Le destructeur de l'Amazonie. Alberto Vazquez-Figueroa

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Название Le destructeur de l'Amazonie
Автор произведения Alberto Vazquez-Figueroa
Жанр Языкознание
Серия Novelas
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 9788418263538



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Ceci est une terre violente qui est en ce moment plus troublée que jamais et dans laquelle si vous dites ce que vous pensez, vous risquez de vous faire descendre. Vous me payez très bien, trop bien à mon avis! mais je vous prierai de vous contenter de me poser des questions sur les rivières, les jungles et les insectes, et de ne pas me causer de problèmes.

      –Très bien… –accepta-t-elle sur un ton qui semblait indiquer qu’elle n’en resterait pas là–. Répondez-moi à une autre question qui, je suppose, ne vous posera aucun problème. Pourquoi votre bateau s’appelle-t-il « Kubichek IVº » ?

      –Parce que Juscelino Kubichek fut le meilleur président que le Brésil n’ait jamais eu, et l’un des meilleurs que le monde ait eu. Il était humain, simple, honnête, travailleur et avec une grande vision de l’avenir puisqu’il fut le fondateur de Brasilia –il fit une longue pause avant d’ajouter, sachant qu’il allait surprendre ses interlocuteurs–: Et il était gitan.

      –Vraiment ?

      –Authentique.

      –Première nouvelle.

      –C’est le seul président de race gitane dans l’histoire de l’humanité.

      –Mais il était brésilien –intervint Bernardo Aicardi–. Et d’après ce que je sais au Brésil il n’y a pas beaucoup de gitans.

      –C ‘est vrai –admit son interlocuteur–. Et c’est dommage car peut-être d’autres Juscelinos seraient apparus. Il est né à Minas Gerais parce que sa famille a fui l’Europe centrale, je pense la Tchécoslovaquie, lorsque les nazis ont décidé d’exterminer les Juifs et les Tsiganes. Apparemment, ils sont montés sur un bateau croyant aller aux États-Unis et le destin voulut qu’ils accostent ici, ce qui fut une chance. Mon fils aîné s’appelle comme lui.

      –Combien d’enfants avez-vous ? –voulut savoir Violeta.

      –Et qu’est-que ça a à voir avec le fait que je sache vous conduire où diable vous voulez aller ?

      Le neveu de Mgr Guido Aicardi ne put s’empêcher de sourire quand il remarqua l’expression sur le visage de celle que tout le monde considérait sa maîtresse, car pour la première fois il l’avait vue désorientée

      –Il a raison –fit-il remarquer–. Cela n’a rien à voir !

      –Ne t’inquiète pas !

      –Mais tu le harcèles ?

      –Depuis quand s’intéresser au nombre d’enfants d’une personne c’est la harceler ?

      –Depuis que tu as passé tout le dîner à lui casser les pieds en lui posant des questions sur tout et rien –il remarqua que le capitaine se sentait gêné par ses paroles et il leva la main, conciliant:

      –Ne vous inquiétez pas –ajouta-t-il–. Elle utilise généralement un langage beaucoup plus vulgaire mais elle n’a pas encore assez de confiance.

      –Eh bien, j’espère qu’elle ne l’aura jamais –répondit le Brésilien en se levant–. Et maintenant je vous prie de m’excuser car je dois trouver un endroit pour passer la nuit sans que les « fogueiros » nous canardent ou que les indigènes nous tirent des flèches.

      Dès qu’il eut disparu Bernardo Aicardi commenta :

      –Il me plait bien ce gars.

      –A moi aussi.

      –Mais j’ai l’impression qu’il te plaît un peu trop.

      –Si avec ton esprit tordu tu veux insinuer que je voudrais coucher avec lui, tu te mets le doigt dans l’œil. Le lit est l’endroit où on enterre les amitiés et j’ai toujours préféré être amie qu’amante.

      –Je le sais par expérience.

      –Je suis contente que les choses soient claires. Quand allons-nous lui dire ce que nous voulons vraiment ?

      –Il n’est pas encore prêt.

      –Peut-être, mais je pense qu’il commence à se demander pourquoi une paire de connards comme nous dépense une fortune pour une croisière à travers l’Amazonie, quand il est clair que nous ne sommes ni zoologistes, botanistes, photographes ou naturalistes.

      –Le côté positif d’être pris pour un connard, et je te rappelle que c’est un rôle que je joue depuis des années, c’est que les gens acceptent généralement tes conneries sans poser de questions.

      ***

      La nuit était tombée et ils continuaient à boire, à prendre de la drogue et à se servir dans un chaudron qu’ils avaient suspendu au-dessus d’un feu allumé au centre de la maison communale. Ils réchauffaient des haricots de conserve, de sorte que la puanteur forçait Kapoar à détourner le visage.

      Le métis qui occupait le hamac de son grand-père dormait complètement ivre et un autre était appuyé contre un poteau, la poitrine couverte de vomissures.

      Comme son père l’assurait, les « fogueiros » étaient le dernier maillon de l’espèce humaine qui pouvait se comparer à un parent éloigné des fourmiliers.

      –En tenant compte que les fourmiliers ne se saoulent pas et ne se droguent pas... –avait-il ajouté avec un sourire.

      –Et pourquoi le font-ils ?

      –Peut-être pour oublier qu’ils sont des « fogueiros ».

      C’était sans aucun doute une réponse valable car lorsqu’un homme, qu’il soit blanc, noir, mulâtre ou métisse a vu un paradis transformé en un terrain vague de cendres fumantes par sa faute, il a l’obligation de sentir des remords.

      Il était possible de comprendre qu’un certain type d’êtres humains déteste d’autres êtres humains au point de vouloir les anéantir, d’autres pouvaient détester les animaux ou bien la nature, mais il ne fallait pas avoir d’âme pour allumer une torche et mettre le feu à la jungle.

      Pourtant les torches étaient là, attendant l’aube, car les « fogueiros » avaient l’ordre de laisser passer une journée entre le moment où ils vidaient un village et celui où ils commençaient leur travail.

      Le président Bolsonaro n’aimait pas qu’apparaissent des cadavres d’enfants calcinés.

      Ce n’était pas une bonne publicité.

      À son avis, les tribus autochtones étaient un fardeau qui pesait sur l’avenir du Brésil, mais c’était un fardeau qui devait être éliminé sans trop de scandale.

      Kapoar le savait, car le père Rufino, qui visitait la ville deux ou trois fois par an, les tenait au courant de ce qui se préparait contre eux dans les somptueux manoirs des éleveurs, des propriétaires fonciers et des exploitants forestiers.

      –Jusqu’à récemment, vous aviez ces trois ennemis, mais maintenant il y en a quatre et le dernier est le plus dangereux car il est soutenu par les autres.

      –Et nous qui nous soutient ?

      –Jésus Christ.

      –Pour le moment, il est en train de perdre la bataille.

      –À long terme, il gagne toujours.

      –Mais à long terme, il ne restera plus rien de nos forêts et de nos champs –se lamenta une femme portant un enfant sur le dos–. Une bataille dans laquelle des innocents meurent est toujours une bataille perdue.

      Le père Rufino ne sembla pas surpris par le bon sens de la réponse car il connaissait les « ahúnas » depuis longtemps et savait mieux que quiconque qu’ils constituaient une communauté étonnamment sensée.

      La meilleure preuve était qu’ils n’avaient jamais été séduits par les avantages supposés de la civilisation, ils refusaient de boire de l’alcool, d’utiliser des armes à feu ou d’accepter de l’argent, mais surtout, ils refusaient