Tu Sens Battre Mon Coeur ?. Andrea Calo'

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Название Tu Sens Battre Mon Coeur ?
Автор произведения Andrea Calo'
Жанр Воспитание детей
Серия
Издательство Воспитание детей
Год выпуска 0
isbn 9788835406402



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vous Cindy. Moi je suis plus âgée, j’ai trente-cinq ans. »

      J’ai sursauté quand je me suis rendu compte que j’avais accidentellement livré un détail de ma vie, que je n’avais aucune intention de partager avec les autres. Je lui avais dit mon âge, lui confiant une boîte qui contenait mon existence, même la partie que j’avais si difficilement tenté d’oublier.

      « Bien, on est presque de la même génération alors.

      — Pas vraiment. On a dix ans de différence.

      — Ça ne veut rien dire ! On est de la même génération. Celle des Beatles, d’Elvis, des jeans et des chemises ouvertes, de la brillantine dans les cheveux et des Cadillac ! Tu as entendu “A hard day’s night”, la nouvelle chanson des Beatles ?

      — Bien sûr que je l’ai entendue ! J’adore les Beatles, je lui ai confié, surprise de nouveau.

      — Moi aussi je les adore ! Et ils sont trop beaux en plus. Mon Dieu, je me les ferais bien ! s’est-elle exclamée avant de se mettre à chantonner la mélodie d’un ton juste. Mel, tutoie-moi allez ! Je ne vais pas te manger, ne t’inquiète pas. »

      J’ai réfléchi trop longtemps, comme si le choix à faire, accepter ou non sa proposition, était une question de vie ou de mort. C’était pourtant quelque chose de banal pour une personne “normale”, une décision instinctive. L’instinct qui guide les animaux, mais que je n’avais jamais cultivé. Cindy m’a regardée, attendant ma réponse. Mon silence et ma réticence l’avaient un peu désorientée.

      « D’accord. » Je lui ai souri, comme pour la récompenser de son attente, en réponse aux mille questions qui lui avaient peut-être traversé l’esprit en ce moment. J’avais peut-être attendu que ce soit elle qui le demande, qu’elle fasse sauter le coffre-fort où je m’étais enfermée, seule, m’apportant de l’oxygène et peut-être un souffle de vie. Peut-être que Cindy me prenait pour une folle, une personne qui avait urgemment besoin d’aide. Et elle aurait eu raison.

      « Tu vas où ? »

      Question inopportune et à la réponse compliquée pour moi. Mais j’étais déjà compromise. Une confession de plus n’aurait pas sali mon image plus qu’elle ne l’était. Le cours de mon destin n’en serait pas modifié. Toutefois, j’ai gardé une certaine réserve quand j’ai répondu.

      « Je vais à Cleveland.

      — À Cleveland ! Mais c’est génial ! Je suis de Cleveland, je retourne chez moi ! »

      Ce fut comme si un rouleau compresseur me passait dessus, une de ces machines infernales utilisées pour étaler l’asphalte sur les routes et qui rendent le goudron lisse et doux comme une plaque de verre. Mais c’était moi le goudron étalé et écrasé.

      « Ah ! » Ce fut le seul son que mes cordes vocales pétrifiées purent produire.

      « Et tu loges où ? »

      Et voilà, une nouvelle brèche s’ouvrait dans le gouffre déjà sanglant. Qu’est-ce que je pouvais répondre ? Que je n’avais pas de but précis ? Que je n’avais nulle part où aller en réalité mais que je parcourrais les rues comme une clocharde qui cherche un endroit bon marché pour dormir ? Voilà une idée ! Je pourrais lui dire que je ne resterais à Cleveland qu’un court laps de temps, que je n’étais que de passage ! Je pourrais ainsi me sortir du pétrin et lui échapper à tout moment, pour récupérer ma vie ! Ma vie ! Oui, mais quelle vie ? En avais-je vraiment une ?

      « Dans un hôtel. Je suis juste de passage, je ne resterai que quelques jours », ai-je répondu, fière d’avoir pris la bonne direction pour la première fois, d’avoir décidé seule quoi faire. C’était une sensation nouvelle pour moi, terriblement puissante, prodigieuse, une avalanche d’énergie.

      « Oh, je comprends. Quelques jours. Bien, alors tu peux rester chez moi, à la maison !

