Отец Горио. Книга для чиения на французском языке. Оноре де Бальзак

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possèdent les femmes, elle se mit à sourire en disant: «Venez, Maxime; j’ai quelque chose à vous demander. Messieurs, nous vous laisserons naviguer de conserve sur le Warwick et sur le Vengeur.» Elle se leva et fit un signe plein de traîtrise railleuse à Maxime, qui prit avec elle la route du boudoir. A peine ce couple morganatique, jolie expression allemande qui n’a pas son équivalent en français, avait-il atteint la porte que le comte interrompit sa conversation avec Eugène.

      – Anastasie! restez donc, ma chère, s’écria-t-il avec humeur, vous savez bien que…

      – Je reviens, je reviens, dit-elle en l’interrompant, il ne me faut qu’un moment pour dire à Maxime ce dont je veux le charger.

      Elle revint promptement. Comme toutes les femmes qui, forcées d’observer le caractère de leurs maris pour pouvoir se conduire à leur fantaisie, savent reconnaître jusqu’où elles peuvent aller afin de ne pas perdre une confiance précieuse, et qui alors ne les choquent jamais dans les petites choses de la vie, la comtesse avait vu d’après les inflexions de la voix du comte qu’il n’y aurait aucune sécurité à rester dans le boudoir. Ces contretemps étaient dus à Eugène. Aussi la comtesse montra-t-elle l’étudiant d’un air et par un geste pleins de dépit à Maxime, qui dit fort épigrammatiquement au comte, à sa femme et à Eugène:

      – Écoutez, vous êtes en affaires, je ne veux pas vous gêner; adieu. Il se sauva.

      – Restez donc, Maxime! cria le comte.

      – Venez dîner, dit la comtesse qui, laissant encore une fois Eugène et le comte, suivit Maxime dans le premier salon où ils restèrent assez de temps ensemble pour croire que monsieur de Restaud congédierait Eugène.

      Rastignac les entendait tour à tour éclatant de rire, causant, se taisant; mais le malicieux étudiant faisait de l’esprit avec monsieur de Restaud, le flattait ou l’embarquait dans des discussions, afin de revoir la comtesse et de savoir quelles étaient ses relations avec le père Goriot. Cette femme, évidemment amoureuse de Maxime; cette femme, maîtresse de son mari, liée secrètement au vieux vermicellier, lui semblait tout un mystère. Il voulait pénétrer ce mystère, espérant ainsi pouvoir régner en souverain sur cette femme si éminemment Parisienne.

      – Anastasie, dit le comte appelant de nouveau sa femme.

      – Allons, mon pauvre Maxime, dit-elle au jeune homme, il faut se résigner. A ce soir…

      – J’espère, Nasie, lui dit-il à l’oreille, que vous consignerez ce petit homme dont les yeux s’allumaient comme des charbons quand votre peignoir s’entrouvrait. Il vous ferait des déclarations, vous compromettrait, et vous me forceriez à le tuer.

      – Êtes-vous fou, Maxime? dit-elle. Ces petits étudiants ne sont-ils pas, au contraire, d’excellents paratonnerres? Je le ferai, certes, prendre en grippe à Restaud.

      Maxime éclata de rire et sortit suivi de la comtesse, qui se mit à la fenêtre pour le voir montant en voiture, faire piaffer son cheval, et agitant son fouet. Elle ne revint que quand la grande porte fut fermée.

      – Dites donc, lui cria le comte quand elle rentra, ma chère, la terre où demeure la famille de monsieur n’est pas loin de Verteuil, sur la Charente. Le grand-oncle de monsieur et mon grand-père se connaissaient.

      – Enchantée d’être en pays de connaissance, dit la comtesse distraite.

      – Plus que vous ne le croyez, dit à voix basse Eugène.

      – Comment? dit-elle vivement.

      – Mais, reprit l’étudiant, je viens de voir sortir de chez vous un monsieur avec lequel je suis porte à porte dans la même pension, le père Goriot.

      A ce nom enjolivé du mot père, le comte, qui tisonnait, jeta les pincettes dans le feu, comme si elles lui eussent brûlé les mains, et se leva.

      – Monsieur, vous auriez pu dire monsieur Goriot! s’écria-t-il.

