Germinal. Emile Zola

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Название Germinal
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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salie de quelques rares poils de barbe, avec les cheveux jaunes et la pâleur anémique de toute la famille. Sa chemise lui remontait au ventre, et il la baissa, non par pudeur, mais parce qu’il n’avait pas chaud.

      – C’est sonné en bas, répétait Catherine. Allons, houp! le père se fâche.

      Jeanlin, qui s’était pelotonné, referma les yeux, en disant:

      – Va te faire fiche, je dors!

      Elle eut un nouveau rire de bonne fille. Il était si petit, les membres grêles, avec des articulations énormes, grossies par des scrofules, qu’elle le prit, à pleins bras. Mais il gigotait, son masque de singe blafard et crépu, troué de ses yeux verts, élargi par ses grandes oreilles, pâlissait de la rage d’être faible. Il ne dit rien, il la mordit au sein droit.

      – Méchant bougre! murmura-t-elle en retenant un cri et en le posant par terre.

      Alzire, silencieuse, le drap au menton, ne s’était pas rendormie. Elle suivait de ses yeux intelligents d’infirme sa sœur et ses deux frères, qui maintenant s’habillaient. Une autre querelle éclata autour de la terrine, les garçons bousculèrent la jeune fille, parce qu’elle se lavait trop longtemps. Les chemises volaient, pendant que, gonflés encore de sommeil, ils se soulageaient sans honte, avec l’aisance tranquille d’une portée de jeunes chiens, grandis ensemble. Du reste, Catherine fut prête la première. Elle enfila sa culotte de mineur, passa la veste de toile, noua le béguin bleu autour de son chignon; et, dans ces vêtements propres du lundi, elle avait l’air d’un petit homme, rien ne lui restait de son sexe, que le dandinement léger des hanches.

      – Quand le vieux rentrera, dit méchamment Zacharie, il sera content de trouver le lit défait… Tu sais, je lui raconterai que c’est toi.

      Le vieux, c’était le grand-père, Bonnemort, qui, travaillant la nuit, se couchait au jour; de sorte que le lit ne refroidissait pas, il y avait toujours dedans quelqu’un à ronfler.

      Sans répondre, Catherine s’était mise à tirer la couverture et à la border. Mais, depuis un instant, des bruits s’entendaient derrière le mur, dans la maison voisine. Ces constructions de briques, installées économiquement par la Compagnie, étaient si minces, que les moindres souffles les traversaient. On vivait coude à coude, d’un bout à l’autre; et rien de la vie intime n’y restait caché, même aux gamins. Un pas lourd avait ébranlé un escalier, puis il y eut comme une chute molle, suivie d’un soupir d’aise.

      – Bon! dit Catherine, Levaque descend, et voilà Bouteloup qui va retrouver la Levaque.

      Jeanlin ricana, les yeux d’Alzire eux-mêmes brillèrent. Chaque matin, ils s’égayaient ainsi du ménage à trois des voisins, un haveur qui logeait un ouvrier de la coupe à terre, ce qui donnait à la femme deux hommes, l’un de nuit, l’autre de jour.

      – Philomène tousse, reprit Catherine après avoir tendu l’oreille.

      Elle parlait de l’aînée des Levaque, une grande fille de dix-neuf ans, la maîtresse de Zacharie, dont elle avait deux enfants déjà, si délicate de poitrine d’ailleurs, qu’elle était cribleuse à la fosse, n’ayant jamais pu travailler au fond.

      – Ah, ouiche! Philomène! répondit Zacharie, elle s’en moque, elle dort!… C’est cochon de dormir jusqu’à six heures!

      Il passait sa culotte, lorsqu’il ouvrit une fenêtre, préoccupé d’une idée brusque. Au-dehors, dans les ténèbres, le coron s’éveillait, des lumières pointaient une à une, entre les lames des persiennes. Et ce fut encore une dispute: il se penchait pour guetter s’il ne verrait pas sortir de chez les Pierron, en face, le maître porion du Voreux, qu’on accusait de coucher avec la Pierronne; tandis que sa sœur lui criait que le mari avait, depuis la veille, pris son service de jour à l’accrochage, et que bien sûr Dansaert n’avait pu coucher, cette nuit-là. L’air entrait par bouffées glaciales, tous deux s’emportaient, en soutenant chacun l’exactitude de ses renseignements, lorsque des cris et des larmes éclatèrent. C’était, dans son berceau, Estelle que le froid contrariait.

