Название | OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 |
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Автор произведения | Gustave Flaubert |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Puis, détachant ses paroles:
«Au reste, je ne me repens pas, j’ai fait mon devoir. N’importe, c’est à cause de vous.
– Comment?» s’écria Frédéric, ayant peur que Sénécal ne l’eût deviné.
Sénécal n’avait rien deviné, car il reprit:
«C’est-à-dire que, sans vous, j’aurais peut-être trouvé mieux.»
Frédéric fut saisi d’une espèce de remords.
«En quoi puis-je vous servir maintenant?»
Sénécal demandait un emploi quelconque, une place.
«Cela vous est facile. Vous connaissez tant de monde, M. Dambreuse entre autres, à ce que m’a dit Deslauriers.»
Ce rappel de Deslauriers fut désagréable à son ami. Il ne se souciait guère de retourner chez les Dambreuse depuis la rencontre du Champ de Mars.
«Je ne suis pas suffisamment intime dans la maison pour recommander quelqu’un.»
Le démocrate essuya ce refus stoïquement, et, après une minute de silence:
«Tout cela, j’en suis sûr, vient de la Bordelaise et aussi de votre Mme Arnoux.»
Ce votre ôta du cœur de Frédéric le peu de bon vouloir qu’il gardait. Par délicatesse, cependant, il atteignit la clef de son secrétaire.
Sénécal le prévint.
«Merci!»
Puis, oubliant ses misères, il parla des choses de la patrie, les croix d’honneur prodiguées à la fête du Roi, un changement de cabinet, les affaires Drouillard et Bénier, scandales de l’époque, déclama contre les bourgeois et prédit une révolution.
Un crid japonais suspendu contre le mur arrêta ses yeux. Il le prit, en essaya le manche, puis le rejeta sur le canapé avec un air de dégoût.
«Allons, adieu! Il faut que j’aille à Notre-Dame de Lorette.
– Tiens! pourquoi?
– C’est aujourd’hui le service anniversaire de Godefroy Cavaignac. Il est mort à l’œuvre, celui-là! Mais tout n’est pas fini!.. Qui sait?»
Et Sénécal tendit sa main bravement.
«Nous ne nous reverrons peut-être jamais! adieu!»
Cet adieu, répété deux fois, son froncement de sourcils en contemplant le poignard, sa résignation et son air solennel surtout firent rêver Frédéric, qui bientôt n’y pensa plus.
Dans la même semaine, son notaire du Havre lui envoya le prix de sa ferme, cent soixante-quatorze mille francs. Il en fit deux parts, plaça la première sur l’État, et alla porter la seconde chez un agent de change pour la risquer à la Bourse.
Il mangeait dans les cabarets à la mode, fréquentait les théâtres et tâchait de se distraire, quand Hussonnet lui adressa une lettre, où il narrait gaiement que la Maréchale, dès le lendemain des courses, avait congédié Cisy. Frédéric en fut heureux, sans chercher pourquoi le bohème lui apprenait cette aventure.
Le hasard voulut qu’il rencontrât Cisy trois jours après. Le gentilhomme fit bonne contenance et l’invita même à dîner pour le mercredi suivant.
Frédéric, le matin de ce jour-là, reçut une notification d’huissier, où M. Charles-Jean-Baptiste Oudry lui apprenait qu’aux termes d’un jugement du tribunal, il s’était rendu acquéreur d’une propriété sise à Belleville appartenant au sieur Jacques Arnoux, et qu’il était prêt à payer les deux cent vingt-trois mille francs montant du prix de la vente. Mais il résultait du même acte que, la somme des hypothèques dont l’immeuble était grevé dépassant le prix de l’acquisition, la créance de Frédéric se trouvait complètement perdue.
