Название | Le fauteuil hanté |
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Автор произведения | Гастон Леру |
Жанр | Классические детективы |
Серия | |
Издательство | Классические детективы |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Celui-ci s'en étonna.
–Monsieur le secrétaire perpétuel a l'air bien préoccupé.
Du reste, tout le monde est bouleversé ici, après une pareille histoire!
Mais M. Hippolyte Patard ne se détourna même pas.
Le concierge eut le tort d'ajouter:
–Est-ce que monsieur le secrétaire perpétuel a lu ce matin l'article de L'Époque sur le Fauteuil hanté?
M. Hippolyte Patard avait cette particularité d'être tantôt un petit vieillard frais et rose, aimable et souriant, accueillant, bienveillant, charmant, que tout le monde à l'Académie appelait «mon bon ami» excepté les domestiques bien entendu, bien qu'il fût plein de prévenances pour eux, leur demandant alors des nouvelles de leur santé; et tantôt, M. Hippolyte Patard était un petit vieillard tout sec, jaune comme un citron, nerveux, fâcheux, bilieux. Ses meilleurs amis appelaient alors M. Hippolyte Patard: «Monsieur le secrétaire perpétuel», gros comme le bras, et les domestiques n'en menaient pas large. M. Hippolyte Patard aimait tant l'Académie qu'il s'était mis ainsi en deux pour la servir, l'aimer et la défendre. Les jours fastes, qui étaient ceux des grands triomphes académiques, des belles solennités, des prix de vertu, il les marquait du Patard rose, et les jours néfastes, qui étaient ceux où quelque affreux plumitif avait osé manquer de respect à la divine institution, il les marquait du Patard citron.
Le concierge, évidemment, n'avait pas remarqué, ce jour là, à quelle couleur de Patard il avait affaire, car il se fût évité la réplique cinglante de M. le secrétaire perpétuel. En entendant parler du Fauteuil hanté, M. Patard s'était retourné d'un bloc.
–Mêlez-vous de ce qui vous regarde, fit-il; je ne sais pas s'il y a un fauteuil hanté! Mais je sais qu'il y a une loge ici qui ne désemplit pas de journalistes! A bon entendeur salut!
Et il fit demi-tour laissant le concierge foudroyé.
Si M. le secrétaire perpétuel avait lu l'article sur le Fauteuil hanté! mais il ne lisait plus que cet article-là dans les journaux, depuis des semaines! Et après la mort foudroyante de Maxime d'Aulnay, suivant de si près la mort non moins foudroyante de Jehan Mortimar il n'était pas probable, avant longtemps, qu'on se désintéressât dans la presse d'un sujet aussi passionnant!
Et cependant, quel était l'esprit sensé (M. Hippolyte Patard s'arrêta pour se le demander encore)… quel était l'esprit sensé qui eût osé voir, dans ces deux décès, autre chose qu'une infiniment regrettable coïncidence? Jehan Mortimar était mort d'une congestion cérébrale, cela était bien naturel.
Et Maxime d'Aulnay, impressionné par la fin tragique de son prédécesseur et aussi par la solennité de la cérémonie, et enfin par les fâcheux pronostics dont quelques méchants garnements de lettres avaient accompagné son élection, était mort de la rupture d'un anévrisme. Et cela n'était pas moins naturel.
M. Hippolyte Patard, qui traversait la première cour de l'Institut et se dirigeait à gauche vers l'escalier qui conduit au secrétariat, frappa le pavé inégal et moussu de la pointe ferrée de son parapluie.
«Qu'y a-t-il donc de plus naturel, se fit-il à lui-même, que la rupture d'un anévrisme? C'est une chose qui peut arriver à tout le monde que de mourir de la rupture d'un anévrisme, même en lisant un discours à l'Académie française!…» Il ajouta:
«Il suffit pour cela d'être académicien!» Ayant dit, il s'arrêta pensif, sur la première marche de l'escalier. Quoiqu'il s'en défendît, M. le secrétaire perpétuel était assez superstitieux. Cette idée que, tout Immortel que l'on est, on peut mourir de la rupture d'un anévrisme l'incita à toucher furtivement de la main droite le bois de son parapluie qu'il tenait de la main gauche. Chacun sait que le bois protège contre le mauvais sort.
