Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3. Dozy Reinhart Pieter Anne

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Название Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3
Автор произведения Dozy Reinhart Pieter Anne
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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sur la coopération du roi de Navarre, Sancho-le-Grand, qui venait de donner à son pays une importance qu’il n’avait pas eue jusque-là, ils regardaient de plus en plus l’Espagne musulmane comme une proie qui ne pouvait leur échapper. Tout les poussait vers le Midi. Pauvres à un tel degré qu’ils échangeaient encore, faute de numéraire, des objets contre d’autres objets33, et instruits par leurs prêtres, auxquels ils étaient aveuglément dévoués et qu’ils comblaient de dons, à regarder la guerre contre les infidèles comme le plus sûr moyen de conquérir le ciel, ils cherchaient dans l’opulente Andalousie et les biens de ce monde et ceux de l’autre. L’Andalousie échapperait-elle à leur domination? Si elle succombait, le sort des musulmans serait terrible. Fanatiques et cruels, les Léonais donnaient rarement quartier; d’ordinaire, quand ils avaient pris une ville, ils passaient tous les habitants au fil de l’épée. Quant à une tolérance comme celle que les musulmans accordaient aux chrétiens, il ne fallait pas l’attendre d’eux. Que deviendrait d’ailleurs la brillante civilisation arabe, qui se développait de plus en plus, sous la domination de ces barbares qui ne savaient pas lire; qui, quand ils voulaient faire arpenter leurs terres, devaient se servir de Sarrasins34, et qui, quand ils parlaient d’une bibliothèque, entendaient par là l’Ecriture sainte?

      On le voit: la tâche qui attendait Abdérame III au commencement de son règne, était belle et grande: elle consistait à sauver sa patrie et la civilisation elle-même; mais elle était extrêmement difficile. Le prince avait à conquérir ses propres sujets, et à repousser, d’un côté les barbares du Nord, dont l’insolence s’était accrue au fur et à mesure que l’empire musulman avait faibli, de l’autre les barbares du Midi, qui en un clin d’œil s’étaient emparés d’un vaste Etat et qui croyaient avoir bon marché des Andalous. Abdérame comprit sa mission. Nous avons déjà vu de quelle manière il conquit et pacifia son propre royaume; nous allons voir à présent comment il s’y prit pour faire face aux ennemis du dehors.

      II

      Lors même qu’Abdérame III n’aurait pas eu l’intention de tourner ses armes contre les Léonais, ceux-ci l’y auraient forcé, car dans l’année 914, leur roi, l’intrépide Ordoño II, commença les hostilités en mettant à feu et à sang le territoire de Mérida. S’étant emparé de la forteresse d’Alanje, il passa au fil de l’épée tous les défenseurs de la place, et réduisit en servitude leurs femmes et leurs enfants. Alors les habitants de Badajoz s’effrayèrent. Craignant de partager le sort de leurs voisins, ils rassemblèrent une foule d’objets précieux, et, ayant leur prince à leur tête, ils allèrent supplier le roi chrétien de vouloir bien les accepter. Ordoño y consentit; puis, victorieux et regorgeant de butin, il repassa le Tage et le Duero, et, de retour à Léon, il donna à la Vierge une preuve de sa reconnaissance en lui fondant une église35.

      Comme les habitants des districts qu’Ordoño avait pillés n’étaient pas encore rentrés dans l’obéissance, Abdérame, s’il l’avait voulu, aurait pu fermer les yeux sur ce qui s’était passé. Mais telle n’était pas sa manière de voir. Comprenant fort bien qu’il lui fallait conquérir les cœurs de ses sujets rebelles en leur montrant qu’il était en état de les défendre, il résolut de punir le roi de Léon. A cet effet il envoya contre lui, en juillet 916, une armée commandée par Ibn-abî-Abda, le vieux général de son aïeul. L’expédition d’Ibn-abî-Abda, la première depuis celle que le soi-disant Mahdî avait entreprise quinze années auparavant, ne fut à vrai dire qu’une razzia; mais dans cette razzia les musulmans firent un ample butin36. L’année suivante, Abdérame, vivement sollicité par les habitants des frontières qui se plaignaient de ce que les Léonais avaient brûlé tous les faubourgs de Talavera (sur le Tage), donna l’ordre à Ibn-abî-Abda de se mettre encore une fois en campagne et d’aller assiéger l’importante forteresse de San Estevan (de Gormaz), que l’on appelait aussi Castro-Moros37. L’armée était nombreuse, et elle se composait en partie de mercenaires africains qu’Abdérame avait fait venir de Tanger. Aussi l’expédition promettait d’être heureuse. Etroitement bloquée, la garnison de San Estevan fut bientôt réduite à l’extrémité, et elle était déjà sur le point de se rendre, lorsque Ordoño vint à son secours. Il attaqua Ibn-abî-Abda. Malheureusement pour lui, ce général avait dans son armée, non-seulement des soldats de Tanger, mais aussi un grand nombre d’habitants des frontières, et l’on ne pouvait compter ni sur la fidélité ni sur la bravoure de ces hommes, moitié Berbers, moitié Espagnols, qui jetaient les hauts cris quand les Léonais venaient les piller, et qui prétendaient alors que le sultan devait les protéger, mais qui n’aimaient ni à se défendre eux-mêmes, ni à obéir au monarque. Cette fois encore ils se laissèrent battre, et leur retraite précipitée jeta un effroyable désordre dans les rangs de toute l’armée. Voyant que la bataille était perdue, le brave Ibn-abî-Abda aima mieux mourir à son poste que de chercher son salut dans la fuite; plusieurs de ses soldats, qui pensaient comme lui, se rangèrent à ses côtés, et tous succombèrent sans reculer sous les coups des chrétiens. Au rapport des historiens arabes, le reste de l’armée parvint à se rallier et arriva en assez bon ordre sur le territoire musulman; mais les chroniqueurs chrétiens racontent au contraire que la déroute des musulmans fut si complète que partout, depuis le Duero jusqu’à Atienza, les collines, les bois et les champs étaient jonchés de leurs cadavres38.

