Les musiciens et la musique. Hector Berlioz

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Название Les musiciens et la musique
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066081560



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ce dernier s'il voyait Adam accaparer ainsi toutes les scènes de Florence, pour y faire représenter des œuvres méprisées à Paris et il imagine les doléances du public florentin devant le déballage de cette pacotille.—Donizetti se fâcha. On ne sait ce qu'Adam pensa de cette ironique fantaisie. Berlioz fut un peu moins cruel quelques semaines plus tard pour les Martyrs de Donizetti. On ne cesse de jouer la Fille du Régiment à l'Opéra-Comique. Les Martyrs ont eu des destinées moins heureuses.

      En 1861, c'est contre la bouffonnerie d'Offenbach que se déchaîne Berlioz. L'Opéra-Comique vient de jouer Barkouf. Le critique s'abandonne à une exaspération qui nous fait aujourd'hui un peu sourire. Il s'indigne, avec le public, car Barkouf était tombé, de voir le genre «trivial, bas, grimaçant», envahir la scène de l'Opéra-Comique et il s'écrie: «Décidément, il y a quelque chose de détraqué dans la cervelle de certains musiciens. Le vent qui souffle à travers l'Allemagne les a rendus fous. Les temps sont-ils proches? De quel Messie alors l'auteur de Barkouf est-il le Jean-Baptiste[21]?...»

      Voilà le Berlioz des jours de complète franchise.

      Comment traitait-il les gens qu'il voulait «ménager»?

      «La violence, disait-il, que je me fais pour louer certains ouvrages, est telle que la vérité suinte à travers mes lignes, comme, dans les efforts extraordinaires de la presse hydraulique, l'eau suinte à travers le fer de l'instrument.» La vérité suintait souvent. Tout le monde s'en apercevait, les auteurs des opéras et les lecteurs des feuilletons. Un jour que l'on avait représenté un ouvrage de Billetta, professeur de piano à Londres, Berlioz écrivait à son ami Morel: «Ne croyez pas un mot des quelques éloges que contient sur cette musique mon feuilleton de ce matin, et croyez, au contraire, que je me suis tenu à quatre pour en faire aussi tranquillement la critique[22]...» Vraiment ni Morel ni personne n'avait besoin d'être averti.

      On est surpris au premier abord des louanges accordées par Berlioz aux œuvres d'Halévy, d'Auber et d'Adam. On est un peu scandalisé de trouver sous sa plume cette appréciation du Shérif d'Halévy: «Jamais M. Halévy ne s'est montré si abondant, si riche et si original. Cette œuvre a une physionomie tout à fait à part. Elle m'a fait éprouver, presque d'un bout à l'autre, ce plaisir rare que donnent aux musiciens les compositions hardies, nouvelles et savamment ordonnées[23].» Et Halévy n'était pas le seul à bénéficier de cette belle indulgence. Attendez pourtant! Voici ce qu'il écrit, une autre fois, du même Halévy, à propos du Val d'Andorre: «Le succès du Val d'Andorre, à l'Opéra-Comique, est un des plus généraux, des plus spontanés et des plus éclatants dont j'aie été témoin. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des auditeurs applaudissaient, approuvaient, étaient émus. Une fraction cependant, une fraction imperceptible, mais qui contient encore des esprits d'élite, ne partageait qu'avec des restrictions l'opinion dominante sur la haute valeur de l'ouvrage; d'autres, dès la fin du second acte, se montraient déjà fatigués d'entendre dire: «Que c'est charmant!» O Athéniens, vous avez pourtant bien peu d'Aristides! Pour moi, j'ai franchement approuvé et admiré; j'ai été impressionné vivement sans songer en écoutant les clameurs enthousiastes de la salle, à appliquer à M. Halévy ce mot antique: «Le peuple applaudit: aurait-il dit quelque sottise?...» Mot plus spirituel que profond, car le peuple applaudit même les belles choses quand elles sont à sa portée et qu'elles ne dérangent pas brusquement le cours de ses habitudes et de ses idées[24].» Un long «éreintement», comme nous disons aujourd'hui, eût-il valu ces lignes délicieuses et perfides?

      La mansuétude qu'il témoignait à Auber était assez intermittente: «Il y a un nombre prodigieux de motifs de contredanse dans cette partition (Les Diamants de la couronne). La première reprise est ainsi toute faite, il ne s'agira plus que d'en ajouter une seconde et les quadrilles surgiront par douzaines. Évidemment, c'est le but que s'est proposé M. Auber; il a cru plaire davantage par là au public spécial de l'Opéra-Comique, et lui plaire d'autant plus que ces thèmes courants seraient moins originaux. La durée du succès peut seule démontrer si ce but a été atteint[25].» Encore cette fine et charmante ironie: «M. Auber a écrit sur ce livret (L'Enfant prodigue) une riche partition, brillante, animée, vive, joyeuse, souvent touchante et complètement privée de ces beautés terribles qu'accompagne l'ennui[26].» De tels traits sembleraient maintenant inoffensifs. En ce temps-là, on savait encore goûter les sous-entendus, comprendre les allusions.

