Название | Les mystères d'Udolphe |
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Автор произведения | Анна Радклиф |
Жанр | Ужасы и Мистика |
Серия | |
Издательство | Ужасы и Мистика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Parmi les convives se trouvaient deux gentilshommes italiens. L'un, appelé Montoni, parent éloigné de madame Quesnel, était un homme d'environ quarante ans, d'une taille admirable; sa physionomie était mâle autant qu'expressive, mais elle exprimait en général la fierté d'assurance et la hauteur plutôt que toute autre disposition.
Le signor Cavigni, son ami, ne paraissait pas avoir plus de trente ans. Il lui cédait en naissance, mais non pas en pénétration, et le surpassait dans le talent de s'insinuer.
Emilie fut choquée du ton dont madame Chéron aborda son père. Mon frère, lui dit-elle, je suis fâchée de vous voir un si mauvais visage; vous devriez consulter quelqu'un. Saint-Aubert répondit, avec un sourire mélancolique, qu'il était à peu près comme à son ordinaire. Et les craintes d'Emilie lui firent trouver son père bien plus changé qu'il ne l'était.
Emilie moins oppressée se serait amusée; sans doute la diversité des caractères, de la conversation qui eut lieu pendant le dîner, la magnificence même de ce repas, fort au-dessus de ce qu'elle avait encore vu, n'eussent pas manqué de la divertir. Le signor Montoni, nouvellement arrivé d'Italie, racontait les troubles et les commotions dont ce pays était agité. Il peignait les différents partis avec chaleur: il déplorait les conséquences probables de ces affreux tumultes. Son ami parlait avec autant d'ardeur de la politique de sa patrie. Il louait le gouvernement et la prospérité de Venise, et vantait sa supériorité décidée sur tous les Etats de l'Italie. Il la tourna ensuite vers les dames, et parla avec la même éloquence des modes françaises, des spectacles français et des manières françaises. Il eut grand soin de mêler dans son discours tout ce qui pouvait flatter le goût français. La flatterie ne fut point aperçue par ceux à qui elle s'adressait, mais l'effet qu'elle produisit sur leur attention n'échappa point à sa perspicacité. Quand il put se dégager des autres dames, il s'adressa à Emilie. Mais elle ne connaissait ni les modes parisiennes ni les spectacles parisiens; et sa modestie, sa simplicité, sa politesse, contrastaient fortement avec le ton de ses compagnes.
Après le dîner, Saint-Aubert se déroba seul pour visiter encore une fois le vieux châtaignier que Quesnel se proposait de détruire. Il se reposa sous son ombre, il regarda à travers ses vastes branches, et aperçut entre les feuilles tremblantes la voûte azurée des cieux. Les événements de sa jeunesse revinrent tout à la fois à son esprit. Il rappela ses anciens amis, leur caractère, et jusqu'à leurs traits. Depuis longtemps ils n'étaient plus; il se parut à lui-même un être presque isolé, et son Emilie seule l'attachait encore à la vie.
Perdu dans la succession d'images que lui fournissait sa mémoire, il en vint au tableau de son épouse mourante: il tressaillit, et, voulant l'oublier s'il lui était possible, il rejoignit la société.
Saint-Aubert demanda ses chevaux de bonne heure; Emilie s'aperçut en route qu'il était plus silencieux, plus abattu qu'à l'ordinaire. Elle en attribua la cause aux souvenirs que ce lieu venait de lui rappeler, et ne soupçonna point le vrai motif d'un chagrin qu'il ne lui communiquait pas.
En rentrant au château, son affliction se renouvela, et elle sentit plus vivement que jamais la privation d'une mère si chérie. C'était avec le sourire et les caresses de la bonté qu'elle était accueillie après la moindre absence. Aujourd'hui, tout était morne et tout était désert.
Mais ce que ne peuvent ni la raison ni les efforts, le temps l'obtient. Les semaines passèrent, et l'horreur du désespoir se fondit peu à peu dans un sentiment doux que le cœur conserve, et qui lui devient sacré. Saint-Aubert, au contraire, s'affaiblissait de jour en jour, quoique Emilie, la seule personne qui ne le quittait point, fût la dernière à s'en apercevoir. Sa constitution ne s'était jamais remise du choc qu'elle avait reçu de sa maladie, et l'ébranlement qu'il reçut à la mort de madame Saint-Aubert détermina son extrême langueur. Son médecin lui conseilla de voyager. Il était visible que la douleur avait pris sur ses nerfs, déjà fort attaqués; et l'on pensait que la variété et le mouvement, en calmant son esprit, réussiraient à leur rendre du ton et de la vigueur.
