Название | Bel-Ami / Милый друг |
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Автор произведения | Ги де Мопассан |
Жанр | |
Серия | Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом |
Издательство | |
Год выпуска | 1885 |
isbn | 978-5-17-158401-6 |
Vers quatre heures, il reçut un petit bleu de sa maîtresse, qui lui disait: «Veux-tu que nous dînions ensemble? nous ferons ensuite une escapade.»
Il répondit aussitôt: «Impossible dîner.» Puis il réfléchit qu'il serait bien bête de se priver des moments agréables qu'elle pourrait lui donner, et il ajouta: «Mais je t'attendrai, à neuf heures, dans notre logis».
Et ayant envoyé un des garçons porter ce mot, afin d'économiser le prix du télégramme, il réfléchit à la façon dont il s'y prendrait pour se procurer le repas du soir.
À sept heures, il n'avait encore rien inventé; et une faim terrible lui creusait le ventre. Alors il eut recours à un stratagème de désespéré. Il laissa partir tous ses confrères, l'un après l'autre, et, quand il fut seul, il sonna vivement. L'huissier du patron, resté pour garder les bureaux, se présenta.
Duroy debout, nerveux, fouillait ses poches, et d'une voix brusque:
– Dites donc, Foucart, j'ai oublié mon porte-monnaie chez moi, et il faut que j'aille dîner au Luxembourg. Prêtez-moi cinquante sous pour payer ma voiture.
L'homme tira trois francs de son gilet, en demandant:
– Monsieur Duroy ne veut pas davantage?
– Non, non, cela me suffit. Merci bien.
Et, ayant saisi les pièces blanches, Duroy descendit en courant l'escalier, puis alla dîner dans une gargote où il échouait aux jours de misère.
À neuf heures, il attendait sa maîtresse, les pieds au feu dans le petit salon.
Elle arriva, très animée, très gaie, fouettée par l'air froid de la rue:
– Si tu veux, dit-elle, nous ferons d'abord un tour, puis nous rentrerons ici à onze heures. Le temps est admirable pour se promener.
Il répondit d'un ton grognon:
– Pourquoi sortir? On est très bien ici.
Elle reprit, sans ôter son chapeau:
– Si tu savais, il fait un clair de lune merveilleux. C'est un vrai bonheur de se promener, ce soir.
– C'est possible, mais moi je ne tiens pas à me promener.
Il avait dit cela d'un air furieux. Elle en fut saisie, blessée, et demanda:
– Qu'est-ce que tu as? Pourquoi prends-tu ces manières-là? J'ai le désir de faire un tour, je ne vois pas en quoi cela peut te fâcher.
Il se souleva, exaspéré:
– Cela ne me fâche pas. Cela m'embête. Voilà!
Elle était de celles que la résistance irrite et que l'impolitesse exaspère.
Elle prononça, avec dédain, avec une colère froide:
– Je n'ai pas l'habitude qu'on me parle ainsi. Je m'en irai seule, alors; adieu!
Il comprit que c'était grave, et s'élançant vivement vers elle, il lui prit les mains, les baisa, en balbutiant:
– Pardonne-moi, ma chérie, pardonne-moi, je suis très nerveux, ce soir, très irritable. C'est que j'ai des contrariétés, des ennuis, tu sais, des affaires de métier.
Elle répondit, un peu adoucie, mais non calmée:
– Cela ne me regarde pas, moi; et je ne veux point supporter le contre-coup de votre mauvaise humeur.
Il la prit dans ses bras, l'attira vers le canapé:
– Écoute, ma mignonne, je ne voulais point te blesser; je n'ai point songé à ce que je disais.
Il l'avait forcée à s'asseoir, et s'agenouillant devant elle:
– M'as-tu pardonné? Dis-moi que tu m'as pardonné.
Elle murmura, d'une voix froide:
– Soit, mais ne recommence pas.
Et, s'étant relevée, elle ajouta:
– Maintenant, allons faire un tour.
Il était demeuré à genoux, entourant les hanches de ses deux bras; il balbutia:
– Je t'en prie, restons ici. Je t'en supplie. Accorde-moi cela. J'aimerais tant à te garder ce soir, pour moi tout seul, là, près du feu. Dis «oui», je t'en supplie, dis «oui».
Elle répliqua nettement, durement:
– Non. Je tiens à sortir, et je ne céderai pas à tes caprices.
Il insista:
– Je t'en supplie, j'ai une raison, une raison très sérieuse…
Elle dit de nouveau:
– Non. Et si tu ne veux pas sortir avec moi, je m'en vais. Adieu!
Elle s'était dégagée d'une secousse, et gagnait la porte. Il courut vers elle, l'enveloppa dans ses bras:
– Écoute, Clo, ma petite Clo, écoute, accorde-moi cela…
Elle faisait non, de la tête, sans répondre, évitant ses baisers et cherchant à sortir de son étreinte pour s'en aller.
Il bégayait:
– Clo, ma petite Clo, j'ai une raison.
Elle s'arrêta en le regardant en face:
– Tu mens… Laquelle?
Il rougit, ne sachant que dire. Et elle reprit, indignée:
– Tu vois bien que tu mens… sale bête…
Et avec un geste rageur, les larmes aux yeux, elle lui échappa.
Il la prit encore une fois par les épaules, et désolé, prêt à tout avouer pour éviter cette rupture, il déclara avec un accent désespéré:
– Il y a que je n'ai pas le sou… Voilà.
Elle s'arrêta net, et le regardant au fond des yeux pour y lire la vérité:
– Tu dis?
Il avait rougi jusqu'aux cheveux:
– Je dis que je n'ai pas le sou. Comprends-tu? Mais pas vingt sous, pas dix sous, pas de quoi payer un verre de cassis dans le café où nous entrerons. Tu me forces à confesser des choses honteuses. Il ne m'était pourtant pas possible de sortir avec toi, et quand nous aurions été attablés devant deux consommations, de te raconter tranquillement que je ne pouvais pas les payer…
Elle le regardait toujours en face:
– Alors… c'est bien vrai… ça?
En une seconde, il retourna toutes ses poches, celles du pantalon, celles du gilet, celles de la jaquette, et il murmura:
– Tiens… es-tu contente… maintenant?
Brusquement, ouvrant ses deux bras avec un élan passionné, elle lui sauta au cou, en bégayant.
– Oh! mon pauvre chéri… mon pauvre chéri… si j'avais su! Comment cela t'est-il arrivé?
Elle le fit asseoir, et s'assit elle-même sur ses genoux, puis le tenant par le cou, le baisant à tout instant, baisant sa moustache, sa bouche, ses yeux, elle le força à raconter d'où lui venait cette infortune.
Il inventa une histoire attendrissante. Il avait été obligé de venir en aide à son père qui se trouvait dans l'embarras. Il lui avait donné non seulement toutes ses économies, mais il s'était endetté gravement.
Il ajouta:
– J'en ai pour six mois au moins à crever de faim, car j'ai épuisé toutes mes ressources. Tant pis, il y a des moments de crise dans la vie. L'argent, après tout, ne vaut pas qu'on s'en préoccupe.
Elle lui souffla dans l'oreille:
– Je t'en prêterai, veux-tu?
Il répondit avec dignité:
– Tu