      — Il ne manquerait plus que ça ! Je ne veux être un poids pour personne moi. Merci pour ton offre mais je ne peux vraiment pas accepter, désolée.

      — Mais un poids pour qui, Mel ! On est comme ça dans l’Ohio ! Ne refuse pas notre hospitalité.

      — On est un peu différents en Virginie-Occidentale.

      — En Virginie-Occidentale ! Tu viens de là ? De quelle ville ? »

      Ma vie était désormais du domaine public. Même le vieux monsieur avait baissé son journal pour voir le visage de cette fugitive dont les mots emplissaient l’air de cet endroit exigu. Sans défenses, j’ai aussi craché cette information.

      « Cool !

      — Qu’est-ce que ça veut dire “cool” ? »

      — Ça veut dire “super”, “terrible” ! Mais tu vis où ? Tu n’as jamais entendu ce mot ? »

      Je lui ai menti en lui disant que je l’avais entendu mais que je ne l’avais jamais fait entrer dans mon répertoire et que je m’étais désintéressée de sa signification. En réalité, je connaissais très bien le sens de ce mot utilisé surtout par les adolescents. Ce que je ne comprenais pas, c’était ce qu’elle trouvait de “cool” dans ce que je disais. Pourquoi cette fille arrivait à trouver du bien et du beau dans des choses, des pays ou des situations que j’avais toujours détestés ? Je commençais à penser que rester un peu avec elle me ferait du bien. Peut-être que j’apprendrais à vivre un peu, volant des leçons de vie gratuites à une fille plus jeune que moi, comme un parasite social. Peut-être qu’elle savait vraiment comme vivre dans le monde, ce monde dont nous faisions toutes deux parties, avec nos innombrables différences.

      « Et toi, tu vis où ? ai-je demandé.

      — Au bord du lac Erie. C’est un endroit très beau, surtout le soir quand les bruits de la ville s’atténuent et que tu n’entends plus que ceux du lac. Ma maison lui fait vraiment face et tu peux profiter de magnifiques couchers de soleil très colorés depuis le jardin. Tu aimeras, tu verras. Et je vis seule, personne ne nous dérangera ! » a-t-elle conclu avec un sourire malicieux que j’avais vu chez quelques jeunes d’une quinzaine d’années victimes de leurs premiers bouleversements hormonaux.

      Je lui ai souri, et confirmé ainsi que j’acceptais son invitation. Je la dédommagerais d’une façon ou l’autre, je partagerais avec elle les frais de nourriture et de logement, je travaillerais et c’est tout. À ce moment-là, je pensais qu’il ne s’agirait que d’un bref séjour, que je chercherais un endroit à moi et que je verrais mon amie à l’occasion, chaque fois que ce serait nécessaire. Mon amie ! C’était tellement étrange à dire, et irréel à entendre. Mais je me trompais, car j’ai passé une bonne partie de ma vie dans cette maison sur le lac Erie. En un seul jour, j’avais gagné deux choses rien qu’à moi, une amie et une vie. Et tout ça, grâce ou à cause de Cindy, de sa présence insolente qui avait abattu tous mes murs, toute trace de désir de solitude. D’une présence de taille qui m’apportait aujourd’hui de la sécurité, comme l’amour d’une mère ou les bras d’une sœur que je n’avais jamais eue. De sa façon violente d’être entrée dans ma vie avec ses mots, son regard, toute son énergie et son chewing-gum. Je lui ai demandé si elle en avait un pour moi et elle m’en a offert. Je mâchais un chewing-gum pour la première fois de ma vie, au goût de fraise.

      4.

      Quand j’ai quitté mon emploi d’infirmière au bout de huit ans d’activité, mes collègues m’ont organisé une fête surprise. Les médecins participèrent aussi, chacun leur tour pour ne pas laisser vide le service de soins aux malades hospitalisés. Elle dura environ une heure, soixante minutes de brouhaha et de joie que d’autres vivaient à ma place. Ils m’avaient sortie de ma léthargie, me plaçant pour la première fois au centre d’un cercle, rendant mon départ encore plus compliqué. Avec les années, j’avais compris que les gens organisent une fête en ton honneur parce que, en fin de compte, ils éprouvent une certaine affection pour toi. Ils appellent ça de l’amitié. J’avais