Название | Les trois Don Juan |
---|---|
Автор произведения | Guillaume Apollinaire |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
–Ensuite?
–La première fois, le rêve se termina là… Un autre jour, je vis les fleurs de mon jardin s'agiter en même temps, couvertes de sang, et le serpent glissait rapidement au milieu d'elles. Et j'entendis que les fleurs chantaient, et elles disaient: «Justice! justice! Il nous tue.» Mais le serpent enroulé près de moi reprenait: «Ne les crois pas. Ce sont elles qui m'ont blessé avec leurs épines. Ce sang que tu vois est le mien. Sauve-moi.» Il paraissait souffrir autant que les fleurs. Je me mis à pleurer. Il but mes larmes, et nous nous rendormîmes tous les deux.
«Une autre fois, c'étaient des colombes blanches qui voletaient autour de moi en poussant des cris désespérés. Le serpent se jouait autour de mon cou et caressait mes cheveux. «Il a dévoré nos petits, disaient les colombes, venge-nous…» Mais le serpent murmura à mon oreille: «Elles se trompent… L'aigle a mangé leurs petits, et moi j'ai tué l'aigle.» Se penchant sur mon épaule, il me montra un grand oiseau de proie qui se débattait à terre dans les convulsions de l'agonie. Puis il redressa la tête en sifflant d'une manière terrible. Les colombes s'enfuirent en criant: «Malheur à toi! malheur à toi!»
«La dernière nuit enfin, je me sentis piquée au cœur. «Ingrat, m'écriais-je, assassin de ta bienfaitrice!» Et j'arrachai le serpent de mon sein. Tombé à terre, il y resta sans mouvement. Mais il me dit avec tant de douceur que j'en fus navrée: «Plains-moi si je t'ai tuée, c'est parce que je t'aime. Je vivais par toi, je n'ai pas voulu mourir sans toi.» Il se métamorphosa en fleur. Moi, je me trouvai changée en colombe. Je saisis la fleur, mais elle s'était changée en aigle. L'aigle me prit dans ses serres et m'emporta dans le soleil où nous fûmes consumés ensemble.
«Je n'ai plus rêvé depuis.»
–Vos rêves ont une signification claire, dit maître Jacobi. Ce serpent, c'est votre fils.
–Hum, hum, gronda Jorge.
–Ce serpent, disais-je, représente votre fils. Ces fleurs sont l'emblème de la joie, les colombes de l'affection, l'aigle du courage, le soleil de la gloire. C'est la loi des contrastes qui règle la divination de l'onirocritique, et les songes disent le contraire de ce qu'ils semblent dire. Ainsi votre songe signifie que vous aurez un fils dont la tendresse fera votre bonheur et la vaillance votre gloire.
–Les bonnes paroles, maître, s'écria la comtesse toute joyeuse. Comptez sur ma reconnaissance.
–L'explication est convenable, daigna approuver Jorge.
–Maître, reprit la comtesse, je vous prie maintenant de consulter les astres. Puisse leur réponse être aussi favorable que l'a été celle des songes!
–Il me faudrait l'état du ciel au moment de la naissance.
–Je l'ai dressé très exactement, dit Levita, tirant un papier de sa poche.
L'astrologue examina le dessin tout en murmurant des formules cabalistiques.
«Orion vers l'Orient. Bras gauche en l'air. Sirius au plus haut. Hum! hum! Le cœur. Jupiter en conjonction avec le Taureau. Aldebaran, étoile de la Bohême. Vénus absente. C'est bien, très bien… Traçons le carré magique.»
L'astrologue inscrivit sur un papier deux carrés l'un dans l'autre et partagea l'intervalle en douze triangles égaux.
«Qu'est-ce que c'est que ces petites machines? demanda Don Jorge, qui paraissait s'intéresser fort à l'opération.
–Les douze maisons du soleil.
–Et qu'est-ce qu'il y fait?