      La comtesse pâlit d’abord en voyant l’impatience de son mari, puis elle rougit, et fut évidemment embarrassée; elle répondit d’une voix qu’elle voulut rendre naturelle, et d’un air faussement dégagé: «Il est impossible de connaître quelqu’un que nous aimions mieux…» Elle s’interrompit, regarda son piano, comme s’il se réveillait en elle quelque fantaisie, et dit:

      – Aimez-vous la musique, monsieur?

      – Beaucoup, répondit Eugène devenu rouge et bêtifié par l’idée confuse qu’il eut d’avoir commis quelque lourde sottise.

      – Chantez-vous? s’écria-t-elle en s’en allant à son piano dont elle attaqua vivement toutes les touches en les remuant depuis l’ut d’en bas jusqu’au fa d’en haut. Rrrrah!

      – Non, madame.

      Le comte de Restaud se promenait de long en large.

      – C’est dommage, vous êtes privé d’un grand moyen de succès.

      – Ca-a-ro, ca-a-ro, ca-a-a-a-ro, non dubita-re, chanta la comtesse.

      En prononçant le nom du père Goriot, Eugène avait donné un coup de baguette magique, mais dont l’effet était inverse de celui qu’avaient frappé ces mots: «parent de madame de Beauséant.» Il se trouvait dans la situation d’un homme introduit par faveur chez un amateur de curiosités, et qui, touchant par mégarde une armoire pleine de figures sculptées, fait tomber trois ou quatre têtes mal collées. Il aurait voulu se jeter dans un gouffre. Le visage de madame de Restaud était sec, froid, et ses yeux devenus indifférents fuyaient ceux du malencontreux étudiant.

      – Madame, dit-il, vous avez à causer avec monsieur de Restaud, veuillez agréer mes hommages, et me permettre…

      – Toutes les fois que vous viendrez, dit précipitamment la comtesse en arrêtant Eugène par un geste, vous êtes sûr de nous faire, à monsieur de Restaud comme à moi, le plus vif plaisir.

      Eugène salua profondément le couple et sortit suivi de monsieur de Restaud, qui, malgré ses instances, l’accompagna jusque dans l’antichambre.

      – Toutes les fois que monsieur se présentera, dit le comte à Maurice, ni madame ni moi nous n’y serons.

      Quand Eugène mit pied sur le perron, il s’aperçut qu’il pleuvait.

      – Allons, se dit-il, je suis venu faire une gaucherie dont j’ignore la cause et la portée, je gâterai par-dessus le marché mon habit et mon chapeau. Je devrais rester dans un coin à piocher le Droit, ne penser qu’à devenir un rude magistrat. Puis-je aller dans le monde quand, pour y manœuvrer convenablement, il faut un tas de cabriolets, de bottes cirées, d’agrès indispensables, de chaînes d’or, dès le matin des gants de daim blancs qui coûtent six francs, et toujours des gants jaunes le soir? Vieux drôle de père Goriot, va!

      Quand il se trouva sous la porte de la rue, le cocher d’une voiture de louage, qui venait sans doute de remiser de nouveaux mariés et qui ne demandait pas mieux que de voler à son maître quelques courses de contrebande, fit à Eugène un signe en le voyant sans parapluie, en habit noir, gilet blanc, gants jaunes et bottes cirées. Eugène était sous l’empire de ces rages sourdes qui poussent un jeune homme à s’enfoncer de plus en plus dans l’abîme où il est entré, comme s’il espérait y trouver une heureuse issue. Il consentit par un mouvement de tête à la demande du cocher. Sans avoir plus de vingt-deux sous dans sa poche, il monta dans la voiture où quelques grains de fleurs d’oranger et des brins de cannetille attestaient le passage des mariés.

      – Où monsieur va-t-il? demanda le cocher, qui n’avait déjà plus ses gants blancs.

      – Parbleu! se dit Eugène, puisque je m’enfonce, il faut au moins que cela me serve à quelque chose! Allez à l’hôtel de Beauséant, ajouta-t-il à haute voix.

      – Lequel? dit le cocher Mot sublime qui confondit Eugène. Cet élégant inédit ne savait pas qu’il y avait deux hôtels de Beauséant, il ne connaissait pas combien il était riche en parents qui ne se souciaient pas de lui.

      – Le