Название | Пампушка = Boule de Suif |
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Автор произведения | Ги де Мопассан |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | Видання з паралельним текстом |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 1880 |
isbn |
Le cocher, enveloppé dans sa peau de mouton, grillait une pipe sur le siège, et tous les voyageurs radieux faisaient rapidement empaqueter des provisions pour le reste du voyage.
On n’attendait plus que Boule de Suif. Elle parut.
Elle semblait un peu troublée, honteuse ; et elle s’avança timidement vers ses compagnons, qui, tous, d’un même mouvement, se détournèrent comme s’ils ne l’avaient pas aperçue. Le comte prit avec dignité le bras de sa femme et l’éloigna de ce contact impur.
La grosse fille s’arrêta, stupéfaite ; alors, ramassant tout son courage, elle aborda la femme du manufacturier d’un « bonjour, madame » humblement murmuré. L’autre fit de la tête seule un petit salut impertinent qu’elle accompagna d’un regard de vertu outragée. Tout le monde semblait affairé, et l’on se tenait loin d’elle comme si elle eût apporté une infection dans ses jupes. Puis on se précipita vers la voiture, où elle arriva seule, la dernière, et reprit en silence la place qu’elle avait occupée pendant la première partie de la route.
On semblait ne pas la voir, ne pas la connaître ; mais Mme Loiseau, la considérant de loin avec indignation, dit à mi-voix à son mari : « Heureusement que je ne suis pas à côté d’elle. »
La lourde voiture s’ébranla, et le voyage recommença.
On ne parla point d’abord. Boule de Suif n’osait pas lever les yeux. Elle se sentait en même temps indignée contre tous ses voisins, et humiliée d’avoir cédé, souillée par les baisers de ce Prussien entre les bras duquel on l’avait hypocritement jetée.
Mais la comtesse, se tournant vers Mme Carré-Lamadon, rompit bientôt ce pénible silence.
« Vous connaissez, je crois, Mme d’Étrelles ?
– Oui, c’est une de mes amies.
– Quelle charmante femme !
– Ravissante ! Une vraie nature d’élite, fort instruite d’ailleurs, et artiste jusqu’au bout des doigts ; elle chante à ravir et dessine dans la perfection. »
Le manufacturier causait avec le comte, et au milieu du fracas des vitres un mot parfois jaillissait : « Coupon – échéance – prime – à terme. »
Loiseau, qui avait chipé le vieux jeu de cartes de l’auberge engraissé par cinq ans de frottement sur les tables mal essuyées, attaqua un bésigue avec sa femme.
Les bonnes sœurs prirent à leur ceinture le long rosaire qui pendait, firent ensemble le signe de la croix, et tout à coup leurs lèvres se mirent à remuer vivement, se hâtant de plus en plus, précipitant leur vague murmure comme pour une course d’Oremus, et de temps en temps elles baisaient une médaille, se signaient de nouveau, puis recommençaient leur marmottement rapide et continu.
Cornudet songeait, immobile.
Au bout de trois heures de route, Loiseau ramassa ses cartes : « Il fait faim », dit-il.
Alors sa femme atteignit un paquet ficelé d’où elle fit sortir un morceau de veau froid. Elle le découpa proprement par tranches minces et fermes, et tous deux se mirent à manger.
« Si nous en faisions autant », dit la comtesse. On y consentit et elle déballa les provisions préparées pour les deux ménages. C’était, dans un de ces vases allongés dont le couvercle porte un lièvre en faïence, pour indiquer qu’un lièvre en pâté gît au-dessous, une charcuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier, mêlée à d’autres viandes hachées fin. Un beau carré de gruyère, apporté dans un journal, gardait imprimé : « faits divers » sur sa pâte onctueuse.
Les deux bonnes sœurs développèrent un rond de saucisson qui sentait l’ail ; et Cornudet, plongeant les deux mains en même temps dans les vastes poches de son paletot sac, tira de l’une quatre œufs durs et de l’autre le croûton d’un pain. Il détacha la coque, la jeta sous ses pieds dans la paille et se mit à mordre à même les œufs, faisant tomber sur sa vaste barbe des parcelles de jaune clair qui semblaient, là-dedans, des étoiles.
Boule de Suif, dans la hâte et l’effarement de son lever, n’avait pu songer à rien ; et elle regardait exaspérée, suffoquant de rage, tous ces gens qui mangeaient placidement. Une colère tumultueuse la crispa d’abord et elle ouvrit la bouche pour leur crier leur fait avec un flot d’injures qui lui montait aux lèvres ; mais elle ne pouvait pas parler tant l’exaspération l’étranglait.
Personne ne la regardait, ne songeait à elle. Elle se sentait noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes qui l’avaient sacrifiée d’abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile. Alors elle songea à son grand panier tout plein de bonnes choses qu’ils avaient goulûment dévorées, à ses deux poulets luisants de gelée, à ses pâtés, à ses poires, à ses quatre bouteilles de bordeaux ; et sa fureur tombant soudain comme une corde trop tendue qui casse, elle se sentit prête à pleurer. Elle fit des efforts terribles, se raidit, avala ses sanglots comme les enfants, mais les pleurs montaient, luisaient au bord de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes se détachant des yeux roulèrent lentement sur ses joues. D’autres les suivirent plus rapides, coulant comme les gouttes d’eau qui filtrent d’une roche, et tombant régulièrement sur la courbe rebondie de sa poitrine. Elle restait droite, le regard fixe, la face rigide et pâle, espérant qu’on ne la verrait pas.
Mais la comtesse s’en aperçut et prévint son mari d’un signe. Il haussa les épaules comme pour dire : « Que voulez-vous, ce n’est pas ma faute. » Mme Loiseau eut un rire muet de triomphe et murmura : « Elle pleure sa honte. »
Les deux bonnes sœurs s’étaient remises à prier, après avoir roulé dans un papier le reste de leur saucisson.
Alors Cornudet, qui digérait ses œufs, étendit ses longues jambes sous la banquette d’en face, se renversa, croisa ses bras, sourit comme un homme qui vient de trouver une bonne farce, et se mit à siffloter La Marseillaise.
Toutes les figures se rembrunirent. Le chant populaire, assurément, ne plaisait point à ses voisins. Ils devinrent nerveux, agacés, et avaient l’air prêts à hurler comme des chiens qui entendent un orgue de barbarie.
Il s’en aperçut, ne s’arrêta plus. Parfois même il fredonnait les paroles :
Amour sacré de la patrie,
Conduis, soutiens, nos bras vengeurs,
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !
On fuyait plus vite, la neige étant plus dure ; et jusqu’à Dieppe, pendant les longues heures mornes du voyage, à travers les cahots du chemin, par la nuit tombante, puis dans l’obscurité profonde de la voiture, il continua, avec une obstination féroce, son sifflement vengeur et monotone, contraignant les esprits las et exaspérés à suivre le chant d’un bout à l’autre, à se rappeler chaque parole qu’ils appliquaient sur chaque mesure.
Et Boule de Suif pleurait toujours ; et parfois un sanglot qu’elle n’avait pu retenir passait, entre deux couplets, dans les ténèbres.
Пампушка
Кілька днів поспіль містом проходили недобитки армії. Це вже було не військо, а якісь безладні ватаги. Солдати, з довгими брудними бородами, в лахмітті замість мундирів, сунули млявою ходою, без прапорів, розбродом. Вони були знеможені, виснажені, нездатні ні думати, ні діяти і йшли тільки