Название | Discours de la méthode |
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Автор произведения | Рене Декарт |
Жанр | Математика |
Серия | |
Издательство | Математика |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088743 |
ÉLOGE
DE
RENÉ DESCARTES,
PAR THOMAS,
DISCOURS QUI A REMPORTÉ LE PRIX DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE EN 1765.
Lorsque les cendres de DESCARTES, né en France et mort en Suède, furent rapportées, seize ans après sa mort, de Stockholm à Paris; lorsque tous les savants, rassemblés dans un temple, rendoient à sa dépouille des honneurs qu'il n'obtint jamais pendant sa vie, et qu'un orateur se préparait à louer devant cette assemblée le grand homme qu'elle regrettait, tout-à-coup il vint un ordre qui défendit de prononcer cet éloge funèbre. Sans doute on pensoit alors que les grands seuls ont droit aux éloges publics; et l'on craignit de donner à la nation l'exemple dangereux d'honorer un homme qui n'avoit eu que le mérite et la distinction du génie. Je viens, après cent ans, prononcer cet éloge. Puisse-t-il être digne et de celui à qui il est offert, et des sages qui vont l'entendre! Peut-être au siècle de Descartes on étoit encore trop près de lui pour le bien louer. Le temps seul juge les philosophes comme les rois, et les met à leur place.
Le temps a détruit les opinions de Descartes, mais sa gloire subsiste. Il est semblable à ces rois détrônés qui, sur les ruines même de leur empire, paroissent nés pour commander aux hommes. Tant que la philosophie et la vérité seront quelque chose sur la terre, on honorera celui qui a jeté les fondements de nos connaissances, et recréé, pour ainsi dire, l'entendement humain. On louera Descartes par admiration, par reconnoissance, par intérêt même; car si la vérité est un bien, il faut encourager ceux qui la cherchent.
Ce seroit aux pieds de la statue de Newton qu'il faudroit prononcer l'éloge de Descartes; ou plutôt ce seroit à Newton à louer Descartes. Qui mieux que lui seroit capable de mesurer la carrière parcourue avant lui? Aussi simple qu'il étoit grand, Newton nous découvriroit toutes les pensées que les pensées de Descartes lui ont fait naître. Il y a des vérités stériles, et pour ainsi dire mortes, qui n'avancent de rien dans l'étude de la nature: il y a des erreurs de grands hommes qui deviennent fécondes en vérités. Après Descartes, on a été plus loin que lui; mais Descartes a frayé la route. Louons Magellan d'avoir fait le tour du globe; mais rendons justice à Colomb, qui le premier a soupçonné, a cherché, a trouvé un nouveau monde.
Tout dans cet ouvrage sera consacré à la philosophie et à la vertu. Peut-être y a-t-il des hommes dans ma nation qui ne me pardonneroient point l'éloge d'un philosophe vivant; mais Descartes est mort, et depuis cent quinze ans il n'est plus; je ne crains ni de blesser l'orgueil ni d'irriter l'envie.
Pour juger Descartes, pour voir ce que l'esprit d'un seul homme a ajouté à l'esprit humain, il faut voir le point d'où il est parti. Je peindrai donc l'état de la philosophie et des sciences au moment où naquit ce grand homme; je ferai voir comment la nature le forma, et comment elle prépara cette révolution qui a eu tant d'influence. Ensuite je ferai l'histoire de ses pensées. Ses erreurs mêmes auront je ne sais quoi de grand. Ou verra l'esprit humain, frappé d'une lumière nouvelle, se réveiller, s'agiter, et marcher sur ses pas. Le mouvement philosophique se communiquera d'un bout de l'Europe à l'autre. Cependant, au milieu de ce mouvement général, nous reviendrons sur Descartes; nous contemplerons l'homme en lui; nous chercherons si le génie donne des droits au bonheur; et nous finirons peut-être par répandre des larmes sur ceux qui, pour le bien de l'humanité et leur propre malheur, sont condamnés à être de grands hommes.