      Du coup, Maheu se réveilla. Qu’avait-il donc dans les os? voilà qu’il se rendormait comme un propre à rien! Et il jurait si fort, que les enfants, à côté, ne soufflaient plus. Zacharie et Jeanlin achevèrent de se laver, avec une lenteur déjà lasse. Alzire, les yeux grands ouverts, regardait toujours. Les deux mioches, Lénore et Henri, aux bras l’un de l’autre, n’avaient pas remué, respirant du même petit souffle, malgré le vacarme.

      – Catherine, donne-moi la chandelle! cria Maheu.

      Elle finissait de boutonner sa veste, elle porta la chandelle dans le cabinet, laissant ses frères chercher leurs vêtements, au peu de clarté qui venait de la porte. Son père sautait du lit. Mais elle ne s’arrêta point, elle descendit en gros bas de laine, à tâtons, et alluma dans la salle une autre chandelle, pour préparer le café. Tous les sabots de la famille étaient sous le buffet.

      – Te tairas-tu, vermine! reprit Maheu, exaspéré des cris d’Estelle, qui continuaient.

      Il était petit comme le vieux Bonnemort, et il lui ressemblait en gras, la tête forte, la face plate et livide, sous les cheveux jaunes, coupés très courts. L’enfant hurlait davantage, effrayée par ces grands bras noueux qui se balançaient au-dessus d’elle.

      – Laisse-la, tu sais bien qu’elle ne veut pas se taire, dit la Maheude, en s’allongeant au milieu du lit.

      Elle aussi venait de s’éveiller, et elle se plaignait, c’était bête de ne jamais faire sa nuit complète. Ils ne pouvaient donc partir doucement? Enfouie dans la couverture, elle ne montrait que sa figure longue, aux grands traits, d’une beauté lourde, déjà déformée à trente-neuf ans par sa vie de misère et les sept enfants qu’elle avait eus. Les yeux au plafond, elle parla avec lenteur, pendant que son homme s’habillait. Ni l’un ni l’autre n’entendait plus la petite qui s’étranglait à crier.

      – Hein? tu sais, je suis sans le sou, et nous voici à lundi seulement: encore six jours à attendre la quinzaine… Il n’y a pas moyen que ça dure. À vous tous, vous apportez neuf francs. Comment veux-tu que j’arrive? nous sommes dix à la maison.

      – Oh! neuf francs! se récria Maheu. Moi et Zacharie, trois: ça fait six… Catherine et le père, deux: ça fait quatre; quatre et six, dix… Et Jeanlin, un, ça fait onze.

      – Oui, onze, mais il y a les dimanches et les jours de chômage… Jamais plus de neuf, entends-tu?

      Il ne répondit pas, occupé à chercher par terre sa ceinture de cuir. Puis, il dit en se relevant:

      – Faut pas se plaindre, je suis tout de même solide. Il y en a plus d’un, à quarante-deux ans, qui passe au raccommodage.

      – Possible, mon vieux, mais ça ne nous donne pas du pain… Qu’est-ce que je vais fiche, dis? Tu n’as rien, toi?

      – J’ai deux sous.

      – Garde-les pour boire une chope… Mon Dieu! qu’est-ce que je vais fiche? Six jours, ça n’en finit plus. Nous devons soixante francs à Maigrat, qui m’a mise à la porte avant-hier. Ça ne m’empêchera pas de retourner le voir. Mais, s’il s’entête à refuser…

      Et la Maheude continua d’une voix morne, la tête immobile, fermant par instants les yeux sous la clarté triste de la chandelle. Elle disait le buffet vide, les petits demandant des tartines, le café même manquant, et l’eau qui donnait des coliques, et les longues journées passées à tromper la faim avec des feuilles de choux bouillies. Peu à peu, elle avait dû hausser le ton, car le hurlement d’Estelle couvrait ses paroles. Ces cris devenaient insoutenables. Maheu parut tout d’un coup les entendre, hors de lui, et il saisit la petite dans le berceau, il la jeta sur le lit de la mère, en balbutiant de fureur:

      – Tiens! prends-la, je l’écraserais… Nom de Dieu d’enfant! ça ne manque de rien, ça tète, et ça se plaint plus haut que les autres!

      Estelle s’était mise à téter, en effet. Disparue sous la couverture, calmée