Correspondance, 1812-1876. Tome 4. Жорж Санд

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Название Correspondance, 1812-1876. Tome 4
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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lieu où nous sommes est si beau, si étrange, si curieux, si sublime et si joli en même temps, que j'en aurai pour toute une saison à te raconter. Réjouis-toi donc de notre fortune présente; car nous sommes enfin payés de nos fatigues et de nos déceptions, payés avec usure. Tu peux lire ma lettre à Solange. Tu sauras comment nous sommes campés; mais nos promenades, rien ne peut en donner l'idée. C'est à chaque pas une découverte. Aujourd'hui, par exemple, nous avons passé la journée dans un immense palais entièrement abandonné au haut d'une colline. J'ai pensé à toi, mon petit Lambert.

      Ah! qu'on serait heureux d'être riche et d'associer tous ses enfants aux vrais plaisirs que l'on rencontre. Que de souterrains, que de fleurs, que de ruisseaux, de cascades, d'arbres monstrueux, de ruines, de cours abandonnées, de rocailles brisées, de statues sans nez, d'herbes folles, de mosaïques couvertes de gazon et d'asphodèles! C'est à en rêver; et des galeries et des escaliers sans fin qui s'en vont du ciel au fond de la terre, un tas de constructions inexplicables, les vestiges d'un luxe insensé ensevelis sous la misère; et tout cela au sommet d'un panorama de montagnes, de terres, de mers à donner le vertige. C'est trop beau.

      Sur ce, bonsoir, mon Lambert; nous pensons rester ici une quinzaine, et, quand nous serons décidés sur la suite du voyage, nous te donnerons de nos nouvelles. Je t'embrasse de la part des petits camarades et de la mienne. Au revoir au mois de mai.

      Pense à nous.

      G. SAND.

      CCCXC

      A M. JULES NÉRAUD, A LA CHÂTRE

      Frascati, 14 avril 1855

      Cher ami,

      Nous sommes à Frascati depuis quinze jours et voulons y rester encore une semaine. Maurice, après avoir été assez souffrant au début de notre installation, va si bien, qu'il ne songe qu'à manger, dormir et courir. Je suis ce régime pour mon compte et je m'en trouve assez bien, physiquement parlant. Quant au cerveau, c'est une atrophie complète. Se lever matin, faire cinq ou six lieues à pied tous les jours, rentrer affamée, tomber de sommeil après un affreux dîner de gargote que l'appétit fait trouver bon, je vous laisse à penser si c'est là une vie intéressante. Pourtant j'amasse, sans trop m'en apercevoir, des souvenirs qui m'intéresseront plus tard, quand j'aurai le loisir de songer à ce qui ne fait que passer devant moi maintenant.

      C'est un admirable pays que nous parcourons, et bien digne de remarque pour s'ancrer dans les opinions qu'on y apporte d'ailleurs. La nature y est belle, surtout jolie; car ne croyez pas un mot de la grandeur et de la sublimité des aspects de Rome et de ses environs. Pour qui a vu autre chose, c'est tout petit; mais c'est d'un coquet ravissant. Entendons-nous pourtant, c'est le petit dans le grand; car cette campagne romaine, tout unie, est immense comme une mer environnée de montagnes. Mais les détails, les ruines, les palais, les églises, les collines, les lacs, les jardins, tout cela paraît hors de proportion avec la scène qui les continue.

      Pour nous autres, c'est une manière de vivre très récréative, que de courir toute la journée dans la solitude et de découvrir nous-mêmes le pays. Les guides sont ennuyeux et ne connaissent pas les chemins. Nous nous en passons. Enfin vous pouvez vous figurer notre existence, vous qui savez tout ce qu'il y a pour nous dans une promenade à Crevant ou au bois de Boulaize. Maintenant nous ramassons des plantes et nous attrapons des papillons sur les ruines de Tusculum, autour du lac Régille, que sais-je? Les noms sont plus pompeux que les choses, mais les choses sont charmantes, voilà ce qui est certain.

      Nous avons eu un temps affreux pour l'Italie, beaucoup de pluie dehors et beaucoup de froid à la maison; car la température extérieure, quelque privée de soleil qu'elle soit, est toujours assez douce, et les appartements seuls sont inhabitables en cette saison. Ils sont immenses, voûtés, stuqués, peints à fresque, disposés en tout pour l'été. Rien ne ferme et le peu de cheminée qu'on a ne sait pas chauffer. Depuis trois jours seulement, nous avons un beau soleil, du matin au soir; mais nous avons couru par tous les temps.

