Название | Albert |
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Автор произведения | Dumur Louis |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Nulle pédanterie, vraiment, mais une crédulité pieuse et de touchantes superstitions en ce qu’il lui disait du grand ordre qui règne ici-bas, des harmonies de la nature, du roi de la création et des oiseaux chantant des louanges sur de jolies branches vertes, par un beau soleil. Que le globe était bien installé, bien admirable, bien construit dans son indulgente imagination de vieux curé! Comme tous les mignons pantins manœuvraient délicieusement entre les doigts de l’excellente cause suprême! Le brave ecclésiastique s’attendrissait, mouillait des mouchoirs, pleurnichait en y songeant, tout en grattant ses articulations, dont les raideurs lui arrachaient parfois, au milieu de ses enthousiasmes, de piteux gémissements.
«Vois» disait-il «cette atmosphère si lucide, que l’œil perçoit, au travers, à de considérables distances! Réfléchis que nous aurions pu être entourés de ténébreux voiles, comme les habitants de Londres quand il fait du brouillard, ou plongés dans l’opaque étendue des ondes, comme les poissons. Quel merveilleux spectacle que celui de l’araignée tissant sa toile pour prendre des mouches! Remarquant le misérable insecte, Dieu, en son infinie et prévoyante pitié, lui donna le fil. En haut, en bas, tout conspire au bien. Si les continents n’existaient pas, les eaux envahiraient toute la terre; si les eaux n’existaient pas, la terre serait complètement à sec. Partout se devine la main céleste du meilleur des souverains. Le lion dans les déserts trouve la chair succulente de la gazelle, la gazelle trouve l’herbe de l’oasis, l’oasis trouve le sable qui l’entoure et sans lequel elle ne serait plus oasis, le sable trouve la sécheresse, et la sécheresse produit ce vent chaud du midi qui fleurit les orangers sur la côte de Nice. Tout s’enchaîne suivant une indissoluble suite de bénédictions, et, depuis le dernier des grains de poussière, jusqu’à toi-même, mon petit ami, tous les êtres ont leur part à ce magnifique et copieux festin, qui s’appelle la vie.»
A ces discours, prononcés d’une voix émue et tremblotante – avec le mouchoir rouge qui allait et venait et ponctuait longuement les phrases, avec aussi les contractions pénibles et les involontaires plaintes – Albert ne répondait ordinairement que par de rares signes de tête ou d’équivoques monosyllabes. Le vieux curé avait-il raison de prôner ainsi l’universelle symphonie? Il ne le savait pas précisément, mais il se doutait que cette apparente beauté, si tant est qu’elle existât, ne devait guère s’obtenir sans de louches perturbations et de latents vices. Il n’avait encore ni vu beaucoup, ni appris grand’chose, mais le peu qui dans sa cervelle était venu se nicher suffisait à fomenter la délétère kyrielle des incertitudes. A la maison, chiens, chats, parents et enfants étaient plus souvent de mauvaise humeur que de bonne; on y entendait gronder, quereller, tempêter, japper, miauler, larmoyer, et l’on y sentait de vilaines odeurs; le repas était mal cuit, il y avait des indigestions; ni liberté, ni fantaisie, mais des devoirs et une continuelle abdication de soi. Au dehors, le pavé boueux, les boutiques sombres, le passant rébarbatif. Rien n’indiquait cette joie tendre et salutaire célébrée par le vieux curé. Des corbillards emmenaient les restes.
«A quoi rêves-tu, mon petit ami?» s’avisa d’interroger un jour le bonhomme. – «A rien» répondit Albert.
Mais, comme le magister n’en démordait pas et voulait lui tirer les vers du nez, fébrilement, un ressort aux lèvres, sans même prendre garde aux friandises étalées sur son assiette, il s’écria:
«Hélas! monsieur le curé, l’atmosphère si chargée de nuages ne me cause aucune satisfaction, et je plains bien plus les mouches que je n’admire les araignées. S’il n’y avait pas de lions, les gazelles seraient heureuses, et s’il n’y avait pas de gazelles, l’herbe de l’oasis ne serait pas mangée; l’oasis n’est qu’une mince consolation du désert, et le vent du midi serait bien plus agréable, s’il n’engloutissait pas les caravanes. Le revers de ce qui vous plaît me déplaît excessivement. Nulle part, le bien ne répare le mal. Si celui-là vous frappe, celui-ci m’étonne. J’observe et je vois que tout travaille, sans relâche, sans repos, pressé par une incompréhensible nécessité. On croirait que tout court après un futur qui ne devient jamais le présent, mécontent de l’heure actuelle, espérant mieux. Mais, tout meurt. Puisque tout meurt, à quoi sert de vivre? C’est se donner beaucoup de peine pour rien.»