Pendant quelques jours, Emilie s'occupa de ses préparatifs, et Saint-Aubert de ses calculs sur les dépenses de son voyage. Il lui fallut congédier ses domestiques. Emilie, qui se permettait rarement d'opposer aux volontés de son père des questions ou des remontrances, eût pourtant bien voulu savoir comment, dans son état d'infirmité, il ne se réservait pas du moins un serviteur. Mais, quand, à la veille du départ, elle s'aperçut qu'il avait renvoyé Jacquot, François et Marie, et gardé seulement Thérèse, son ancienne femme de charge, elle fut extrêmement surprise, et hasarda de lui en demander la raison. C'est par économie, lui répliqua-t-il; nous allons faire un voyage fort coûteux.
Le médecin avait prescrit l'air de Languedoc et de Provence. Saint-Aubert se résolut donc à s'acheminer lentement vers cette province, en côtoyant la Méditerranée.
Ils se retirèrent de bonne heure dans leur chambre le soir qui précéda le départ. Emilie avait des livres et quelques autres choses à ranger; minuit sonna avant qu'elle eût fini; elle se souvint de ses crayons qu'elle voulait emporter, et qu'elle avait laissés dans le salon. Elle y alla, et, passant près de la chambre de son père, elle en trouva la porte entr'ouverte, et jugea qu'il était dans son cabinet. C'était son usage depuis la mort de madame Saint-Aubert. Agité d'insomnies cruelles, il quittait son lit et se retirait dans cette pièce pour tâcher d'y trouver le repos.—Quand elle fut au bas de l'escalier, elle regarda dans le cabinet, il n'y était pas.—En remontant, elle frappa légèrement à la porte, ne reçut point de réponse, et s'avança doucement pour savoir où il était.
La chambre était obscure; mais, à travers la porte vitrée, on voyait une lumière au fond d'une pièce voisine. Emilie jugea bien que son père y devait être; mais, craignant qu'à cette heure il ne s'y trouvât mal, elle allait pour s'en assurer. Considérant pourtant qu'une si subite apparition pourrait l'effrayer, elle laissa dehors sa lumière et s'avança doucement vers la petite pièce. Là, elle vit son père assis devant une petite table, et parcourant plusieurs papiers, dont quelques-uns absorbaient son attention, et lui arrachaient des soupirs et même des sanglots. Emilie, qui n'était venue à la porte que pour s'assurer de l'état de son père, fut retenue en ce moment par un mélange de curiosité et de tendresse. Elle ne pouvait découvrir son chagrin sans désirer aussi d'en découvrir la cause. Elle continua de l'observer en silence, ne doutant point que tous ces papiers ne fussent autant de lettres. Tout d'un coup il se mit à genoux dans une contenance plus solennelle qu'elle ne ne l'eût encore vu; dans une espèce d'égarement qui ressemblait à l'horreur, il fit une très-longue prière.
Une pâleur mortelle couvrait son visage quand il se releva. Emilie allait se retirer, mais elle le vit se rapprocher des papiers, et elle resta encore. Il y prit une petite boîte, et en tira une miniature; la lumière, qui portait dessus, lui fit distinguer une femme, et cette femme n'était pas sa mère.
Saint-Aubert regarda le portrait, avec une vive expression de tendresse, le porta à ses lèvres, sur son cœur, et poussa des soupirs convulsifs. Emilie n'en pouvait croire ses yeux; elle ignorait qu'il possédât le portrait d'une autre femme que sa mère, et surtout qu'il y attachât un si grand prix. Elle le regarda longtemps pour trouver les traits de madame Saint-Aubert, mais son attention ne servit qu'à la convaincre que c'était le portrait d'une autre personne. A la fin, Saint-Aubert le remit dans la boîte, et Emilie, réfléchissant qu'elle avait indiscrètement observé ses secrets, se retira le plus doucement possible.
CHAPITRE III
Saint-Aubert, au lieu de prendre la route directe qui conduisait en Languedoc, en suivant le pied des Pyrénées, préféra un chemin dans les hauteurs, parce qu'il offrait des vues plus étendues et des points de vue plus pittoresques. Il se détourna un peu pour prendre congé de M. Barreaux; il le trouva herborisant près de son château; et quand