La philosophie, née dans l'Égypte, dans l'Inde et dans la Perse, avoit été en naissant presque aussi barbare que les hommes. Dans la Grèce, aussi féconde que hardie, elle avoit créé tous ces systèmes qui expliquoient l'univers, ou par le principe des éléments, ou par l'harmonie des nombres, ou par les idées éternelles, ou par des combinaisons de masses, de figures et de mouvements, ou par l'activité de la forme qui vient s'unir à la matière. Dans Alexandrie, et à la cour des rois, elle avoit perdu ce caractère original et ce principe de fécondité que lui avoit donné un pays libre. A Rome, parmi des maîtres et des esclaves, elle avoit été également stérile; elle s'y étoit occupée, ou à flatter la curiosité des princes, ou à lire dans les astres la chute des tyrans. Dans les premiers siècles de l'église, vouée aux enchantements et aux mystères, elle avoit cherché à lier commerce avec les puissances célestes ou infernales. Dans Constantinople, elle avoit tourné autour des idées des anciens Grecs, comme autour des bornes du monde. Chez les Arabes, chez ce peuple doublement esclave et par sa religion et par son gouvernement, elle avoit eu ce même caractère d'esclavage, bornée à commenter un homme, au lieu d'étudier la nature. Dans les siècles barbares de l'Occident, elle n'avoit été qu'un jargon absurde et insensé que consacroit le fanatisme et qu'adoroit la superstition. Enfin, à la renaissance des lettres, elle n'avoit profité de quelques lumières que pour se remettre par choix dans les chaînes d'Aristote. Ce philosophe, depuis plus de cinq siècles, combattu, proscrit, adoré, excommunié, et toujours vainqueur, dictoit aux nations ce qu'elles devoient croire; ses ouvrages étant plus connus, ses erreurs étoient plus respectées. On négligeoit pour lui l'univers; et les hommes, accoutumés depuis longtemps à se passer de l'évidence, croyoient tenir dans leurs mains les premiers principes des choses, parce que leur ignorance hardie prononçoit des mots obscurs et vagues qu'ils croyoient entendre.
Voilà les progrès que l'esprit humain avoit faits pendant trente siècles. On remarque, pendant cette longue révolution de temps, cinq ou six hommes qui ont pensé, et créé des idées; et le reste du monde a travaillé sur ces pensées, comme l'artisan, dans sa forge, travaille sur les métaux que lui fournit la mine. Il y a eu plusieurs siècles de suite où l'on n'a point avancé d'un pas vers la vérité; il y a eu des nations qui n'ont pas contribué d'une idée à la masse des idées générales. Du siècle d'Aristote à celui de Descartes, j'aperçois un vide de deux mille ans. Là, la pensée originale se perd, comme un fleuve qui meurt dans les sables, ou qui s'ensevelit sous terre, et qui ne reparoît qu'à mille lieues de là, sous de nouveaux cieux et sur une terre nouvelle. Quoi donc! y a-t-il pour l'esprit humain des temps de sommeil et de mort, comme il y en a de vie et d'activité? ou le don de penser par soi-même est-il réservé à un si petit nombre d'hommes? ou les grandes combinaisons d'idées sont-elles bornées par la nature, et s'épuisent-elles avec rapidité? Dans cet état de l'esprit humain, dans cet engourdissement général, il falloit un homme qui remontât l'espèce humaine, qui ajoutât de nouveaux ressorts à l'entendement, qui se ressaisît du don de penser, qui vît ce qui étoit fait, ce qui restoit à faire, et pourquoi les progrès avoient été suspendus tant de siècles; un homme qui eût assez d'audace pour renverser, assez de génie pour reconstruire, assez de sagesse pour poser des fondements sûrs, assez d'éclat pour éblouir son siècle et rompre l'enchantement des siècles passés; un homme qui étonnât par la grandeur de ses vues; un homme en état de rassembler tout ce que les sciences avoient imaginé ou découvert dans tous les siècles, et de réunir toutes ces forces dispersées pour en composer une seule force avec laquelle il remuât pour ainsi dire l'univers; un homme d'un génie actif, entreprenant, qui sût voir où personne ne voyoit, qui désignât le but et qui traçât la route, qui, seul et sans guide, franchît par-dessus les précipices un intervalle immense, et entraînât après lui le genre humain. Cet homme devoit être Descartes. Ce seroit sans doute un beau spectacle de voir comment la nature le prépara du loin et le forma; mais qui peut suivre la nature dans sa marche? Il y a sans doute une chaîne des pensées des hommes depuis l'origine du monde jusqu'à nous; chaîne qui n'est ni moins mystérieuse ni moins grande que celle des êtres physiques. Les siècles ont influé sur les siècles, les nations sur les nations, les vérités sur les erreurs, les erreurs sur les vérités. Tout se tient dans l'univers; mais qui pourrait tracer la ligne? On peut du moins entrevoir ce rapport général; on peut dire que, sans cette foule d'erreurs qui ont inondé le monde, Descartes peut-être n'eût point trouvé la route de la vérité. Ainsi chaque philosophe en s'égarant avançoit le terme. Mais, laissant là les temps