Au jeune royaume d'Albanie. Gabriel Louis Jaray

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Название Au jeune royaume d'Albanie
Автор произведения Gabriel Louis Jaray
Жанр Книги о Путешествиях
Серия
Издательство Книги о Путешествиях
Год выпуска 0
isbn 4064066088927



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assurer l'ouverture et la liberté du passage du canal d'Otrante à ses flottes.

      Dès lors, et malgré toutes les belles paroles, l'Italie et l'Autriche s'entendront toujours fort bien aussi longtemps qu'il ne s'agira que d'éloigner un tiers de Vallona et de l'Albanie, de pratiquer la politique de l'abstention, de s'assurer contre une non-intervention réciproque; mais elles ne sauraient s'entendre pour un partage de l'Albanie sans renoncer l'une ou l'autre à l'une des règles directrices de sa diplomatie; aussi, quand l'Autriche au cours de la crise balkanique forma le projet d'envoyer un corps d'occupation à Scutari, il a suffi d'une proposition italienne pour l'arrêter, et cette proposition était: l'adhésion de l'Italie, sous condition d'opérer de même à Vallona. En résumé, l'Italie ne saurait consentir à l'installation de l'Autriche à Vallona sans trahir ses intérêts essentiels; l'Autriche ne saurait consentir à la prise de possession de ce port par l'Italie sans livrer à la merci de cette dernière sa politique et ses forces maritimes; ce serait une lourde faute de la diplomatie du Ballplatz et une atteinte au prestige de la monarchie dualiste.

      Dès la constitution du royaume, les dirigeants de la Consulta ont très clairement vu ces vérités et ont eu dès lors comme principale préoccupation d'empêcher la possibilité d'une mainmise par l'Autriche sur ces régions, mainmise que préparait un travail de pénétration concertée. La Triple-Alliance fut conclue autant pour interdire une extension autrichienne en Albanie que pour se prémunir contre une attaque en Vénétie. Rome avait besoin de cette double assurance et par suite de cette alliance, aussi longtemps qu'elle ne se sentait pas plus armée et plus forte que sa voisine; elle maintient l'alliance; l'heure n'est donc pas venue où le royaume se croit capable de refouler et de conquérir, après avoir résisté et arrêté.

      La politique actuelle de l'Italie à l'égard de Vallona a été bien des fois définie avec une netteté parfaite; le professeur Baldacci, que nous avons déjà cité, écrit en 1912: «Notre formule est ceci: dans le cas où l'Albanie changerait de gouvernement, aucun autre pavillon que le pavillon albanais ne sera hissé sur la ville Shkipetare.» L'amiral Bettollo dans une interview à la même époque déclare: «En ce qui concerne Vallona, l'Italie ne pourrait jamais accepter qu'une grande puissance s'y vînt installer directement ou indirectement et encore moins qu'elle convertît cette position splendide en une vraie base d'opérations. Si Vallona devait un jour devenir cette base militaire, il n'y a que l'Italie qui pourrait être appelée à l'occuper; parce que, si Vallona était dans les mains d'une autre puissance maritime, l'efficacité des places de Tarente et de Brindisi serait considérablement diminuée, avec grand péril pour notre situation stratégique dans le canal d'Otrante.»

      C'est la politique permanente de l'Italie, politique qu'a exprimée en termes diplomatiques mais non moins nets, en mai 1904, M. Tittoni, ministre des Affaires étrangères, en s'exprimant ainsi: «L'Albanie n'a pas grande importance en elle-même; toute son importance tient dans ses côtes et ses ports, qui assureraient à l'Autriche et à l'Italie, dans le cas où une de ces deux puissances en serait maîtresse, la suprématie incontestée de l'Adriatique. Or, ni l'Italie ne peut consentir cette suprématie à l'Autriche, ni l'Autriche à l'Italie; aussi, dans le cas où une de ces deux puissances voudrait la conquérir, l'autre devrait s'y opposer de toutes ses forces. C'est la logique même de la situation.»

      Cette situation apparaît dans toute sa brutalité au voyageur qui a suivi les «échelles» des territoires dalmates, monténégrins et albanais et qui arrive dans cette baie splendide de Vallona que la nature a modelée pour abriter des flottes. Il est visible que cette rade est le plus bel enjeu de la partie albanaise et peut-être la pomme de discorde entre Italiens et Autrichiens; c'est en tout cas le Gibraltar de l'Adriatique.

