Название | Un hiver à Majorque |
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Автор произведения | George Sand |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088330 |
En Suisse, le torrent qui roule partout et le nuage qui passe sans cesse donnent aux aspects une mobilité de couleur et pour ainsi dire une continuité de mouvement que la peinture n'est pas toujours heureuse à reproduire. La nature semble s'y jouer de l'artiste. A Majorque, elle semble l'attendre et l'inviter. Là, la végétation affecte des formes altières et bizarres; mais elle ne déploie pas ce luxe désordonné sous lequel les lignes du paysage suisse disparaissent trop souvent. La cime du rocher dessine ses contours bien arrêtés sur un ciel étincelant, le palmier se penche de lui-même sur les précipices sans que la brise capricieuse dérange la majesté de sa chevelure, et, jusqu'au moindre cactus rabougri au bord du chemin, tout semble poser avec une sorte de vanité pour le plaisir des yeux.
Avant tout, nous donnerons une description très-succincte de la grande Baléare, dans la forme vulgaire d'un article de dictionnaire géographique. Cela n'est point si facile qu'on le suppose, surtout quand on cherche à s'instruire dans le pays même. La prudence de l'Espagnol et la méfiance de l'insulaire y sont poussées si loin, qu'un étranger ne doit adresser à qui que ce soit la question la plus oiseuse du monde, sous peine de passer pour un agent politique. Ce bon M. Laurens, pour s'être permis de croquer un castillo en ruines dont l'aspect lui plaisait, a été fait prisonnier par l'ombrageux gouverneur, qui l'accusait de lever le plan de sa forteresse1. Aussi notre voyageur, résolu à compléter son album ailleurs que dans les prisons d'État de Majorque, s'est-il bien gardé de s'enquérir d'autre chose que des sentiers de la montagne et d'interroger d'autres documents que les pierres des ruines. Après avoir passé quatre mois à Majorque, je ne serais pas plus avancé que lui, si je n'eusse consulté le peu de détails qui nous ont été transmis sur ces contrées. Mais là ont recommencé mes incertitudes; car ces ouvrages, déjà anciens, se contredisent tellement entre eux, et, selon la coutume des voyageurs, se démentent et se dénigrent si superbement les uns les autres, qu'il faut se résoudre à redresser quelques inexactitudes, sauf à en commettre beaucoup d'autres. Voici toutefois mon article de dictionnaire géographique; et, pour ne pas me départir de mon rôle de voyageur, je commence par déclarer qu'il est incontestablement supérieur à tous ceux qui le précèdent.
Note 1: (retour)
«La seule chose qui captiva mon attention sur ce rivage fut une masure couleur d'ocre foncé et entourée d'une haie de cactus. C'était le castillo de Soller. A peine avais-je arrêté les lignes de mon dessin, que je vis fondre sur moi quatre individus montrant une mine à faire peur, ou plutôt à faire rire. J'étais coupable de lever, contrairement aux lois du royaume, le plan d'une forteresse. Elle devint à l'instant une prison pour moi.
«J'étais trop loin d'avoir de l'éloquence dans la langue espagnole pour démontrer à ces gens l'absurdité de leur procédé. Il fallut recourir à la protection du consul français de Soller, et, quel que fût son empressement, je n'en restai pas moins captif pendant trois mortelles heures, gardé par le señor Sei-Dedos, gouverneur du fort, véritable dragon des Hespérides. La tentation me prenait quelquefois de jeter à la mer, du haut de son bastion, ce dragon risible et son accoutrement militaire; mais sa mine désarmait toujours ma colère. Si j'avais eu le talent de Charlet, j'aurais passé mon temps à étudier mon gouverneur, excellent modèle de caricature. Au reste, je lui pardonnais son dévouement trop aveugle au salut de l'État. Il était bien naturel que ce pauvre homme, n'ayant d'autre distraction que celle de fumer son cigare en regardant la mer, profitât de l'occasion que je lui offrais de varier ses occupations. Je revins donc à Soller, riant de bon coeur d'avoir été pris pour un ennemi de la patrie et de la constitution» (Souvenirs d'un voyage d'art à l'île de Majorque, par J.-B. Laurens.)
