OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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Название OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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      OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4

      DEUXIÈME PARTIE

      (SUITE)

      IV

      La Maréchale était prête et l’attendait.

      «C’est gentil, cela!» dit-elle, en fixant sur lui ses jolis yeux, à la fois tendres et gais.

      Quand elle eut fait le nœud de sa capote, elle s’assit sur le divan et resta silencieuse.

      «Partons-nous?» dit Frédéric.

      Elle regarda la pendule.

      «Oh! non! pas avant une heure et demie», comme si elle eût posé en elle-même cette limite à son incertitude.

      Enfin l’heure ayant sonné:

      «Eh bien, andiamo, caro mio!»

      Et elle donna un dernier tour à ses bandeaux, fit des recommandations à Delphine.

      «Madame revient dîner?

      – Pourquoi donc? Nous dînerons ensemble quelque part, au café Anglais, où vous voudrez.

      – Soit!»

      Ses petits chiens jappaient autour d’elle.

      «On peut les emmener, n’est-ce pas?»

      Frédéric les porta lui-même jusqu’à la voiture. C’était une berline de louage avec deux chevaux de poste et un postillon; il avait mis sur le siège de derrière son domestique. La Maréchale parut satisfaite de ses prévenances, puis, dès qu’elle fut assise, lui demanda s’il avait été chez Arnoux, dernièrement.

      «Pas depuis un mois, dit Frédéric.

      – Moi, je l’ai rencontré avant-hier, il serait même venu aujourd’hui. Mais il a toute sorte d’embarras, encore un procès, je ne sais quoi. Quel drôle d’homme!

      – Oui, très drôle!»

      Frédéric ajouta d’un air indifférent:

      «A propos, voyez-vous toujours… comment donc l’appelez-vous?.. cet ancien chanteur… Delmar?»

      Elle répliqua sèchement:

      «Non! c’est fini.»

      Ainsi leur rupture était certaine. Frédéric en conçut de l’espoir.

      Ils descendirent au pas le quartier Bréda; les rues, à cause du dimanche, étaient désertes, et des figures de bourgeois apparaissaient derrière des fenêtres. La voiture prit un train plus rapide; le bruit des roues faisait se retourner les passants, le cuir de la capote rabattue brillait, le domestique se cambrait la taille, et les deux havanais l’un près de l’autre semblaient deux manchons d’hermine posés sur les coussins. Frédéric se laissait aller au bercement des soupentes. La Maréchale tournait la tête, à droite et à gauche, en souriant.

      Son chapeau de paille nacrée avait une garniture de dentelle noire. Le capuchon de son burnous flottait au vent; et elle s’abritait du soleil sous une ombrelle de satin lilas, pointue par le haut comme une pagode.

      «Quels amours de petits doigts! dit Frédéric en lui prenant doucement l’autre main, la gauche ornée d’un bracelet d’or en forme de gourmette. Tiens! c’est mignon; d’où cela vient-il?

      – Oh! il y a longtemps que je l’ai», dit la Maréchale.

      Le jeune homme n’objecta rien à cette réponse hypocrite. Il aima mieux «profiter de la circonstance». Et, lui tenant toujours le poignet, il appuya dessus ses lèvres, entre le gant et la manchette.

      «Finissez, on va nous voir!»

      – Bah! qu’est-ce que cela fait!»

      Après la place de la Concorde, ils prirent par le quai de la Conférence et le quai de Billy, où l’on remarque un cèdre dans un jardin. Rosanette croyait le Liban situé en Chine; elle rit elle-même de son ignorance et pria Frédéric de lui donner des leçons de géographie. Puis, laissant à droite le Trocadéro, ils traversèrent le pont d’Iéna et s’arrêtèrent enfin, au milieu du Champ de Mars, près des autres voitures, déjà rangées dans l’Hippodrome.

