Название | Bel-Ami / Милый друг |
---|---|
Автор произведения | Ги де Мопассан |
Жанр | |
Серия | Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом |
Издательство | |
Год выпуска | 1885 |
isbn | 978-5-17-158401-6 |
On ouvrit la porte et deux jeunes femmes parurent, suivies d'un maître d'hôtel, voilées, cachées, discrètes, avec cette allure de mystère charmant qu'elles prennent en ces endroits où les voisinages et les rencontres sont suspects.
Comme Duroy saluait Mme Forestier, elle le gronda fort de n'être pas revenu la voir; puis elle ajouta, avec un sourire, vers son amie:
– C'est ça, vous me préférez Mme de Marelle, vous trouvez bien le temps pour elle.
Puis on s'assit, et le maître d'hôtel ayant présenté à Forestier la carte des vins, Mme de Marelle s'écria:
– Donnez à ces messieurs ce qu'ils voudront; quant à nous, du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux par exemple, rien autre chose.
Et l'homme étant sorti, elle annonça avec un rire excité:
– Je veux me pocharder ce soir, nous allons faire une noce, une vraie noce.
Forestier, qui paraissait n'avoir pas entendu, demanda:
– Cela ne vous ferait-il rien qu'on fermât la fenêtre? j'ai la poitrine un peu prise depuis quelques jours.
– Non, rien du tout.
Il alla donc pousser le battant resté entr'ouvert et il revint s'asseoir avec un visage rasséréné, tranquillisé.
Sa femme ne disait rien, paraissait absorbée; et, les yeux baissés vers la table, elle souriait aux verres, de ce sourire vague qui semblait promettre toujours pour ne jamais tenir.
Les huîtres d'Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés.
Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille; et les convives commencèrent à causer.
On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier.
Forestier riait beaucoup de l'aventure; les deux femmes déclaraient que le bavard indiscret n'était qu'un goujat et qu'un lâche. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple témoin, un silence de tombeau. Il ajouta:
– Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discrétion absolue les uns des autres. Ce qui arrête souvent, bien souvent, presque toujours les femmes, c'est la peur du secret dévoilé.
Puis il ajouta, souriant:
– Voyons, n'est-ce pas vrai? Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient à un rapide désir, au caprice brusque et violent d'une heure, à une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur!
Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaidé une cause, sa cause, comme s'il eût dit: «Ce n'est pas avec moi qu'on aurait à craindre de pareils dangers. Essayez pour voir.»
Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisienne n'aurait pas tenu longtemps devant la certitude du secret.
Et Forestier, presque couché sur le canapé, une jambe repliée sous lui, la serviette glissée dans son gilet pour ne point maculer son habit, déclara tout à coup, avec un rire convaincu de sceptique:
– Sacristi oui, on s'en paierait si on était sûr du silence. Bigre de bigre! les pauvres maris!
Et on se mit à parler d'amour. Sans l'admettre éternel, Duroy le comprenait durable, créant un lien, une amitié tendre, une confiance! L'union des sens n'était qu'un sceau à l'union des cœurs. Mais il s'indignait des jalousies harcelantes, des drames, des scènes, des misères qui, presque toujours, accompagnent les ruptures.
Quand il se tut, Mme de Marelle soupira:
– Oui, c'est la seule bonne chose de la vie, et nous la gâtons souvent par des exigences impossibles.
Mme Forestier, qui jouait avec un couteau, ajouta:
– Oui… oui… c'est bon d'être aimée…
Et elle semblait pousser plus loin son rêve, songer à des choses qu'elle n'osait point dire.
Et comme la première entrée n'arrivait pas, ils buvaient de temps en temps une gorgée de champagne en grignotant des croûtes arrachées sur le dos des petits pains ronds. Et la pensée de l'amour, lente et envahissante, entrait en eux, enivrait peu à peu leur âme, comme le vin clair, tombé goutte à goutte en leur gorge, échauffait leur sang et troublait leur esprit.
On apporta des côtelettes d'agneau, tendres, légères, couchées sur un lit épais et menu de pointes d'asperges.
– Bigre! la bonne chose! s'écria Forestier.
Et ils mangeaient avec lenteur, savourant la viande fine et le légume onctueux comme une crème.
Duroy reprit:
– Moi, quand j'aime une femme, tout disparaît du monde autour d'elle.
Il disait cela avec conviction, s'exaltant à la pensée de cette jouissance d'amour, dans le bien-être de la jouissance de table qu'il goûtait.
Mme Forestier murmura, avec son air de n'y point toucher:
– Il n'y a pas de bonheur comparable à la première pression des mains, quand l'un demande: «M'aimez-vous?» et quand l'autre répond: «Oui, je t'aime.»
Mme de Marelle, qui venait de vider d'un trait une nouvelle flûte de champagne, dit gaiement, en reposant son verre:
– Moi, je suis moins platonique.
Et chacun se mit à ricaner, l'œil allumé, en approuvant cette parole.
Forestier s'étendit sur le canapé, ouvrit les bras, les appuya sur des coussins et d'un ton sérieux:
– Cette franchise vous honore et prouve que vous êtes une femme pratique. Mais peut-on vous demander quelle est l'opinion de M. de Marelle?
Elle haussa les épaules lentement, avec un dédain infini, prolongé, puis d'une voix nette:
– M. de Marelle n'a pas d'opinion en cette matière. Il n'a que des… que des abstentions.
Et la causerie, descendant des théories élevées sur la tendresse, entra dans le jardin fleuri des polissonneries distinguées.
Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l'œil et dans l'esprit la vision rapide de tout ce qu'on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d'amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l'évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l'enlacement. On avait apporté le rôti, des perdreaux flanqués de cailles, puis des petits pois, puis une terrine de foies gras accompagnée d'une salade aux feuilles dentelées, emplissant comme une mousse verte un grand saladier en forme de cuvette. Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s'en douter, uniquement préoccupés de ce qu'ils disaient, plongés dans un bain d'amour.
Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides, Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation, Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies sorties de sa bouche.
Forestier, tout à fait vautré sur les coussins, riait, buvait, mangeait sans cesse et jetait parfois une parole tellement osée ou tellement crue que les femmes, un peu choquées