Et il reprit sa marche ascendante. Il passa devant le secrétariat sans s'y arrêter, continua de monter, s'arrêta sur le second palier et dit tout haut:
–Si seulement il n'y avait pas cette histoire des deux lettres! mais tous les imbéciles s'y laissent prendre! ces deux lettres signées des initiales E D S E D T D L N, toutes les initiales de ce fumiste d'Eliphas! Et M. le secrétaire perpétuel se prit à prononcer tout haut dans la solennité sonore de l'escalier le nom abhorré de celui qui semblait avoir par quelque criminel sortilège, déchaîné la fatalité sur l'illustre et paisible Compagnie: Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox!
Avec un nom pareil, avoir osé se présenter à l'Académie française!… Avoir espéré, lui, ce charlatan de malheur, qui se disait mage, qui se faisait appeler: Sâr qui avait publié un volume parfaitement grotesque sur la Chirurgie de l'âme, avoir espéré l'immortel honneur de s'asseoir dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville!…
Oui, un mage! comme qui dirait un sorcier qui prétend connaître le passé et l'avenir, et tous les secrets qui peuvent rendre l'homme maître de l'univers! un alchimiste, quoi! un devin! un astrologue! un envoûteur! un nécromancien!
Et ça avait voulu être de l'Académie!
M. Hippolyte Patard en étouffait.
Tout de même, depuis que ce mage avait été blackboulé comme il le méritait, deux malheureux qui avaient été élus au fauteuil de Mgr d'Abbeville étaient morts!…
Ah! si M. le secrétaire général l'avait lu, l'article sur le Fauteuil hanté! Mais il l'avait même relu, le matin même, dans les journaux, et il allait le relire encore, tout de suite, dans le journal L'Époque; et, en effet, il déploya avec une énergie farouche pour son âge, la gazette: cela tenait deux colonnes, en première page, et cela répétait toutes les âneries dont les oreilles de M. Hippolyte Patard étaient rebattues, car, en vérité, il ne pouvait plus maintenant entrer dans un salon ou dans une bibliothèque, sans qu'il entendît aussitôt: «Eh bien, et le Fauteuil hanté!» L'Époque, à propos de la formidable coïncidence de ces deux morts si exceptionnellement académiques, avait cru devoir rapporter tout au long la légende qui s'était formée autour du fauteuil de Mgr d'Abbeville. Dans certains milieux parisiens, où l'on s'occupait beaucoup de choses qui se passaient au bout du pont des Arts, on était persuadé que ce fauteuil était désormais hanté par l'esprit de vengeance du sâr Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox! Et comme, après son échec, cet Eliphas avait disparu, L'Époque ne pouvait s'empêcher de regretter qu'il eût, avant précisément de disparaître, prononcé des paroles de menaces suivies bien fâcheusement d'aussi regrettables décès subits. En sortant pour la dernière fois du club des «Pneumatiques» (ainsi appelé de pneuma, âme), qu'il avait fondé dans le salon de la belle Mme de Bithynie, Eliphas avait dit textuellement en parlant du fauteuil de l'éminent prélat: «Malheur à ceux qui auront voulu asseoir avant moi!» En fin de compte, L'Époque ne paraissait pas rassurée du tout. Elle disait, à l'occasion des lettres reçues par les deux défunts immédiatement avant leur mort, que l'Académie avait peut-être affaire à un fumiste, mais aussi qu'elle pouvait avoir affaire à un fou.
Le journal voulait que l'on retrouvât Eliphas, et c'est tout juste s'il ne réclamait pas l'autopsie des corps de Jehan Mortimar et de M. d'Aulnay.
L'article n'était pas signé, mais M. Hippolyte Patard en voua aux gémonies l'auteur anonyme après l'avoir traité, carrément, d'idiot, puis ayant poussé le tambour d'une porte, il traversa une première salle tout encombrée de colonnes, pilastres et bustes, monuments de sculpture funéraire à la mémoire des académiciens défunts qu'il salua au passage, puis, une seconde salle, puis arriva en une troisième toute garnie de tables recouvertes de tapis d'un vert uniforme et entourées de fauteuils symétriquement rangés. Au fond, sur un vaste panneau, se détachait la figure en pied du cardinal Armand Jean du Plessis, duc de Richelieu.
M. le secrétaire perpétuel venait d'entrer dans la salle du Dictionnaire.
Elle était encore déserte.
Il referma la portière derrière lui, s'en fut à sa place habituelle, y déposa son courrier rangea précieusement dans un coin qu'il