      Berlioz fut donc moins féroce qu'on ne l'a dit; mais il fut moins indulgent qu'il ne l'a lui-même prétendu.

      *

       * *

      Il a sincèrement aimé les œuvres de quelques-uns de ses contemporains. Prenons ici—cette réserve est indispensable—le mot de sincèrement dans le sens atténué qu'il faut toujours lui attribuer s'il s'agit d'un artiste jugeant les productions de ses rivaux ou de ses disciples heureux. Un musicien dénué de toute jalousie, étranger à toute malice, joyeux de succès qui ne sont pas les siens, ce prodige s'est une fois rencontré: César Franck fut un saint. Berlioz n'en était pas un: il aima qui l'aimait et célébra volontiers les œuvres dont la réussite lui semblait un gage de sa propre revanche. Cependant l'accent de certains feuilletons trahissait une chaleur de sentiment à laquelle ne pouvaient pas se tromper les compositeurs gratifiés la veille de louanges banales: ces jours-là, le critique était heureux que la reconnaissance, l'intérêt et la prudence lui permissent d'admirer librement ce qu'au fond du cœur il jugeait admirable.

      Il a pieusement glorifié la musique de son maître Jean-François Lesueur[27]. Son grand dégoût de l'italianisme ne l'empêcha pas de répéter vingt fois que le Barbier était un chef-d'œuvre et de reconnaître «la sensibilité profonde» de Bellini, «son expression si souvent juste et vraie... sa simplicité naïve[28]». Pour l'amour de la symphonie, il combla de louanges les pauvres symphonistes de cette époque: Heller, Reber, Litolff.

      De tous les musiciens de son temps, celui qu'il loua avec le plus d'ardeur, ce fut Meyerbeer. Ce goût déconcertant gêne quelques-uns de ses fervents: ils voudraient mettre au compte des complaisances nécessaires les éloges décernés par le musicien des Troyens au compositeur du Pardon de Ploërmel: simple gratitude de Berlioz, disent-ils, pour un maître illustre, auditeur assidu et bienveillant de toutes ses symphonies et de tous ses opéras. A leur avis, si l'on veut savoir sa véritable opinion, il faut s'en tenir à cette boutade rapportée par M. Adolphe Jullien[29]: «Meyerbeer n'a pas seulement le bonheur d'avoir du talent, il a surtout le talent d'avoir du bonheur.»

      Berlioz a pu lâcher cette méchanceté dans un instant d'humeur. Ce n'était point son opinion intime. Tels passages de ses œuvres (ce ne sont pas les meilleurs), notamment le finale de la Réconciliation, théâtral épilogue de la belle symphonie de Roméo et Juliette, prouveraient que l'admiration de Berlioz pour Meyerbeer ne fut que trop réelle... Mais, rien qu'à lire ses feuilletons, nous en sommes déjà convaincus. Qu'il s'agisse de l'auteur des Huguenots ou de celui de la Juive, l'éloge sonne d'une manière différente.

      En 1836, Berlioz avait publié une analyse de la partition des Huguenots, très longue et très chaleureuse[30]. On a lu plus haut un fragment d'un de ses articles sur le Prophète. A la suite de la représentation de l'Étoile du Nord, il disait: «C'est merveilleux de vérité, d'élégance, de fraîcheur d'idées, d'originalité, d'audace et de bonheur. A côté des plus jolies, des plus coquettes chatteries musicales, on y trouve des combinaisons effrayantes de complexité, des traits d'expression passionnée d'une vérité saisissante[31].»—Pour le Pardon de Ploërmel, mêmes louanges[32]. Et si l'on conserve un doute, malgré tous ces témoignages publics, il faut ouvrir les Lettres intimes à Humbert Ferrand: on y lit ceci (28 avril 1859): «Que la musique d'Herculanum est d'une faiblesse et d'un incoloris (pardon du néologisme) désespérants! Que celle du Pardon de Ploërmel est écrite, au contraire, d'une façon magistrale, ingénieuse, fine, piquante et souvent poétique! Il y a un abîme entre Meyerbeer et ces jeune gens. On voit qu'il n'est pas Parisien. On voit le contraire pour David et Gounod.»

      Berlioz traite ici avec un peu d'amertume ces deux jeunes gens. Il avait