      Sans se laisser décourager, Abdérame prit aussitôt des mesures pour réparer ce désastre; mais pendant qu’il faisait des préparatifs pour une nouvelle campagne qui aurait lieu l’année suivante, les affaires d’Afrique captivèrent son attention.

      Bien qu’il ne fût pas encore en guerre contre les Fatimides, et que ceux-ci, occupés de la conquête de la Mauritanie, ne lui eussent pas donné des sujets de plainte, il prévoyait cependant que, cette guerre terminée, ils tourneraient aussitôt leurs armes contre l’Espagne. Il regarda donc comme un devoir de secourir la Mauritanie autant que possible, et de faire en sorte que ce pays restât, pour ainsi dire, le boulevard de l’Espagne contre les Fatimides. D’un autre côté, il devait éviter de se mettre trop tôt en guerre ouverte contre cette dynastie, car tant qu’il n’aurait pas dompté l’insurrection dans son propre empire et forcé les chrétiens du Nord à implorer la paix, il risquerait trop s’il s’exposait à une descente des Fatimides sur la côte andalouse. Tout ce qu’il pouvait faire dans les circonstances données, c’était d’encourager et d’aider sous main les princes qui avaient la volonté de se défendre contre les envahisseurs de leur pays.

      Déjà dans l’année 917, il eut l’occasion de le faire, alors que le prince de Nécour39 fut attaqué par les Fatimides. D’origine arabe, la famille de ce prince avait régné sur Nécour et son territoire depuis le temps de la conquête; elle s’était toujours distinguée par son attachement à la religion, et depuis que deux de ses princesses, faites prisonnières par les pirates normands, avaient été rachetées par le sultan Mohammed40, elle n’avait jamais cessé d’entretenir avec l’Espagne les relations les plus amicales. Un cadet de cette maison, qui, en pieux faqui qu’il était, avait fait quatre fois le pèlerinage de la Mecque, était même venu en Espagne, sous le règne d’Abdallâh, pour y prendre part à la guerre sainte. Attaqué par Ibn-Hafçoun après son débarquement, il était arrivé seul dans le camp du sultan, tous les hommes de son escorte ayant été tués, et à son tour il avait trouvé la mort en combattant contre Daisam, le chef de la province de Todmîr.

      Le prince qui régnait sur Nécour lorsque les Fatimides portèrent leurs armes dans la Mauritanie, s’appelait Saîd II. Sommé de se soumettre, il refusa de le faire; mais lui, ou plutôt son poète lauréat, un Espagnol, eut l’imprudence de joindre l’outrage au refus. Il faut savoir qu’au bas de sa sommation le calife avait fait écrire quelques vers, dont le sens était que, si les habitants de Nécour ne voulaient pas se soumettre, il les exterminerait,



<p>33</p>

Charte chez Sota, Escr. 1; autre charte (de l’année 993) dans l’Esp. sagr., t. XIX, p. 383.

<p>34</p>

Charte chez Berganza, t. I, p. 197, col. 2, l. 6.

<p>35</p>

Mon. Sil., c. 44, 45; Ibn-Khaldoun, fol. 14 v. J’ai suivi ce dernier auteur pour ce qui concerne la date.

<p>36</p>

Arîb, t. II, p. 176; Ibn-Khaldoun, fol. 14 v.

<p>37</p>

Voyez Arîb, t. II, p. 186, l. 3 et 4.

<p>38</p>

Arîb, t. II, p. 177, 178; Sampiro, c. 17; Mon. Sil., c. 46, 47.

<p>39</p>

Nécour était une ville du Rîf marocain, à cinq lieues de la mer.

<p>40</p>

Voyez mes Recherches, t. II, p. 285, 293, 294.