Le vieux curé se redressa sur son séant, désorienté, lâchant, dans sa stupéfaction, sa pipe d’écume qui tomba sur la pierre et se brisa.
«Malheureux Albert!» murmura-t-il.
L’enfant riait, inconscient de la grande portée de ses paroles, presque glorieux du scandale.
«Alors?..» demanda le vieux curé avec l’air de chercher une conclusion.
– «Alors, je trouve le monde inutile» dit Albert.
Le vieux curé ébaucha un signe de croix, qui fut interrompu par une douleur.
III
POURTANT ALBERT PREND LE MONDE AU SÉRIEUX
Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, quoi qu’on suppose, de quoi qu’on se targue, l’instinct demeure, et, le plus fort, domine les théories, les contredit et les accule.
Quoi qu’on fasse, rien ne l’efface: car il est greffé par d’innombrables cultures ancestrales, héréditaires et naturées. Quoi qu’on dise, on l’attise: car on reconnaît en des vocables sa vitalité, et le combattant, on l’excite. Quoi qu’on suppose, il dispose: car une hypothèse autre que lui le rend évident et détermine sa victoire. De quoi qu’on se targue, sa réalité nargue: car elle se fait sentir à chaque heure, à chaque minute, à chaque seconde, implacable comme une loi, comme un arrêt, comme une condamnation.
Déjà, de petits orgueils taraient les franchises de ce rare cœur. Ce monde «inutile» lui paraissait l’être moins, venant à réfléchir qu’il s’y trouvait. Des ardeurs, point d’ailleurs extraordinaires, agissaient en lui et forçaient ses moelles au désir. Désir de quoi? désir vers où? Désir inachevé des luttes, désir vers l’espoir, désir en lequel s’amalgamaient les imaginations d’enfance, qui peignent chez les plus graves avec de rutilantes et infatuées couleurs, et les latentes élasticités de nerfs et de muscles qui croissent, se développent, cherchent l’espace et s’émancipent. Le soleil, quand il brillait, versait de chaudes pluies stimulantes. La victuaille quotidienne gonflait d’alimenteuse et substantielle sève les vaisseaux écarlates du sanguin réseau. Des joies s’épanchaient au contact de mille riens: images d’Epinal, chevaux de bois, contes bleus, pêche aux écrevisses. De très nettes rivalités entre camarades recélaient le presque voluptueux frisson du combat. De curieux mystères à éclaircir, des ignorances à sonder, devinées, mais imprégnées encore de doutes, des attentes, des explorations commandaient l’intérêt et palpitaient. Albert ne pouvait échapper à l’instinct de vivre.
Pourquoi n’aurait-il pas vécu?
Nullement plus mal que les autres, en somme! Une intelligence mieux que commune, d’indiscutables supériorités prenaient jour en lui; on le distinguait, on le citait. Fréquemment, il lui arrivait de recevoir des compliments, qui faisaient ampoule à son amour-propre et chatouillaient sa sensualité vaniteuse. Il n’était ni bossu, ni boiteux, ni manchot, ni faible, ni délicat, ni sujet aux rhumes ou aux rages de dents. De corps et d’esprit, c’était bien. En ce qui concerne la fortune, certes, son père ne possédait pas le Pactole: mais eu égard à tant de faméliques qui, formant de grosses masses au sein des nations barbares et civilisées, détiennent les bas-fonds des sociétés, Albert eût eu tort d’être plaint. A tout peser, sa portion était congrue; il pouvait se croire parmi les privilégiés.
Il faut penser qu’un ressort étonnant joue au centre de tout biologique individu. Il faut calculer que bien des circonstances et de longs laps sont nécessaires pour parvenir à user, fausser, casser ce ressort. D’où, clairement,