Quatrevingt treize. Victor Hugo

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Название Quatrevingt treize
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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avait reçu, écrit de la même écriture que la dépêche précédente, le message qu’on va lire:

      «Citoyen représentant, le 1er juin, à l’heure de la marée, la corvette de guerre la Claymore, à batterie masquée, appareillera pour déposer sur la côte de France un homme dont voici le signalement: haute taille, vieux, cheveux blancs, habits de paysan, mains d’aristocrate. Je vous enverrai demain plus de détails. Il débarquera le 2 au matin. Avertissez la croisière, capturez la corvette, faites guillotiner l’homme».

      II. NUIT SUR LE NAVIRE ET SUR LE PASSAGER

      La corvette, au lieu de prendre par le sud et de se diriger vers Sainte-Catherine, avait mis le cap au nord, puis avait tourné à l’ouest et s’était résolument engagée entre Serk et Jersey dans le bras de mer qu’on appelle le Passage de la Déroute. Il n’y avait alors de phare sur aucun point de ces deux côtes.

      Le soleil s’était bien couché; la nuit était noire, plus que ne le sont d’ordinaire les nuits d’été; c’était une nuit de lune, mais de vastes nuages, plutôt de l’équinoxe que du solstice, plafonnaient le ciel, et, selon toute apparence, la lune ne serait visible que lorsqu’elle toucherait l’horizon, au moment de son coucher. Quelques nuées pendaient jusque sur la mer et la couvraient de brume.

      Toute cette obscurité était favorable.

      L’intention du pilote Gacquoil était de laisser Jersey à gauche et Guernesey à droite, et de gagner, par une marche hardie entre les Hanois et les Douvres, une baie quelconque du littoral de Saint-Malo, route moins courte que par les Minquiers, mais plus sûre, la croisière française ayant pour consigne habituelle de faire surtout le guet entre Saint-Hélier et Granville.

      Si le vent s’y prêtait, si rien ne survenait, et en couvrant la corvette de toile, Gacquoil espérait toucher la côte de France au point du jour.

      Tout allait bien; la corvette venait de dépasser Gros-Nez; vers neuf heures, le temps fit mine de bouder, comme disent les marins, et il y eut du vent et de la mer; mais ce vent était bon, et cette mer était forte sans être violente. Pourtant, à de certains coups de lame, l’avant de la corvette embarquait.

      Le «paysan» que lord Balcarras avait appelé général, et auquel le prince de la Tour-d’Auvergne avait dit: Mon cousin, avait le pied marin et se promenait avec une gravité tranquille sur le pont de la corvette. Il n’avait pas l’air de s’apercevoir qu’elle était fort secouée. De temps en temps il tirait de la poche de sa veste une tablette de chocolat dont il cassait et mâchait un morceau; ses cheveux blancs n’empêchaient pas qu’il eût toutes ses dents.

      Il ne parlait à personne, si ce n’est, par instants, bas et brièvement, au capitaine, qui l’écoutait avec déférence et semblait considérer ce passager comme plus commandant que lui-même.

      La Claymore, habilement pilotée, côtoya, inaperçue dans le brouillard, le long escarpement nord de Jersey, serrant de près la côte, à cause du redoutable écueil Pierres-de-Leeq qui est au milieu du bras de mer entre Jersey et Serk. Gacquoil, debout à la barre, signalant tour à tour la Grève de Leeq, Gros-Nez, Plémont, faisait glisser la corvette parmi ces chaînes de récifs, en quelque sorte à tâtons, mais avec certitude, comme un homme qui est de la maison et qui connaît les êtres de l’océan. La corvette n’avait pas de feu à l’avant, de crainte de dénoncer son passage dans ces mers surveillées. On se félicitait du brouillard. On atteignit la Grande-Étaque; la brume était si épaisse qu’à peine distinguait-on la haute silhouette du Pinacle. On entendit dix heures sonner au clocher de Saint-Ouen, signe que le vent se maintenait vent-arrière. Tout continuait d’aller bien; la mer devenait plus houleuse à cause du voisinage de la Corbière.