–Il les visite tour à tour. Dans chacune est une phase de la vie humaine… Maisons de la santé, des richesses, des héritages, des biens patrimoniaux, des legs et donations…, maisons des chagrins et des maladies, du mariage et des noces, maisons de l'effroi et de la mort, de la religion et des voyages, des charges et dignités, des amis, des emprisonnements et de la mort violente…
L'astrologue se tut. Dans le silence général, il avait ouvert un livre rempli de signes astronomiques et tourna plusieurs feuillets, comparant ensemble les observations du médecin, le carré magique et les formules consacrées. Enfin, après de longues méditations, il reprit:
–Voici, madame, l'horoscope de votre fils. La conjonction de Jupiter avec le Taureau annonce beaucoup de souhaits qui se réaliseront, grands voyages et abondantes richesses. Votre fils sera élégant dans ses vêtements et honoré dans sa vie. Mais qu'il y prenne garde! Orion influe sur son bras gauche et commence à se renverser, preuve que son cœur sera souvent menacé. Il ne s'agit, au reste, que d'un danger moral. Le Soleil n'ayant point visité la douzième maison, votre fils ne doit point mourir de mort violente, cependant… ce point présente une particularité inconnue dans les annales de l'astrologie.
–Oh! mon Dieu! fit la comtesse.
–En tout cas, il ne sera pas dépourvu d'argent, s'en étant procuré par legs, donations et autres moyens encore.
–Qu'est-ce à dire? fit Don Jorge.
–Oh! avouables, tout à fait avouables en notre temps.
–Sera-t-il heureux? demanda la comtesse.
–Si la fortune, la santé, la puissance et la célébrité peuvent faire son bonheur.
–Aura-t-il une nombreuse postérité? demanda enfin la comtesse.
–Je ne saurais le dire, Vénus, qui préside à la fécondité, étant cachée sous l'horizon. Tout ce que je puis vous dire, c'est que votre famille finira comme elle a commencé.
–Et que signifie? firent à la fois la comtesse et Don Jorge.
–À qui fait-on remonter son origine?
–Au fondateur de la maison de Lara, dont les Tenorio sont seuls descendants directs, à Madarra-le-Bâtard.
–Cela signifie donc, poursuivit l'astrologue penché sur ses dessins et grimoires, que votre famille finira par… par… d'innombrables bâtards!
–Misérable! Gredin! Menteur! Insolent! hurlait Don Jorge furieux.
Et laissant au médecin le soin de ranimer la comtesse évanouie, il prit celui de la venger. Avec une large règle, jadis d'usage mathématique, il entreprit de bâtonner l'infortuné Jacobi, qui criait en se débattant:
«Miséricorde! Au secours! À l'assassin!
–Je t'avais prévenu, drôle!
–Levita! Levita! Vieux camarade!»
Mais Levita se tenait prudemment dans un coin. Nul doute qu'à montrer son courage comme combattant il ne préférât intervenir plus tard comme médecin.
Soudain, Don Jorge fit un moulinet terrible qui s'en vint frapper le squelette ballant au sommet duquel se tenait perché le hibou.
Celui-ci, effrayé, secoua ses ailes. Une poussière lourde s'en dégagea, obscurcissant l'atmosphère. Peut-être l'animal n'avait-il pas bougé depuis plusieurs années. L'oiseau nocturne volait, comme fou, à travers la chambre, montant, descendant, heurtant les squelettes, dispersant les paperasses, mêlant ses ululements funèbres au concert des voix humaines. Il faut dire que Barbara, enfin accourue, poussait des hurlements semblables à ceux des chiens qui aboient à la mort.
Enfin le hibou, fatigué, s'arrêta pour prendre contact avec un objet solide. Mais lequel, grands dieux! Ainsi que l'arche sainte se posant, après le déluge, au sommet du mont Ararat, l'oiseau s'agrippa solidement au crâne de l'exaspéré Don Jorge.
Celui-ci s'enfuit épouvanté, les bras en l'air, renversant tout sur son passage. Les objets fragiles se brisaient: Patatras! Catacri! Gressecrec! La comtesse se précipita sur sa trace. Ce ne fut