Les etranges noces de Rouletabille. Гастон Леру

Читать онлайн.
Название Les etranges noces de Rouletabille
Автор произведения Гастон Леру
Жанр Классические детективы
Серия
Издательство Классические детективы
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

tout petit jeu… Mon épingle vaut bien soixante-quinze francs… Vladimir me l'a jouée contre vingt-cinq!… ça n'était guère… le malheur, pour Vladimir, est que de vingt-cinq, en cinquante, en cent… (car Vladimir a le tort de poursuivre son argent, je le lui ai assez dit) je lui ai gagné tout ce qu'il avait dans sa poche… Maintenant, comme je ne suis pas un mufle, je lui joue des billets qu'il me fait. A ce qu'il paraît qu'il a encore de l'argent à toucher sur l'invention de sa cuirasse!

      –La Candeur, tu vas me dire combien tu as gagné à Vladimir!

      –Qu'est-ce que ça peut te faire?

      –Cela me fait que j'ignore d'où vient cet argent-là…

      –Puisqu'il vient de la cuirasse!… [Voir Le Château Noir].

      –Assez, combien?…

      La Candeur, de plus en plus écarlate, fit:

      –Je ne sais plus au juste… et il se décida à fouiller dans l'une de ses poches d'où il tira trois ou quatre billets de banque de cent levas (francs).

      –Ce n'est pas tout! fit Rouletabille.

      –Non, grogna La Candeur, en voilà encore…

      Et il tira, cette fois, cinq billets de cinq cents levas.

      –Fichtre! tu te mets bien! c'est tout?

      –Je crois que c'est tout, susurra le bon géant en détournant la tête.

      Mais Rouletabille se précipita sur lui, le fouilla et le vida d'une quantité incroyable de billets de banque qu'il avait entassés au petit bonheur dans la fièvre du jeu et qu'il se laissait enlever avec des soupirs de soufflets de forge…

      Rouletabille compta:

      Il y avait là quarante mille levas (quarante mille francs)!

      Rouletabille regardait La Candeur, mais La Candeur n'osait pas regarder Rouletabille.

      –C'est la première fois que j'ai eu de la veine! balbutia-t-il.

      –Attends! dit Rouletabille, d'une voix légèrement oppressée, car il ne s'attendait point au déballage de cette petite fortune, attends. Nous en parlerons tout à l'heure de ta veine.

      Et il ajouta:

      –C'est donc cela que tu proposais toujours à ces messieurs du Château Noir, une rançon de quarante mille francs!…

      –Mais oui, gémit La Candeur; j'ai bon coeur, moi!…

      –Avec l'argent des autres c'est facile d'avoir bon coeur, émit Vladimir.

      A ce moment-là, j'avais encore presque tout mon argent dans ma poche, mais La Candeur n'hésitait pas à en disposer comme s'il était déjà dans la sienne!…

      –C'était pour le bien de la communauté, répliqua La Candeur…

      –Tu as bon coeur, gronda Rouletabille, mais je me demande si, au fond, tu n'es pas aussi crapule que Vladimir!…

      –Monsieur, dit Vladimir en se levant, j'affirme que vous me faites beaucoup de peine!…

      Et il voulut s'esquiver, mais, Rouletabille le retint et lui demanda sur un ton sec, qui fit pâlir le jeune Slave:

      –D'où vient l'argent?

      –Monsieur, je vous assure qu'il vient fort honnêtement de la vente de l'invention de ma cuirasse… je tiens cette cuirasse d'un de mes amis de Kiew, qui a passé plus de dix ans de sa vie à l'inventer, à la perfectionner, enfin à en faire un véritable objet d'art militaire pour lequel il a dépensé une véritable fortune. Désespéré, lors de la dernière guerre de la Russie avec le Japon, de n'avoir pu vendre sa cuirasse au gouvernement russe, il est entré dans les bureaux de la censure, à Odessa, et m'a fait cadeau du fruit de ses veilles et de la cause de tous ses malheurs. Plus favorisé que lui, monsieur…

      Rouletabille l'interrompit.