II.
Majorque, que M. Laurens appelle Balearis Major, comme les Romains, que le roi des historiens majorquins, le docteur Juan Dameto, dit avoir été plus anciennement appelée Clumba ou Columba, se nomme réellement aujourd'hui par corruption Mallorca, et la capitale ne s'est jamais appelée Majorque, comme il a plu à plusieurs de nos géographes de l'établir, mais Palma.
Cette île est la plus grande et la plus fertile de l'archipel Baléare, vestige d'un continent dont la Méditerranée doit avoir envahi le bassin, et qui, ayant uni sans doute l'Espagne à l'Afrique, participe du climat et des productions de l'une et de l'autre. Elle est située à 25 lieues sud-est de Barcelone, à 45 du point le plus voisin de la côte africaine, et je crois à 95 ou 100 de la rade de Toulon. Sa surface est de 1,234 milles carrés2, son circuit de 143, sa plus grande extension de 54, et la moindre de 28. Sa population, qui, en l'année 1787, était de 136,000 individus, est aujourd'hui d'environ 160,000. La ville de Palma en contient 36,000, au lieu de 32,000 qu'elle comptait à cette époque.
Note 2: (retour) «Medida por el ayre. Cada milla de mil pasos geometricos y un paso de 5 pies geometricos.» (Miguel de Vargas, Descriciones de las islas Pilisusas y Baleares. Madrid, 1787.)
La température varie assez notablement suivant les diverses expositions. L'été est brûlant dans toute la plaine; mais la chaîne de montagnes qui s'étend du nord-est au sud-ouest (indiquant par cette direction son identité avec les territoires de l'Afrique et de l'Espagne, dont les points les plus rapprochés affectent cette inclinaison et correspondent à ses angles les plus saillants) influe beaucoup sur la température de l'hiver. Ainsi Miguel de Vargas rapporte qu'en rade de Palma, durant le terrible hiver de 1784, le thermomètre de Réaumur se trouva une seule fois à 6 degrés au-dessus de glace dans un jour de janvier; que d'autres jours il monta à 16, et que le plus souvent il se maintint à 11.—Or, cette température fut à peu près celle que nous eûmes dans un hiver ordinaire sur la montagne de Valdemosa, qui est réputée une des plus froides régions de l'île. Dans les nuits les plus rigoureuses, et lorsque nous avions deux pouces de neige, le thermomètre n'était qu'à 6 ou 7 degrés. A huit heures du matin, il était remonté à 9 ou 10, et à midi il s'élevait à 12 ou 14. Ordinairement, vers trois heures, c'est-à-dire après que le soleil était couché pour nous derrière les pics de montagnes qui nous entouraient, le thermomètre redescendait subitement à 9 et même à 8 degrés.
Les vents du nord y soufflent souvent avec fureur, et, dans certaines années, les pluies d'hiver tombent avec une abondance et une continuité dont nous n'avons en France aucune idée. En général, le climat est sain et généreux dans toute la partie méridionale qui s'abaisse vers l'Afrique, et que préservent de ces furieuses bourrasques du nord la Cordillère médiane et l'escarpement considérable des côtes septentrionales. Ainsi, le plan général de l'île est une surface inclinée du nord-ouest au sud-est, et la navigation, à peu près impossible au nord à cause des déchirures et des précipices de la côte, escarpada y horrorosa, sin abrigo ni resguardo (Miguel de Vargas), est facile et sûre au midi.
Malgré ses ouragans et ses aspérités, Majorque, à bon droit nommée par les anciens l'île dorée; est extrêmement fertile, et ses produits sont d'une qualité exquise. Le froment y est si pur et si beau, que les habitants l'exportent, et qu'on s'en sert exclusivement à Barcelone