      Les tertres de gazon étaient couverts de menu peuple. On apercevait des curieux sur le balcon de l’École militaire; et les deux pavillons en dehors du pesage, les deux tribunes comprises dans son enceinte, et une troisième devant celle du Roi se trouvaient remplis d’une foule en toilette qui témoignait, par son maintien, de la révérence pour ce divertissement encore nouveau. Le public des courses, plus spécial dans ce temps-là, avait un aspect moins vulgaire; c’était l’époque des sous-pieds, des collets de velours et des gants blancs. Les femmes, vêtues de couleurs brillantes, portaient des robes à taille longue, et assises sur les gradins des estrades, elles faisaient comme de grands massifs de fleurs, tachetées de noir, çà et là, par les sombres costumes des hommes. Mais tous les regards se tournaient vers le célèbre Algérien Bou-Maza, qui se tenait impassible, entre deux officiers d’état-major, dans une des tribunes particulières. Celle du Jockey-Club contenait exclusivement des messieurs graves.

      Les plus enthousiastes s’étaient placés, en bas, contre la piste, défendue par deux lignes de bâtons supportant des cordes; dans l’ovale immense que décrivait cette allée, des marchands de coco agitaient leur crécelle, d’autres vendaient le programme des courses, d’autres criaient des cigares, un vaste bourdonnement s’élevait; les gardes municipaux passaient et repassaient; une cloche, suspendue à un poteau couvert de chiffres, tinta. Cinq chevaux parurent, et on rentra dans les tribunes.

      Cependant de gros nuages effleuraient de leurs volutes la cime des ormes en face. Rosanette avait peur de la pluie.

      «J’ai des riflards, dit Frédéric, et tout ce qu’il faut pour se distraire, ajouta-t-il en soulevant le coffre, où il y avait des provisions de bouche dans un panier.

      – Bravo! nous nous comprenons!

      – Et on se comprendra encore mieux, n’est-ce pas?

      – Cela se pourrait!» fit-elle en rougissant.

      Les jockeys, en casaque de soie, tâchaient d’aligner leurs chevaux et les retenaient à deux mains. Quelqu’un abaissa un drapeau rouge. Alors, tous les cinq, se penchant sur les crinières, partirent. Ils restèrent d’abord serrés en une seule masse; bientôt elle s’allongea, se coupa; celui qui portait la casaque jaune, au milieu du premier tour, faillit tomber; longtemps il y eut de l’incertitude entre Filly et Tibi; puis Tom-Pouce parut en tête; mais Clubstick, en arrière depuis le départ, les rejoignit et arriva premier, battant Sir Charles de deux longueurs; ce fut une surprise, on criait; les baraques de planches vibraient sous les trépignements.

      «Nous nous amusons! dit la Maréchale. Je t’aime, mon chéri!»

      Frédéric ne douta plus de son bonheur; ce dernier mot de Rosanette le confirmait.

      A cent pas de lui, dans un cabriolet milord, une dame parut. Elle se penchait en dehors de la portière, puis se renfonçait vivement; cela recommença plusieurs fois, Frédéric ne pouvait distinguer sa figure. Un soupçon le saisit, il lui sembla que c’était Mme Arnoux. Impossible, cependant! Pourquoi serait-elle venue?

      Il descendit de voiture, sous prétexte de flâner au pesage.

      «Vous n’êtes guère galant!» dit Rosanette.

      Il n’écouta rien et s’avança. Le milord, tournant bride, se mit au trot.

      Frédéric, au même moment, fut happé par Cisy.

      «Bonjour, cher! comment allez-vous? Hussonnet est là-bas! Écoutez donc!»

      Frédéric tâchait de se dégager pour rejoindre le milord. La Maréchale lui faisait signe de retourner près d’elle. Cisy l’aperçut et voulait obstinément lui dire bonjour.

      Depuis que le deuil de sa grand’mère était fini, il réalisait son idéal, parvenait à avoir du cachet. Gilet écossais, habit court, larges bouffettes sur l’escarpin et carte d’entrée dans la ganse du chapeau, rien ne manquait effectivement à ce qu’il appelait lui-même son «chic», un chic anglomane et mousquetaire. Il commença par se plaindre du Champ de Mars, turf exécrable, parla ensuite des courses de Chantilly et des farces qu’on y faisait, jura qu’il pouvait boire douze verres de vin