      –Assez, Vladimir Petrovitch!… Je te jure que si tu ne me dis pas comment tu as eu tout cet argent, je te livre aux autorités bulgares pieds et poings liés! Tu leur raconteras, à elles, l'histoire de ta cuirasse.

      Vladimir vit que c'était fini de rire et commença, en soupirant comme un enfant malade:

      –Eh bien, je vais vous dire la vérité!… Elle est beaucoup moins grave que vous ne croyez, et toute cette affaire est arrivée, mon Dieu! presque sans que je m'en aperçoive.

      –Va!…

      Rouletabille pensait: «Il est capable de tout! Pourvu qu'il n'ait assassiné personne!»

      La Candeur, avec une désolante mélancolie et une grandissante inquiétude, regardait du coin de l'oeil ces beaux billets dont la possession lui avait causé tant de joie et qui étaient maintenant la cause d'une explication difficile dont, certes! il se serait très bien passé.

      Vladimir commençait:

      –Rappelez-vous, monsieur, ce jour où, à Sofia, en sortant de l'hôtel Vilitchkov, vous nous trouvâtes, La Candeur et moi, enveloppés, à cause du froid, en des vêtements de fortune. La Candeur avait une couverture et moi, monsieur, j'avais une fourrure, une fourrure magnifique, une fourrure que vous avez admirée, monsieur…

      –Oui, la fourrure d'une amie à vous, m'avez-vous dit, la fourrure d'une princesse… je me rappelle très bien, fit Rouletabille, qui fronçait terriblement les sourcils… Après?

      Vladimir s'épouvanta tout à fait.

      –Oh! monsieur, s'écria-t-il, vous n'allez pas croire que je l'ai vendue!…

      –Ah! tu ne l'as pas vendue?…

      –Monsieur, pour qui me prenez-vous?

      –Qu'en as-tu donc fait?

      –Remarquez, reprit Vladimir, en clignotant de ses lourdes paupières et en roucoulant de sa plus douce voix, car il se remettait peu à peu et, ayant fait un rapide examen de conscience, il en était sans doute arrivé à se demander pourquoi il avait essayé de dissimuler un acte qui ne lui apparaissait point si répréhensible… Remarquez, monsieur, que j'aurais pu la vendre! Ne vous récriez pas! Vous connaissez la princesse?

      –Oui… heu!… je l'ai entr'aperçue…

      –Oh! vous lui avez parlé…

      –C'est elle qui m'a parlé… je me rappelle m'être heurté sur votre palier contre une grande dégingandée vieille dame aux cheveux couleur de feu qui paraissait un peu folle et qui sortait de chez vous sans manteau, et le chapeau en bataille sur son postiche qui avait perdu tout équilibre.

      –Oh! monsieur Rouletabille, que vous a fait la princesse pour que vous la traitiez de la sorte?…

      –Elle m'a dit tout simplement ceci, mon cher monsieur Vladimir: «C'est bien à monsieur Rouletabille que j'ai le plaisir de parler?… Vladimir m'a beaucoup parlé de vous. Je vous prie! permettez-moi de me présenter à vous! Je suis une vieille amie de la famille de Vladimir et je m'intéresse à ce garçon qui a beaucoup de talent et qui envoie au journal l'Époque de Paris de si jolis articles, ma parole!»

      –La princesse vous a dit cela? fit Vladimir qui, cette fois avait rougi jusqu'à la racine des cheveux.

      –Naturellement… je lui ai même répondu: «Mais parfaitement, madame… c'est Vladimir qui écrit mes articles et c'est moi qui porte à la poste les articles de Vladimir!»

      –Dieu, que c'est drôle! exprima assez nonchalamment Vladimir.

      –Pour savoir si c'est drôle, j'attendrai la suite de l'histoire… déclara, d'une voix menaçante, Rouletabille.

      Rappelé à l'ordre, Vladimir toussa et continua:

      –Je vous disais donc, à propos de cette fourrure, qu'il n'eût tenu qu'à moi de la vendre, car enfin la princesse—la princesse Kochkaref… de la fameuse famille Kochkaref de Kiew… les Kochkaref sont bien connus…

      –Allez!… mais allez donc…

      –… Car enfin la princesse,