leurs familles étaient aussi anciennes l'une que l'autre, et aussi pures (du moins telle était leur prétention) de tout mélange avec les races maure et juive, si solennellement méprisées et si atrocement persécutées en Espagne.

      Sanche de Cordoue, tel était le nom du vieil écuyer, avait vu naître le jeune d'Alvimar dans le castel du village où lui-même, à force de misère, était réduit au métier d'éleveur de porcs. Le jeune châtelain, fort peu plus riche que lui, l'avait pris à son service, le jour où il s'était décidé à aller chercher fortune à l'étranger.

      On disait, dans ce village castillan, que Sanche avait aimé madame Isabelle, mère de d'Alvimar, et même qu'il ne lui avait pas été indifférent. On expliquait ainsi l'attachement de cet homme taciturne et sombre pour un jeune homme hautain et froid, qui le traitait, non pas en valet proprement dit, mais en subalterne inintelligent.

      La vie rêveuse ou abrutie de Sanche se passait donc à soigner les chevaux et à entretenir brillantes et afûtées les armes de son maître. Le reste du temps, il priait, dormait ou songeait, évitant de se familiariser avec les autres domestiques, qu'il regardait comme ses inférieurs, ne se liant avec personne, vu qu'il se méfiait de tout le monde, mangeant peu, ne buvant point, et ne regardant jamais en face.

      D'Alvimar s'habilla donc lui-même et sortit, pour prendre connaissance des êtres, bien qu'il fit à peine jour.

      Le manoir avait vue immédiatement sur un petit étang, d'où un large fossé sortait pour y rentrer, après avoir fait le tour des bâtiments, lesquels consistaient, comme nous l'avons dit, en un massif d'architecture de plusieurs époques:

      1º Un pavillon tout neuf, blanc, fluet, couvert d'ardoises, grand luxe dans un pays ou l'on employait alors tout au plus la tuile, et couronné de deux mansardes à tympans festonnés et ornés de boules10;

      2º Un autre pavillon, déjà très-ancien, mais bien restauré, avec toit de mairain11, et ressemblant à la forme de certains chalets suisses. Ce logis, qui contenait les cuisines, les offices et les chambres d'amis, offrait la disposition sauvage des vieux temps d'alarme. Il n'avait pas de porte extérieure, on n'y pénétrait que par les autres bâtiments; ses fenêtres donnaient sur le préau, et sa façade, tournée sur la campagne, avait pour tous huis deux petits trous carrés, placés dans le gable comme deux petits yeux méfiants sur une face muette;

      3º Une tour prismatique à porte ogiviale, délicatement travaillée, ladite tour à toit d'ardoises, également quinquagone et surmontée d'un clocheton à épi et à girouette très-élancée. Cette tour contenait l'unique escalier du manoir et reliait le vieux logis et le logis neuf.

      À ce massif tenaient d'autres constructions basses pour les domestiques de l'intérieur, logés sur le bord du fossé.

      Le préau, avec son puits au milieu, était fermé par le manoir, l'étang, un autre logis à un seul étage, orné aussi de mansardes à boules de pierre, et destiné aux écuries, gens de suite et équipages de chasse; enfin, par la tour d'entrée, moins belle et moins grande que celle de la Motte-Seuilly, mais soutenue d'un mur de défense percé de meurtrières à fauconneaux, pour le balayage des abords du pont.

      Cette chétive fortification était suffisante, en raison de la double enceinte des fossés: le premier, autour du préau, large, profond, à eau courante; le second, autour de la basse-cour, marécageux, mais garni de bonnes murailles.

      Entre les deux enceintes, à la droite du pont, s'étendait le jardin, assez vaste, clos de murs élevés et de fossés bien tenus; à gauche, le mail, le chenil, le verger, la ferme et la prairie avec le pigeonnier seigneurial, la héronnière et la fauconnerie; vaste enclos s'étendant jusqu'aux maisons du bourg, qui, presque toutes, étaient la propriété du marquis.

      Le bourg était fortifié, et, en quelques endroits, la base massive de ses petites murailles datait, dit-on, du temps de César.

      En comparant l'exiguité du manoir avec l'étendue du domaine, avec le riche mobilier entassé dans les appartements et avec les habitudes luxueuses du seigneur, M. d'Alvimar se demanda la raison de ce contraste; et, comme il n'était guère enclin à la bienveillance, il en conclut que le marquis cachait peut-être sa fortune,



<p>10</p>

Cet ornement, usité au temps de Henri IV, est peut-être venu en France avec Marie de Médicis, comme une allusion aux armes de sa maison, que sont, comme l'on sait, sept petites boules, littéralement sept pilules, en souvenir de la profession du chef de la famille.

<p>11</p>

Le mairain ou tuilage en bois de chêne, était employé dans presque tous les châteaux du Berry.