      Le jour de Pâques a été aussi un beau jour très chaud; nous l'avons passé à Rome, où nous avons reçu la bénédiction urbi et orbi. C'est une cérémonie très vantée, mais qui n'est pas mise en scène avec art. Le goût français manque à toute chose, ici comme ailleurs. La nature s'en moque. Elle nous prodigue les fleurs que l'on cultive dans nos jardins avec respect. Ici, en plein désert, on marche sur le réséda, sur les narcisses, sur les cyclamens et mille autre fleurs adorables dont je vous fais grâce, à vous qui ne connaissez que les tulipes.

      Et puis je ne veux pas vous raconter d'avance tout ce dont nous bavarderons à satiété à Nohant; car, ici, tout est différent, depuis a jusqu'à z, de ce qui est chez nous. Hommes et bêtes, coutumes, idées, besoins, terre, plantes, air, c'est un autre monde. Je ne sens pas la puissance de séduction de ce pays autant qu'on me l'avait annoncé. Trop de choses sont en désaccord avec notre manière de voir et de sentir; mais je reconnais qu'il est bon de l'avoir vu, ne fût-ce que pour aimer davantage cette douce France au ciel gris, où les hommes, si peu hommes qu'ils soient, sont encore plus hommes que partout ailleurs.

      Sur ce, bonsoir, mon vieux. Je tombe de sommeil. J'ai reçu, ce soir, votre lettre du 4 avril. Vous vous étonnez du temps qu'elles mettent à voyager, les lettres! Ah bien, je m'étonne, moi, du contraire, à présent que je vois comment sont arrangées ici les choses les plus simples de la vie matérielle. Ne vous désolez pas de la perte de l'aigle13. Je le regrette sans doute; mais, quand on reçoit des nouvelles de tout son monde, après les malheurs qui nous ont frappés dans notre nid, on s'estime heureux de n'avoir perdu de nouveau qu'une bestiole de la ménagerie…

      Nous vous chargeons de toutes nos amitiés pour la maisonnée. Quant à nos amis, à qui vous voulez bien donner de nos nouvelles, je vous remercie encore plus. J'ai toujours le projet d'écrire à tous, et je n'ai pas trouvé encore un jour de lucidité, au milieu de cette fatigue où je me jette. Elle est véritablement excessive; mais je crois que je m'en trouverai bien; car je fais des progrès étonnants dans l'art de grimper. Je vais tous les jours à une lieue, au moins, et souvent à une lieue et demie au-dessus de la mer. C'est quelque chose, au bout des jambes. Maurice recueille beaucoup d'insectes et fait beaucoup de dessins. Moi, j'allège ma démarche, déjà peu légère, d'un tas de pierres dont je remplis ma sacoche. Je voudrais tout ramasser; tout est curieux. En quelque désert qu'on se trouve, on marche sur des fragments de marbre d'Asie et d'Afrique, restes d'une splendeur disparue, et dont, en bien des endroits, les plus savants antiquaires sont embarrassés d'expliquer la présence.

      Bonsoir encore, mon bonhomme. Écrivez encore à Gênes, si vous écrivez; car c'est toujours par là que nous repasserons vers la fin du mois. A vous de coeur.

      CCCXCI

      A M. ERNEST PÉRIGOIS, A LA CHÂTRE

      La Spezzia, 9 mai 1855.

      Cher ami,

      Je ne sais pas si vous recevrez ma lettre avant mon embrassade; car je viens seulement de recevoir la vôtre et la douloureuse nouvelle qu'elle m'apporte14. Certainement, c'est un coup bien sensible qui vient encore me frapper, après tant d'autres. Sommes-nous malheureux depuis quelques années, mes pauvres enfants! La vie générale tuée en nous et autour de nous, Dieu aurait dû nous laisser au moins la vie personnelle, celle de la famille et de l'amitié. Et cependant tout nous quitte à la fois! C'est pour un monde meilleur qu'ils s'en vont, je n'en doute pas, j'en doute moins que jamais; mais que toutes ces séparations sont navrantes pour ceux qui restent!

      J'étais tout à l'heure au bord de la mer, dans un endroit délicieux, des rochers couverts de pins, et des fleurs superbes croissant en liberté jusque dans le sable de la grève. Pendant que mes enfants étaient à quelque distance, j'occupais ma promenade, comme à l'ordinaire, à ramasser des plantes. Voilà deux mois qu'à chaque individu nouveau pour mes yeux, je le place dans un livre exprès, en me disant que mon pauvre ami m'en apprendra le nom, et je recueille chaque plante en double pour lui en donner un exemplaire, comme j'avais fait dans un autre voyage. Ainsi, à chaque moment, cent fois le jour, depuis deux mois,



<p>13</p>

Un aigle noir apprivoisé qui avait pris sa volée.

<p>14</p>

La mort de Jules Néraud (le Malgache).