Tout le mal venait de n’avoir pas renouvelé en temps utile une inscription hypothécaire. Arnoux s’était chargé de cette démarche et l’avait ensuite oubliée. Frédéric s’emporta contre lui, et, quand sa colère fut passée:
«Eh bien, après… quoi? si cela peut le sauver, tant mieux! je n’en mourrai pas! n’y pensons plus!»
Mais, en remuant ses paperasses sur sa table, il rencontra la lettre d’Hussonnet et aperçut le post-scriptum, qu’il n’avait point remarqué la première fois. Le bohème demandait cinq mille francs, tout juste, pour mettre l’affaire du journal en train.
«Ah! celui-là m’embête!»
Et il le refusa brutalement dans un billet laconique. Après quoi, il s’habilla pour se rendre à la Maison d’Or.
Cisy présenta ses convives, en commençant par le plus respectable, un gros monsieur à cheveux blancs:
«Le marquis Gilbert des Aulnays, mon parrain. M. Anselme de Forchambeaux», dit-il ensuite (c’était un jeune homme blond et fluet, déjà chauve); puis, désignant un quadragénaire d’allures simples: «Joseph Boffreu, mon cousin; et voici mon ancien professeur M. Vezou», personnage moitié charretier, moitié séminariste, avec de gros favoris et une longue redingote boutonnée dans le bas par un seul bouton, de manière à faire châle sur la poitrine.
Cisy attendait encore quelqu’un, le baron de Comaing, «qui peut-être viendra, ce n’est pas sûr». Il sortait à chaque minute, paraissait inquiet; enfin, à huit heures, on passa dans une salle éclairée magnifiquement et trop spacieuse pour le nombre des convives. Cisy l’avait choisie par pompe, tout exprès.
Un surtout de vermeil, chargé de fleurs et de fruits, occupait le milieu de la table, couverte de plats d’argent, suivant la vieille mode française; des raviers, pleins de salaisons et d’épices, formaient bordure tout autour; des cruches de vin rosat frappé de glace se dressaient de distance en distance; cinq verres de hauteur différente étaient alignés devant chaque assiette avec des choses dont on ne savait pas l’usage, mille ustensiles de bouche ingénieux; – et il y avait, rien que pour le premier service: une hure d’esturgeon mouillée de champagne, un jambon d’York au tokay, des grives au gratin, des cailles rôties, un vol-au-vent Béchamel, un sauté de perdrix rouges, et, aux deux bouts de tout cela, des effilés de pommes de terre qui étaient mêlés à des truffes. Un lustre et des girandoles illuminaient l’appartement, tendu de damas rouge. Quatre domestiques en habit noir se tenaient derrière les fauteuils de maroquin. A ce spectacle, les convives se récrièrent, le précepteur surtout:
«Notre amphitryon, ma parole, a fait de véritables folies! C’est trop beau!
– Ça? dit le vicomte de Cisy, allons donc!»
Et, dès la première cuillerée:
«Eh bien, mon vieux des Aulnays, avez-vous été au Palais-Royal, voir Père et Portier?
– Tu sais bien que je n’ai pas le temps!» répliqua le marquis.
Ses matinées étaient prises par un cours d’arboriculture, ses soirées par le Cercle agricole, et toutes ses après-midi par des études dans les fabriques d’instruments aratoires. Habitant la Saintonge les trois quarts de l’année, il profitait de ses voyages dans la capitale pour s’instruire; et son chapeau à larges bords, posé sur une console, était plein de brochures.
Mais Cisy, s’apercevant que M. de Forchambeaux refusait du vin:
«Buvez donc, saprelotte! Vous n’êtes pas crâne pour votre dernier repas de garçon!»
A ce mot, tous s’inclinèrent, on le congratulait.
«Et la jeune personne, dit le précepteur, est charmante, j’en suis sûr?
– Parbleu! s’écria Cisy. N’importe, il a tort: c’est si bête, le mariage!
– Tu parles légèrement, mon ami!» répliqua M. des Aulnays, tandis qu’une larme roulait dans ses yeux, au souvenir de sa défunte.
Et