       Table des matières

       Table des matières

      Durazzo || Les projets de voie ferrée || Le projet Durazzo-Monastir et son tracé || Les centres de population de l'Albanie indépendante || La question de la monnaie et du change || L'urgence et l'intérêt d'une réforme monétaire.

      Vallona, à cause de son importance stratégique même, est resté le seul port d'Albanie que ni Monténégrins, ni Grecs, ni Serbes n'ont occupé; quand les Grecs ont fait mine de mettre la main sur l'île de Sasseno, ils ont vite été rappelés à l'ordre par une double injonction de l'Italie et de l'Autriche.

      A Durazzo, au contraire, les Serbes ont poussé une avant-garde venue de Monastir par la vallée du Scoumbi; ces troupes ont occupé quelque temps le pays, puis ont dû se retirer, laissant aux autorités locales établies avant elles le soin de garder la ville. C'est avec un cuisant regret qu'elles ont quitté ce centre commercial de l'Albanie, devenu la capitale du nouveau royaume.

      Durazzo est une très vieille cité, où les Romains avaient déjà un établissement important que rappellent les ruines d'un vieux château qui dresse ses pierres effritées au sommet de la colline, sur les flancs de laquelle la ville est construite en amphithéâtre.

      Une éminence de 200 mètres à peine, reste et témoin d'une ancienne chaîne, interrompt les monotones bancs d'alluvions qui caractérisent la côte albanaise d'Antivari à Vallona; au sud de cette croupe montagneuse, sur une baie largement ouverte, Durazzo s'est étendue vers l'est en se protégeant le plus possible contre les vents du large derrière la colline où elle s'appuie. Elle allonge, en profondeur en quelque sorte, ses maisons blanches et les minarets de ses mosquées qui ressortent sur le fond vert des hauteurs.

      C'est une cité d'une dizaine de mille âmes, entièrement albanaise, à la seule exception de quelques éléments hétérogènes turcs, grecs ou italiens; là, tous les navires font escale, car Durazzo est le lieu d'échange entre les produits de l'étranger et ceux des plus importantes villes de l'intérieur de l'Albanie; Tirana, Kroia, El-Bassam, jadis Okrida, avant sa séparation de l'Albanie, les fertiles vallées de Dibra et de Cavaja, c'est-à-dire les régions les plus peuplées, les plus prospères et les plus cultivées de l'Albanie trouvent ici leur débouché et leur marché; les produits de la basse-cour (les volailles et les oeufs), les produits de l'élevage (les peaux et la laine) sont vendus ici aux comptoirs et aux marchands qui font commerce avec Bari et surtout avec Trieste.

      La situation géographique de Durazzo, placée au centre de la côte albanaise et au débouché des vallées du Scoumbi et de l'Arzeu, protégée contre leurs alluvions par deux pointes montagneuses, en relation directe avec l'intérieur de l'Albanie, explique que dès l'antiquité ce lieu ait été choisi comme point de départ d'une des grandes voies de communication de l'Empire romain, dont il demeure encore aujourd'hui des traces importantes. Une des roules militaires les plus connues du monde ancien, la via Ignalia si souvent parcourue par les légions romaines qui se rendaient du Latium à Byzance, partait de Durazzo (Dirakium), passait à Cavaja, rencontrait à Pekinj (Claudiopolis) la branche qui venait de Vallona (alors Appolonia); elle suivait au delà de Pekinj la vallée du Scoumbi. On retrouve des restes de l'antique route à partir de Cavaja, des murs de soutènement, de petits ponts à tabliers horizontaux, notamment dans la gorge entre Cavaja et Pekinj. La via Ignalia gagnait ensuite El-Bassam; puis on perd sa trace et on ne sait si elle suivait la vallée ou coupait la montagne; en tout cas, elle atteignait Liquedemus, sur le lac d'Okrida; ce n'est pas, comme on le dit souvent, la ville actuelle d'Okrida, mais le village d'Eichlin, dénommé Lin sur la carte autrichienne; de là elle parvenait, par la rive ouest du lac d'Okrida, à Kastoria, Salonique, Sérès et Byzance.

      Cette route de Durazzo au lac d'Okrida est si bien définie par la nature que c'est elle qu'ont toujours suivie les voyageurs comme les armées; pour ne citer que quelques exemples récents, je mentionnerai M. Victor Bérard, il y a quelque quinze ans, et M. Mowrer, le correspondant du Chicago Daily News, en 1913, et c'est par cette voie que l'armée turque de Djavid