      Un peu après dix heures, le comte du Boisberthelot et le chevalier de La Vieuville reconduisirent l’homme aux habits de paysan jusqu’à sa cabine qui était la propre chambre du capitaine. Au moment d’y entrer, il leur dit en baissant la voix:

      – Vous le savez, messieurs, le secret importe. Silence jusqu’au moment de l’explosion. Vous seuls connaissez ici mon nom.

      – Nous l’emporterons au tombeau, répondit Boisberthelot.

      – Quant à moi, repartit le vieillard, fussé-je devant la mort, je ne le dirais pas.

      Et il entra dans sa chambre.

      III. NOBLESSE ET ROTURE MÊLÉES

      Le commandant et le second remontèrent sur le pont et se mirent à marcher côte à côte en causant. Ils parlaient évidemment de leur passager, et voici à peu près le dialogue que le vent dispersait dans les ténèbres.

      Boisberthelot grommela à demi-voix à l’oreille de La Vieuville:

      – Nous allons voir si c’est un chef.

      La Vieuville répondit:

      – En attendant, c’est un prince.

      – Presque.

      – Gentilhomme en France, mais prince en Bretagne.

      – Comme les La Trémoille, comme les Rohan.

      – Dont il est l’allié.

      Boisberthelot reprit:

      – En France et dans les carrosses du roi, il est marquis comme je suis comte et comme vous êtes chevalier.

      – Ils sont loin les carrosses! s’écria La Vieuville.

      Nous en sommes au tombereau.

      Il y eut un silence.

      Boisberthelot repartit:

      – À défaut d’un prince français, on prend un prince breton.

      – Faute de grives…

      – Non, faute d’un aigle, on prend un corbeau.

      – J’aimerais mieux un vautour, dit Boisberthelot.

      Et La Vieuville répliqua:

      – Certes! un bec et des griffes.

      – Nous allons voir.

      – Oui, reprit La Vieuville, il est temps qu’il y ait un chef. Je suis de l’avis de Tinténiac: un chef, et de la poudre! Tenez, commandant, je connais à peu près tous les chefs possibles et impossibles; ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain; pas un n’est la caboche de guerre qu’il nous faut. Dans cette diable de Vendée, il faut un général qui soit en même temps un procureur; il faut ennuyer l’ennemi, lui disputer le moulin, le buisson, le fossé, le caillou, lui faire de mauvaises querelles, tirer parti de tout, veiller à tout, massacrer beaucoup, faire des exemples, n’avoir ni sommeil ni pitié. À cette heure, dans cette armée de paysans, il y a des héros, il n’y a pas de capitaines. D’Elbée est nul, Lescure est malade, Bonchamps fait grâce; il est bon, c’est bête; La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant; Silz est un officier de rase campagne, impropre à la guerre d’expédients. Cathelineau est un charretier naïf, Stofflet est un garde-chasse rusé, Bérard est inepte, Boulainvilliers est ridicule, Charette est horrible. Et je ne parle pas du barbier Gaston. Car, mordemonbleu! à quoi bon chamailler la révolution et quelle différence y a-t-il entre les républicains et nous si nous faisons commander les gentilshommes par les perruquiers?

      – C’est que cette chienne de révolution nous gagne, nous aussi.

      – Une gale qu’a la France!

      – Gale du tiers état, reprit Boisberthelot. L’Angleterre seule peut nous tirer de là.

      – Elle nous en tirera, n’en doutez pas, capitaine.

      – En attendant, c’est laid.

      – Certes, des manants partout; la monarchie qui a pour général en chef Stofflet, garde-chasse de M. de Maulevrier, n’a rien à envier à la république qui a pour ministre Pache, fils du portier du duc de Castries. Quel vis-à-vis que cette guerre de la Vendée: d’un côté Santerre le brasseur, de l’autre Gaston le merlan!

      – Mon