Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose. Delpit Albert

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Название Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose
Автор произведения Delpit Albert
Жанр Зарубежная драматургия
Серия
Издательство Зарубежная драматургия
Год выпуска 0
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étais sûre!

DANIEL

      Je n'ai pas de famille, monsieur, parce que je n'ai jamais eu ni père ni mère. Je suis enfant naturel.

GODEFROY, se levant

      Enfant naturel!

CÉSARINE, à part

      Tiens! tiens! tiens! il a donc un roman dans sa vie, ce garçon?

GODEFROY

      Enfant naturel! et je ne l'apprends qu'aujourd'hui! Comment! vous êtes venu dans ma maison, vous avez jeté les yeux sur ma fille, et vous n'avez pas eu la sincérité…

DANIEL

      Lorsque j'ai eu l'honneur d'être reçu chez vous, j'ignorais que je dusse aimer mademoiselle votre fille. Je n'avais donc rien à vous confier.

GODEFROY

      Mais depuis, monsieur!

DANIEL

      Depuis, j'ai voulu plusieurs fois aborder cette question, vous m'avez toujours interrompu dès les premiers mots; et tout à l'heure encore.

GODEFROY

      Il fallait insister!

DANIEL

      J'ai cru que vous aviez pris des renseignements. Au régiment, on n'ignore pas mon secret: l'armée est une grande famille dont tous les membres doivent se connaître entièrement, étant solidaires les uns des autres. Le jour où l'on a fait allusion à ma naissance, je l'ai avouée sincèrement, estimant que je n'ai ni à m'en cacher ni à en rougir. Je n'avais pas de nom; j'ai tâché de m'en faire un.

GODEFROY

      Moi, je ne savais rien, monsieur; autrement je vous aurais fait comprendre…

DANIEL

      Que je devais renoncer à l'espoir de votre alliance? Mon Dieu, monsieur, je ne suis pas un enfant, je connais la vie et les hommes: j'ai déjà eu le temps d'en souffrir. Vous entendant constamment parler de votre indépendance d'esprit, j'ai cru que vous vouliez m'indiquer ainsi que la tache de ma naissance n'en était pas une à vos yeux.

GODEFROY

      Certes, monsieur, je suis un esprit libéral, mais…

CÉSARINE, lorgnant Daniel

      Un enfant de l'amour! il est très bien.

DANIEL

      Vous m'avez dit souvent que vous vous mettiez au-dessus des préjugés.

CÉSARINE

      Des préjugés des autres, pas des siens.

GODEFROY

      C'est cela, des préjugés des autres, pas des miens! (Se reprenant.) Qu'est-ce que tu me fais donc dire, Césarine? Je vois que vous ne connaissez pas la province, monsieur. Si je vous donnais ma fille, les rues de Montauban se dépaveraient toutes seules pour me jeter des pierres! Dans nos petites villes, on est d'un rigorisme impitoyable. Probablement parce que chacun est ennuyé de ses propres affaires, tout le monde s'occupe de celles du voisin. Que voulez-vous que j'y fasse? Si j'habitais Paris, je ne dis pas, mais Montauban! Ce n'est pas votre faute… s'il y a… hum!.. une irrégularité dans votre naissance. Mais enfin, je ne pouvais pas me douter… Il n'y a pas moyen… on gloserait, on crierait; non, vraiment, il n'y a pas moyen.

DANIEL

      Je me retire, monsieur.

CÉSARINE, le lorgnant toujours

      Il est bien mieux que Montjoie.

DANIEL

      Il ne me reste plus…

Il s'arrête émuCÉSARINE, même jeu

      Un enfant de l'amour! En effet il a quelque chose…

DANIEL, reprenant

      Il ne me reste plus qu'à vous faire agréer mes excuses pour l'ennui que je vous cause. Pardonnez-moi, car je suis bien malheureux.

CÉSARINE, même jeu

      Il est malheureux!.. Ah! il me plaît de plus en plus.

DANIEL

      Je préfère ne plus revoir mademoiselle Édith. Daignez lui expliquer, mademoiselle, qu'un empêchement imprévu…

Il porte la main à ses yeuxCÉSARINE, à part

      Il souffre: il est parfait.

