Название | Bel-Ami / Милый друг |
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Автор произведения | Ги де Мопассан |
Жанр | |
Серия | Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом |
Издательство | |
Год выпуска | 1885 |
isbn | 978-5-17-158401-6 |
Le dessert vint, puis le café; et les liqueurs versèrent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud.
Comme elle l'avait annoncé en se mettant à table, Mme de Marelle était pocharde, et elle le reconnaissait, avec une grâce gaie et bavarde de femme qui accentue, pour amuser ses convives, une pointe d'ivresse très réelle.
Mme Forestier se taisait maintenant, par prudence peut-être; et Duroy se sentant trop allumé pour ne pas se compromettre, gardait une réserve habile.
On alluma des cigarettes, et Forestier, tout à coup, se mit à tousser.
Ce fut une quinte terrible qui lui déchirait la gorge; et, la face rouge, le front en sueur, il étouffait dans sa serviette. Lorsque la crise fut calmée, il grogna d'un air furieux:
– Ça ne me vaut rien, ces parties-là: c'est stupide.
Toute sa bonne humeur avait disparu dans la terreur du mal qui hantait sa pensée.
– Rentrons chez nous, dit-il.
Mme de Marelle sonna le garçon et demanda l'addition. On la lui apporta presque aussitôt. Elle essaya de la lire, mais les chiffres tournaient devant ses yeux, et elle passa le papier à Duroy:
– Tenez, payez pour moi, je n'y vois plus, je suis trop grise.
Et elle lui jeta en même temps sa bourse dans les mains.
Le total montait à cent trente francs. Duroy contrôla et vérifia la note, puis donna deux billets, et reprit la monnaie, en demandant, à mi-voix:
– Combien faut-il laisser aux garçons?
– Ce que vous voudrez, je ne sais pas.
Il mit cinq francs sur l'assiette, puis rendit la bourse à la jeune femme, en lui disant:
– Voulez-vous que je vous reconduise à votre porte?
– Mais certainement. Je suis incapable de retrouver mon adresse.
On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait.
Il la sentait contre lui, si près, enfermée avec lui dans cette boîte noire, qu'éclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. Il sentait, à travers sa manche, la chaleur de son épaule, et il ne trouvait rien à lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralysé par le désir impérieux de la saisir dans ses bras. «Si j'osais, que ferait-elle?» pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotées pendant le dîner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en même temps.
Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncée en son coin. Il eût pensé qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumière pénétrait dans la voiture.
«Que pensait-elle?» Il sentait fort bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale.
Tout à coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-être. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains.
Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.
Mais la voiture s'étant arrêtée bientôt devant la maison qu'elle habitait, Duroy, surpris, n'eut point à chercher des paroles passionnées pour la remercier, la bénir et lui exprimer son amour reconnaissant. Cependant elle ne se levait pas, elle ne remuait point, étourdie par ce qui venait de se passer. Alors il craignit que le cocher n'eût des doutes, et il descendit le premier pour tendre la main à la jeune femme.
Elle sortit enfin du fiacre en trébuchant et sans prononcer une parole. Il sonna, et, comme la porte s'ouvrait, il demanda, en tremblant:
– Quand vous reverrai-je?
Elle murmura, si bas qu'il entendit à peine:
– Venez déjeuner avec moi demain.
Et elle disparut dans l'ombre du vestibule en repoussant le lourd battant, qui fit un bruit de coup de canon.
Il donna cent sous au cocher et se mit à marcher devant lui, d'un pas rapide et triomphant, le cœur débordant de joie.
Il en tenait une, enfin, une femme mariée! une femme du monde! du vrai monde! du monde parisien! Comme ça avait été facile et inattendu!
Il s'était imaginé jusque-là que pour aborder et conquérir une de ces créatures tant désirées, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siège habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Et voilà que tout d'un coup, à la moindre attaque, la première qu'il rencontrait s'abandonnait à lui, si vite qu'il en demeurait stupéfait.
«Elle était grise, pensait-il; demain, ce sera une autre chanson. J'aurai les larmes.» Cette idée l'inquiéta, puis il se dit: «Ma foi, tant pis. Maintenant que je la tiens, je saurai bien la garder.»
Et, dans le mirage confus où s'égaraient ses espérances, espérances de grandeur, de succès, de renommée, de fortune et d'amour, il aperçut tout à coup, pareilles à ces guirlandes de figurantes qui se déroulent dans le ciel des apothéoses, une procession de femmes élégantes, riches, puissantes, qui passaient en souriant pour disparaître l'une après l'autre au fond du nuage doré de ses rêves.
Et son sommeil fut peuplé de visions.
Il était un peu ému, le lendemain, en montant l'escalier de Mme de Marelle. Comment allait-elle le recevoir? Et si elle ne le recevait pas? Si elle avait défendu l'entrée de sa demeure? Si elle racontait…? Mais non, elle ne pouvait rien dire sans laisser deviner la vérité tout entière. Donc il était maître de la situation.
La petite bonne ouvrit la porte. Elle avait son visage ordinaire. Il se rassura, comme s'il se fût attendu à ce que la domestique lui montrât une figure bouleversée.
Il demanda:
– Madame va bien?
Elle répondit:
– Oui, monsieur, comme toujours.
Et elle le fit entrer dans le salon.
Il alla droit à la cheminée pour constater l'état de ses cheveux et de sa toilette; et il rajustait sa cravate devant la glace, quand il aperçut dedans la jeune femme qui le regardait, debout sur le seuil de la chambre.
Il fit semblant de ne l'avoir point vue, et ils se considérèrent quelques secondes, au fond du miroir, s'observant, s'épiant avant de se trouver face à face.
Il se retourna. Elle n'avait point bougé, et semblait attendre. Il s'élança, balbutiant:
– Comme je vous aime! comme je vous aime!
Elle ouvrit les bras, et tomba sur sa poitrine; puis, ayant levé la tête vers lui, ils s'embrassèrent longtemps.
Il pensait: «C'est plus facile que je n'aurais cru. Ça va très bien.» Et, leurs lèvres s'étant séparées, il souriait sans dire un mot, en tâchant de mettre dans son regard une infinité d'amour.
Elle aussi souriait, de ce sourire qu'elles ont pour offrir leur désir, leur consentement, leur volonté de se donner. Elle murmura:
– Nous sommes seuls. J'ai envoyé Laurine déjeuner chez une camarade.
Il soupira, en lui baisant les poignets:
– Merci, je vous adore.
Alors elle lui prit le bras, comme s'il eût été son mari, pour aller jusqu'au canapé où ils s'assirent côte à côte.
Il lui fallait un début de causerie habile et séduisant; ne le découvrant point à son gré, il balbutia:
– Alors