DANIEL, saluant,

      Monsieur, mademoiselle…

CÉSARINE

      Restez donc.

GODEFROY, sévèrement

      Césarine!

CÉSARINE

      Laisse, laisse, je sais ce que je fais. Restez donc, monsieur Daniel. Eh! mon Dieu, est-ce qu'on s'en va comme cela, tout de suite, sans avoir eu le temps de causer?

DANIEL

      Mademoiselle…

CÉSARINE

      Oui, mon frère n'est pas si méchant qu'il en a l'air. Il est assez raisonnable pour comprendre qu'on ne décide pas en cinq minutes une affaire aussi grave qu'un mariage. C'est bien le moins qu'on y réfléchisse mûrement, sagement… Édith aime Daniel, Montauban dira ce qu'il voudra; il faut qu'elle l'épouse.

GODEFROY

      Votre conduite, mademoiselle, est de la dernière inconvenance!

CÉSARINE

      Si tu savais combien cela m'est égal! (A Daniel.) Oui, Édith vous aime; je mentirais en vous disant que j'ai été ravie lorsque j'ai reçu sa confidence. Non, je n'ai pas été ravie… Mon excuse, c'est que je ne vous connaissais pas encore. Eh bien, faisons connaissance. Madame Dubois est votre seule parente?

DANIEL, gravement

      Oui, mademoiselle. C'est la sœur de ma mère, qui est morte en me mettant au monde. La pauvre créature avait été séduite à seize ans, à l'âge où une femme ne sait pas se défendre, et j'ai gardé pour elle une tendresse infinie: je l'ai vue si souvent avec ma pensée! J'ai été élevé à la campagne. Lorsque j'eus grandi, on me fit entrer au collège d'Aurillac, où j'ai continué mes études. Ma tante est la seule personne qui se soit occupée de moi. Sans elle, j'eusse été bien réellement seul au monde. J'atteignais ma onzième année, quand elle s'installa en Auvergne, à mes côtés. Elle venait d'éprouver de grands chagrins; j'étais l'unique affection qui lui restât. Elle me l'a prouvé noblement, je vous le jure. Aucune mère n'a été meilleure ni plus tendre. Aussi je me trompais un peu quand je vous disais tout à l'heure que je n'en avais pas eu: c'était renier la chère femme.

CÉSARINE, fondant en larmes, à son frère

      Tu n'es donc pas ému, toi?

GODEFROY

      Ému… ému!

CÉSARINE

      Continuez!

DANIEL

      Ma famille était riche. Ma mère m'avait laissé en mourant cinq ou six cent mille francs. Ma tante se chargea de faire valoir et d'augmenter ma petite fortune… Elle sentait sans doute qu'il fallait me mettre en état de compenser un jour l'irrégularité de ma naissance: c'était sa tâche à elle. La mienne était de travailler résolument, et d'arriver au premier rang, si je pouvais. Lorsque je suis entré à l'École polytechnique, j'ai dû fournir mes papiers de famille. Hélas! pour moi, c'était bien simple: une feuille déclarant qu'à telle date un enfant nommé Daniel était né de père et mère inconnus. Quelques-uns de mes camarades furent au courant de ma situation; je crois cependant que la plupart l'ignorèrent. Certains me témoignèrent de la froideur; je m'éloignai d'eux, sans leur en vouloir: je les plaignais de ne pas comprendre qu'étant plus heureux que moi ils devaient m'en aimer davantage. Je sortis de l'École dans les premiers; je préférai devenir soldat, m'imaginant qu'il me serait plus aisé de conquérir ainsi une illustration personnelle. Puis l'armée me serait une famille, et je gardais l'espoir constant d'une prompte action d'éclat. J'ai toujours pensé que le sang versé pour le pays est un commencement de noblesse. Je fus assez heureux pour me distinguer pendant la guerre, et j'obtins un avancement rapide. Tout marchait donc selon mes désirs; j'entrevoyais la réalisation prochaine de mon rêve, quand un hasard changea ma vie, bouleversa mes idées, et m'ouvrit un nouvel horizon: je rencontrai votre fille, et je l'aimai.

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